Élie le Tishbite

2.
Élie au ruisseau de Kérith

Dans ces moments de péril et d’angoisse, où le peuple d’Israël se trouvait sur le bord de la Mer Rouge, ne pouvant ni avancer ni reculer, ayant devant lui les eaux profondes et mugissantes, derrière lui la cavalerie des Egyptiens, à droite et à gauche des parois de rochers insurmontables : dans cette situation désespérée, le Seigneur s’approche de Moïse et lui dit : « Que cries-tu à moi ? Parle aux enfants d’Israël et dis leur qu’ils marchent ! (Exode 14.15)

Quel étonnement ne dut pas éprouver l’homme de Dieu à l’ouïe de ces paroles, et si le peuple eût pu les entendre, combien plus grande encore n’aurait pas été sa surprise. Il n’y avait eu dans la bouche du prophète ni cri ni soupir ; il paraissait au contraire fort et tranquille ; il n’était occupé qu’à consoler, et à relever Israël et qu’à lui rappeler les promesses par lesquelles le Dieu qui est « Oui et Amen » s’était solennellement engagé à être sa défense et son secours. « Ne craignez point, s’écriait-il en parcourant les rangs du peuple effrayé ; demeurez fermes, et voyez quelle délivrance le Seigneur va vous accorder ; car les Egyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais ; le Seigneur combattra pour vous ; et vous, vous demeurerez tranquilles. » Et tandis qu’il parlait ainsi dans les rangs, en apparence si fort si courageux en son Dieu, le Seigneur lui dit : « Moïse que cries-tu à moi ? »

Moïse seul était en état de comprendre cette divine allocution. Sa bouche ne proférait sans doute aucun cri, mais il y avait d’autant plus de cris dans son cœur ; et tandis qu’aux yeux du peuple qu’il voulait rassurer, sa contenance était celle d’un jeune héros, hélas ! au-dedans de l’homme de Dieu grondait l’orage et régnait la perplexité et la détresse ; sa foi luttait péniblement contre les flots d’une mer en fureur qui menaçait à chaque instant de l’engloutir ; et les promesses de son Dieu, quoiqu’elles semblassent être comme un rocher sous ses pieds et comme un sceptre dans sa main, n’étaient en réalité pour son âme que comme les rayons de la lune sur la surface d’un lac bouleversé par la tempête, et n’y répandaient qu’une lumière pâle, inconstante et mobile, sans pouvoir y reproduire leur image distincte. Le Seigneur voyait bien ce qui se passait en son prophète, et avant même que Moïse eût trouvé le temps de se plaindre à son Dieu, de courir à lui et de lui faire entendre cet aveu, ce cri du fidèle : « Je crois, Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité, » le Seigneur, dans sa tendre sollicitude, pensait déjà à calmer l’orage de son âme, et l’apaisait en effet par cette parole : « Moïse, que cries-tu à moi ? Dis aux enfants d’Israël qu’ils marchent ! »

Mes bien-aimés, nous avons un Dieu qui habite dans les profondeurs de notre être, ses regards lumineux parcourent sans interruption notre âme et en visitent les recoins les plus obscurs. Avant même que nous lui exposions notre détresse et notre misère, il a déjà pourvu aux moyens de nous délivrer ; il a vu notre angoisse qui a prié pour nous, et il l’exauce, elle et non pas nous. Il connaît en tout temps, beaucoup mieux que ses chers enfants, ce qui leur est utile et nécessaire, et il ne les conduit jamais autrement qu’ils ne lui demanderaient eux-mêmes de le faire, s’ils pouvaient, aussi bien que lui, lire dans leur propre cœur et comprendre leurs propres besoins. Mais comme il nous arrive rarement de connaître ce qui nous convient le mieux, les voies par lesquelles Dieu nous conduit, nous paraissent le plus souvent enveloppées de mystère et d’obscurité ; car nous n’en découvrons ni la raison ni le but. Soyons certains cependant que, quelque dures, quelque cruelles, quelque inutiles que ces voies de Dieu envers nous, puissent nous paraître, ce ne sont au fond que des réponses, réponses de fait, sinon à des prières expresses, du moins à des misères et à des besoins de notre cœur que nous ne connaissons point encore nous-mêmes. Ce sont tout autant de voies miséricordieuses, et leur but, leur but unique, est salut et bénédiction.

« Moïse, que cries-tu à moi ? Dis aux enfants d’Israël qu’ils marchent. » Ainsi dit le Seigneur. Quel ordre que celui-là ! « Seigneur, ne vois-tu pas la mer à nos pieds, comme elle s’agite avec furie ? » — « Qu’ils marchent ! » — « Seigneur, nos pieds peuvent-ils donc marcher par dessus les flots et traverser les abîmes ! » — « Qu’ils marchent ! » —  » Seigneur, Seigneur, où est donc le pont que tu as jeté, où sont les bateaux que tu as préparés ? Veux-tu que ton peuple périsse dans les flots et que l’Egyptien blasphème ton nom ? » — « Dis leur qu’ils marchent ! » répond le Tout-Puissant. Et sa main ne s’étend point encore sur les ondes pour les frapper et les dompter, et son bras ne découvre point encore le fond de la mer ; il laisse les flots s’agiter et mugir à leur gré, et montrant du doigt ces eaux profondes, il leur dit : « Marchez, marchez ! » Ils doivent tenter la chose sur parole ; ils doivent croire avant de voir, et aller en avant les yeux fermés, pour ainsi dire. Ils l’essaient en effet, et voici, à l’instant où ils font le premier pas au nom de leur Dieu et vont entrer dans la mer, à l’instant, les ondes se fendent sous la verge du prophète et s’amoncellent des deux côtés comme des remparts ; le chemin s’ouvre large et sec devant eux, et Israël traverse joyeusement la mer Rouge.

Ainsi agit notre Père céleste ; il veut que nous tentions la chose sur parole, et, en vérité, hasarder quelque chose en son nom, c’est ne rien hasarder. Quand donc il commande : En avant ! fût-ce au milieu des flammes, de la foudre et des tempêtes de l’océan, marchons ! marchons hardiment ! nous sortirons de tout avec gloire. Cette vérité et d’autres semblables, également consolantes, vont s’offrir aujourd’hui à nos regards et trouver une pleine confirmation dans l’histoire de notre prophète.

1 Rois 17.2-6

2 Et la parole de l’Eternel fut adressée à Élie, disant : 3 lève toi d’ici et vas du côté de l’Orient, et cache-toi au torrent de Kérith, qui coule vers le Jourdain. 4 Tu boiras de l’eau du torrent, et j’ai ordonné aux corbeaux de te nourrir là. 5 Il se leva donc et fit selon la parole de l’Eternel, il s’en alla et demeura au torrent de Kérith qui coule vers le Jourdain, 6 et les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, et du pain et de la viande le soir, et il buvait de l’eau du torrent.

O quelle source limpide et fraîche s’ouvre dans ce récit pour tous ceux qui ont à parcourir le chemin et à porter la croix d’Élie ! Vous tous, qui habitez dans le désert et qui demeurez solitaires au milieu des ombres et des terreurs des lieux sauvages, accourez, amenez avec vous vos hôtes barbares, puisez, buvez à longs traits, et que votre âme soit rassasiée.

L’embarras d’Élie, l’ordre de Dieu, la foi du prophète, le couronnement et la récompense de cette foi, tels sont les objets qui vont fixer aujourd’hui notre attention.

I

Élie brûlant de zèle pour l’honneur de Celui qu’il servait, avait soumis au Seigneur sa position : « Seigneur Dieu, il est temps ; montre-toi et sauve l’honneur de ton nom ! Car la méchanceté du peuple est à son comble, et il n’y a point de fin à ses blasphèmes. Montre que tu es Dieu, le Seigneur ; frappe le pays de ta verge ; que Samarie apprenne que le règne t’appartient et que Thirza fléchisse le genou devant toi ! » Telle avait été la prière d’Élie, et le Tout-Puissant avait répondu : « Amen ! la verge est entre tes mains ; ferme le ciel durant ces années-ci ; que les nuées deviennent de fer à ta parole, et qu’il n’y ait plus ni pluie, ni rosée ! » — Aussitôt Élie, plein de zèle et d’allégresse, sort comme un feu, vole à Samarie, passe au milieu des gardes, traverse les portes du château royal, et, semblable à un roi, ne s’arrête que lorsqu’il est arrivé devant le trône d’Achab. Là, en face du tyran et de la troupe de ses serviteurs, il ouvre la bouche, et d’une voix qui retentit bientôt aux oreilles de tout Israël, déclare : « Il n’y aura durant ces années-ci ni pluie, ni rosée, sinon à ma parole !

La déclaration est faite au nom du Seigneur, dans l’ardeur d’un saint zèle ; le châtiment commence aussitôt ; d’abord de funestes avant-coureurs, puis l’entière désolation ! Le soleil, semblable à l’œil enflammé de Dieu irrité, darde sur la terre ses brûlants rayons, comme autant de traits mortels et destructeurs ; l’air est étouffant et desséché, l’atmosphère embrasée, semblable à une mer de feu, boit à longs traits l’eau des sources et des torrents ; les plantes et les arbres inclinent vers le sol leur verdure mourante ; le bétail se traîne haletant dans les champs desséchés ; les animaux sauvages rugissent dans les forêts ; la disette croît rapidement, et peu de jours se sont écoulés que déjà l’horrible famine règne sur tout Israël, aiguisant ses dents meurtrières, et transformant villes et campagnes en scènes de douleur et de désespoir. Et pendant ces choses, où est Élie ? Il est là avec tous les autres ! Point d’ange, point de char de feu envoyé de Dieu pour l’enlever du milieu de la détresse ! Le voilà, confondu avec les pécheurs, sous le poids du même châtiment, en apparence, objet comme eux de cette colère divine qu’il a provoquée, et dévoué avec les impies à la faim et à la mort. Le voilà, gémissant, haletant comme tous les autres, exposé aux mêmes périls, et de plus, proscrit, poursuivi et voué à la ruine par une multitude forcenée ! Comme Samson, il semble n’avoir ébranlé les colonnes du temple de Dagon, que pour être englouti avec les Philistins dans une même ruine. En vérité, ce n’est pas peu de chose, dans une telle position, que de maintenir par la foi sa faible nacelle au dessus des eaux. La désolation qui l’environne et son propre péril doivent tour à tour bouleverser son âme. La compassion naturelle, la crainte des hommes, le découragement pénétrant successivement dans son cœur lui crient : « Élie ! Élie ! qu’as-tu demandé ? » Son inquiétude et sa perplexité doivent être d’autant plus grandes, que sans doute il a beaucoup perdu de son ardeur précédente, et qu’il n’a plus maintenant pour appui que la foi nue en l’amen de son Dieu, que ce sentiment intime : » C’est au nom de Dieu que cela s’est fait ! Dieu y pourvoira ! »

Les expériences du genre de celle que fait actuellement Élie, ne sont pas rares dans le royaume de Dieu. Il n’est, pour ainsi dire, pas de chrétien qui, sous une forme ou sous une autre, n’éprouve quelque chose de semblable. On se sent pressé par l’Esprit de dire une parole ou de faire une œuvre quelconque ; l’impulsion est puissante, l’appel intérieur irrésistible. Animé d’un saint zèle, rempli de la force et de la joie du Seigneur, on ne se maîtrise plus, on prend son essor, semblable à un navire dont les voiles déployées au vent vient de forcer les ancres, et, avant qu’on ait eu le temps de s’arrêter et de calculer les conséquences, le pas est fait, la parole est prononcée. On ne s’aperçoit de son imprudence et de sa témérité que quand on se voit lancé au milieu de circonstances et de périls qui semblent surpasser de beaucoup la mesure de la foi et du pouvoir que l’on a reçu. Comme saint Pierre, on a sauté hors du navire en pleine mer ; la tempête mugit, le vent se déchaîne, chaque vague semble apporter la mort ; on voudrait reculer, mais toutes les issues sont fermées, les regrets sont inutiles ; il n’y a plus de retraite possible. La sainte allégresse qui nous avait emportés dans le commencement est évanouie ; notre âme succombe et crie : Seigneur, nous périssons !

C’est là, pour citer un exemple récent, ce qui est arrivé à ces hommes pieux, qui, à cause de leur fidélité à leur foi, ont du abandonner leur patrie. En opposition à l’esprit des puissants du monde et de la multitude, ils prêchaient à leurs églises le pur évangile : conversion à Dieu et foi en Christ ! — Cela déjà n’était pas sans danger pour eux ; cependant comme ils s’abstenaient avec soin d’attaquer l’ordre établi et l’injuste tyrannie qui pesait sur l’église, le danger était en quelque sorte contenu ; mais soudain, sans même qu’ils eussent eu le temps d’y réfléchir, un plus fort qu’eux leur ouvrit la bouche et ils furent comme forcés de dire du haut de leurs chaires ce qu’ils ne voulaient pas dire. Entraînés par un saint zèle, ils montrèrent aux yeux de tous le danger de l’église à laquelle ils appartenaient. La vérité fut alors pleinement manifestée. Ils blâmèrent sévèrement le nouvel Osias, de ce que, par un empiétement coupable, il cherchait à réunir dans une même main l’épée et l’encensoir. Ils dévoilèrent ses plans impies de ceux qui voulaient transformer la religion de Jésus en paganisme, enlever perfidement du sanctuaire l’arche de l’alliance, et y substituer, comme autant d’idoles, de fausses doctrines et de pernicieux préceptes. Ils adressèrent à haute voix leurs plaintes à Dieu de ce que le catéchisme de Heidelberg, ce précieux joyau de l’église réformée, était ravi aux églises, de ce qu’on imposait aux instituteurs et à la jeunesse des livres inspirés par l’esprit de l’antéchrist, de ce qu’on faisait tout pour ébranler les derniers piliers de l’antique constitution de l’église de Jésus, afin d’en faire une institution purement civile ; et quelques-uns de ces zélés docteurs allèrent même jusqu’à déclarer ouvertement que leur conscience ne leur permettait plus d’appartenir à une telle église. Le mot était prononcé, et le feu en quelque sorte mis à la mine. Qui pouvait maintenant l’éteindre ! Le peuple était dans la plus extrême agitation. Au sortir du temple, plusieurs accoururent auprès de leurs pasteurs pour leur déclarer qu’ils étaient décidés à se retirer d’une semblable église ; d’autres s’agitaient dans une pénible incertitude. Le grand nombre injuriait les braves témoins de la vérité et menaçait de les assommer à coups de pierres. L’autorité civile dut enfin intervenir, mais ce fut pour procéder contre eux par la déposition, la prison et le bannissement. Nos pieux et zélés prédicateurs n’avaient pas songé à de telles conséquences. Soudain la consternation les saisit. La joyeuse ardeur, avec laquelle ils avaient d’abord ouvert la bouche du haut de leurs chaires, s’oubliant eux-mêmes et leur propre vie pour ne voir que Dieu et sa cause, s’éteignit bientôt au milieu des flots de l’adversité. « Si nous avions prévu toutes ces suites, disaient-ils maintenant, nous aurions plutôt gardé le silence. Mais c’est Dieu qui l’a voulu ; notre prudence nous commandait tout autre chose. » C’est Dieu qui l’a voulu ; et cette parole de foi, alors comme aujourd’hui, est encore leur seul appui, le bâton de pèlerin avec lequel ils parcourent la terre d’exil, en gémissant sans doute de temps à autre, mais cependant fermes et sans crainte, assurés que Dieu qui jusqu’ici les a richement aidé, les aidera de même à l’avenir.

Ce qui est arrivé sur un grand théâtre à ces hommes pieux, arrive aussi sous des formes variées et dans des circonstances plus simples à des milliers de chrétiens. Ici c’est un fidèle, qui, poussé dans son cœur par une ardente charité, donne d’abord avec joie tout ce qu’il possède pour aider à son frère dans le besoin, et qui, rentrant chez lui et se voyant ainsi que ses enfants manquer de pain et jeté dans de grands embarras, sent sa joie s’enfuir et son cœur s’effrayer. Un autre est entraîné par un saint zèle à confesser enfin avec franchise, parmi ses amis et ses parents, Jésus le crucifié, auquel il croit depuis longtemps, mais dont il n’osait parler ; puis quand il voit quelle ardente inimitié sa parole a enflammé contre lui, et comment il a détruit l’harmonie dans sa propre famille, son zèle s’éteint et son âme s’abat et s’afflige. Mais que faire ? Retirer ce qu’il a dit ? Il ne le peut, il ne le doit pas à cause de son Seigneur, il laissera le feu qu’il a allumé s’étendre de plus en plus. Un troisième se sent pressé, en son cœur joyeux, de prier la Seigneur qu’il l’unisse plus intimement encore à lui et que s’il ne peut le conduire à ce but, par une voie douce et unie, il lui envoie des souffrances. Les souffrances arrivent, les grandes eaux de l’affliction mugissent autour de lui ; mais l’affliction, une fois venue, lui apparaît non plus une source de joie mais de tristesse. Ce sentiment intérieur, si pressant, si pur, qui lui avait inspiré sa prière, a disparu ; peu s’en faut qu’il ne se repente de la demande qu’il a faite à Dieu, et son cœur gémit et soupire. Ne faut-il donc rien commencer avant que d’avoir calculé les conséquences ? Nous répondrons qu’on le fasse quand cela est possible ; quand on peut s’asseoir et supputer la défense, qu’on s’assoie (Luc 14.25-33). Mais ne faisons pas de ce précepte une règle générale. Le lion rugit : qui ne tremblera pas ? Le Seigneur parle : qui ne prophétisera pas ? Le fleuve coule à pleins bords : qui l’arrêtera ? L’amour de Christ presse : qui lui résistera ? L’Esprit entraîne : qui l’étouffera ? Ce qu’il faut, il le faut, et s’il en résulte quelque chose de fâcheux, on sait que Dieu et non la chair avait donné l’ordre d’agir, et avec cette assurance on se sent fort et l’on surmonte bien dés angoisses, bien des oppositions. Soyez en certain : s’il est des hommes au service desquels soit le bras de Dieu, ce sont ceux qui répondent à ses appels, d’un esprit joyeux, qui, à son ordre se jettent à la mer sans consulter la chair et le sang, qui, à sa parole, se mettent sans hésiter à marcher sur la vague écumante. C’est ce que nous enseigne l’exemple de notre prophète.

II

Élie ne resta pas longtemps ainsi abandonné à lui-même et oppressé dans son cœur. La direction d’en haut lui vint au moment où il ne savait quel parti prendre, et ce fut quand il ne voyait nulle part d’issue que les portes s’ouvrirent. C’est ainsi qu’il en est d’ordinaire dans le royaume de Dieu. « La parole de Dieu vint à lui et lui dit. » Oh qu’il est doux de recevoir un tel message dans le pays de la dévastation et de la misère ! Lorsque la parole de Dieu nous visite, c’est l’amour éternel et la miséricorde même de Dieu qui s’approche de nous, car la parole de Dieu c’est Christ. Il n’est rien de plus doux en tout temps qu’une visite de Christ et que sa manifestation à l’âme. Mais Il est surtout le bienvenu quand nous avons entrepris quelque chose en son nom, et voici nous avons allumé un feu qui menace de nous consumer nous et les autres ; quand nous avons, sur son ordre, fait une démarche importante, et voici, les conséquences en sont telles que notre esprit se trouble et que nous ne savons plus si nous avons réellement agi selon la volonté de Dieu, incertitude cruelle qui tourmente l’âme plus qu’on ne saurait le dire. Avec quelle joie nous le saluons, quand, au milieu de telles circonstances, Il heurte inopinément à notre porte et nous fait entendre de nouveau sa voix ; quand il nous donne à comprendre d’une manière quelconque que nous avons bien agi, et qu’il nous assure, à nous ôter tout doute, de son entière approbation : soit qu’il vienne extérieurement à notre aide et nous délivre de quelque péril ou de quelque embarras, soit que, par un témoignage intérieur de son amour et une encourageante assurance de notre adoption, il nous donne un signe non équivoque qu’Il confirme et bénira ce que nous avons fait. Une telle joie bannit de l’âme tout autre sentiment, et quelque lourdes que paraissent les circonstances extérieures, cette joie rend l’homme fort pour les supporter sans fatigue.

« La parole de Dieu fut adressée à Élie, » nous est-il dit ; c’est elle qui vient à Élie et non la parole d’Élie qui vient à Dieu. Oui, le Seigneur est assez prévenant pour venir trouver ses enfants, même sans invitation de leur part, et pour aller au devant de leurs prières. La nécessité pousse à prier, il est vrai ; mais cependant elle ne le fait pas toujours. Souvent, au contraire, lorsque l’adversité nous accable ou que des dangers imminents nous entourent, il arrive que le trouble et la confusion s’emparent de notre âme. L’un considère avec effroi la violence du vent, l’autre la fureur des ondes. Celui-ci saisit le frêle aviron de sa propre force ; celui-là l’ancre fragile de l’espérance humaine. Au milieu de tout cela on oublie le cri ; « Seigneur lève-toi ! » et si par moments l’on pense au Seigneur, le manque de foi et de courage filial empêchent qu’on fasse un pas pour s’approcher de lui. O combien le Seigneur pourrait se trouver irrité d’une pareille conduite et nous en châtier sévèrement ! Mais non, il préfère nous confondre à force d’amour et amasser des charbons ardents sur nos têtes. Sans que nous l’ayons appelé, il nous visite ; et au moment où non seulement nous ne le désirions pas, mais où nous l’offensions par notre défiance, il nous apporte la lumière et la délivrance. Oh comme de semblables visites humilient et rendent petit ! comme elles fondent le cœur et vous ferment la bouche ! Alors nous comprenons clairement ce qu’est la pure, la libre grâce de Dieu ; et voyant que nous ne sommes absolument pour rien dans cette éclatante délivrance, que nous n’y avons contribué ni par une prière, ni par un soupir, ni par un regard vers le Seigneur, ni même par un souvenir de lui, il ne nous reste qu’à baisser les yeux et à embrasser les pieds du Sauveur. « Tout est libre, pure grâce » et cet aveu que nous consentons si rarement à faire franchement, devient pour nos cœurs orgueilleux une source abondante de bénédictions. Voilà pourquoi le Seigneur semble quelquefois s’éloigner pour un temps de ses enfants et leur ôter tout ce qu’ils ont, même l’esprit de prière, tellement qu’ils sont comme muets ; puis quand ils ont passé quelque temps dans cet état, il leur tend la main et les exauce comme s’ils eussent fait monter vers lui la prière la plus belle et la plus onctueuse, voulant ainsi les humilier salutairement et les convaincre bien de cette vérité, qu’en toutes choses cela ne vient ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais uniquement de la libre miséricorde de Dieu. (Romains 9.16)

Revenons à notre récit. Ce n’était pas seulement pour tranquilliser son prophète que le Seigneur s’approchait de lui ; Il voulait aussi le tirer de l’extrême péril dans lequel il se trouvait. La manière dont cette délivrance allait s’opérer, devait servir tout ensemble à magnifier le nom de Dieu et à faire passer la foi d’Élie par une épreuve salutaire. Point de nuage ou de char de feu pour l’enlever ; point de disparition miraculeuse ; point de légion d’anges descendant des cieux pour son cortège. Il n’y eût pas eu d’exercice pour la foi dans une telle délivrance. Dieu conduit Élie par une autre voie. « Lève-toi, lui dit-il, et va du côté de l’Orient, et cache-toi près du Kérith qui coule vers le Jourdain ; tu boiras de l’eau du torrent, et j’ai commandé aux corbeaux de te nourrir là. » Etrange direction en vérité, qui devait rendre la position du prophète plus critique encore. Mais vous vous souvenez de ce que le Seigneur dit à Manoah, le père de Samson : Pourquoi me demandes-tu mon nom ? Mon nom est l’Admirable. Oui, son nom, sa voie sont merveilleux et ses pieds vont à travers les eaux profondes.

Tu demandes si le Seigneur montre encore aujourd’hui, comme autrefois au prophète, le chemin par lequel on doit marcher. Assurément Il le fait. Non pas, il est vrai, en nous parlant par une voix qui frappe les oreilles du corps, mais néanmoins avec tout autant de précision et de clarté. Ainsi, il ne laisse d’ordinaire qu’une porte ouverte devant nous, ce qui veut dire : « marche par ici et ne t’écarte ni à droite ni à gauche. » Veut-il par des avertissements intérieurs nous montrer notre chemin, notre cœur alors ressent une impulsion secrète mais irrésistible qui nous ôte toute hésitation ; voulons-nous essayer d’une autre voie que celle indiquée, plus de paix pour nous, l’agitation s’empare de notre âme, et nous devons rebrousser chemin sans délai. Veut-il nous diriger par des événements extérieurs, il le fait en nous plaçant dans des circonstances et une position telles qu’il ne nous reste qu’un parti à prendre, toutes les autres issues nous étant pour ainsi dire fermées. Les voies par lesquelles le Seigneur nous conduit ainsi sont le plus souvent des voies, comme celle d’Élie, choisies et disposées de manière à éprouver notre foi et à crucifier notre vieil homme ; allons seulement en avant avec confiance. Toutes les fois que le Seigneur dit à l’un de ses enfants : « Lève-toi d’ici et cache-toi au désert près du Jourdain, au bord du torrent, » il ne manque pas d’ajouter l’instant d’après, avec plus ou moins de force dans son cœur : « Les corbeaux te nourriront là ». Toute voie dans laquelle le Seigneur nous appelle à marcher, a sa promesse particulière ; il suffit que nous sachions que c’est lui qui nous dirige, et nous n’avons point lieu de nous effrayer.

III

Voyons maintenant dans quelle disposition d’âme Élie reçut l’ordre de Dieu ? Chez lui comme chez tout autre homme, il y avait certainement quelque chose qui ne s’accordait point avec cette invitation du Seigneur, qui la repoussait, qui n’y pensait qu’avec murmure et défiance. Au lieu d’une délivrance prompte et miraculeuse, aller tout humainement sur ses pieds, et se rendre où ? Dans la Judée, pays désolé par le même fléau que la Samarie ! Puis être relégué dans les solitudes du désert, au torrent de Kérith, sur ces bords inhabités ! Comment croire qu’il serait là à l’abri des poursuites d’Achab et de ses ennemis, et que les eaux de ce torrent échapperaient plus que toutes les autres à l’ardeur dévorante du soleil ! Puis, enfin, être nourri par les corbeaux, ces animaux impurs et voraces ! Tout cela répugnait à son goût et à sa raison ; il eût volontiers pleuré et ri en même temps. Mais sa nature avait beau se révolter, son vieil homme regimber et murmurer sourdement, l’ordre de Dieu restait le même ; les choses n’en allaient pas mieux à sa guise ; il était, en un mot, souffleté et crucifié. — Et dans le cœur d’Élie lui-même se trouvait aussi quelque chose qui donnait en tout cela tort à Élie, et raison à Dieu.

Sans doute, je ne prétends point qu’Élie, au moment où lui arriva cet ordre, eût pu en rendre à Dieu d’ardentes actions de grâces, et s’en réjouir du fond de son âme. Probablement son cœur était chargé et oppressé, mais en même temps ferme et courageux, et cela par la foi, cette foi qui nous fait croire, là même où nous ne voyons point. « Cet ordre vient pourtant de Dieu, se disait-il sans doute à lui-même, il ne peut donc être que saint, juste et bon. Et les directions que Dieu adresse à ses enfants, ne sont-elles pas toujours en réalité des promesses voilées ? Dès qu’il me dit : « Pars d’ici, » je suis assuré qu’il me fraiera le chemin, qu’il me conduira et me gardera dans ma route ; car il ne trompe personne. Pas un serpent ne me nuira ; pas un lion ne m’engloutira ; car je suis la voie de Dieu. Puisqu’il m’ordonne, disant : « Va vers l’Orient, » je suis assuré que lors même que mon chemin semble se diriger vers l’Occident, l’Orient n’en brillera pas moins au dessus de ma tête. Puisqu’il m’ordonne de me cacher au torrent de Kérith, le torrent de Kérith sera pour moi un asile sûr, coulât-il au milieu du château royal à Samarie, et non au milieu du désert ! Je dois me désaltérer à l’eau du torrent. Il le dit ; gage certain que le soleil recevra l’ordre de ne pas effleurer le torrent de ses rayons consumants ». Ainsi pensait le prophète ; puis il continuait ainsi : « Les promesses de Dieu sont des ordres exactement mesurés, et dont il s’impose irrévocablement à lui-même l’accomplissement. Dès qu’il me dit : Je ferai ceci ou cela, il est obligé de l’exécuter pour l’honneur de son nom. Par conséquent, les corbeaux viendront certainement, et ils se laisseront périr de faim, plutôt que de ne pas me fournir ma nourriture. »

Tel fut l’entretien qu’Élie eut avec lui-même ; puis, de la main de la foi, il saisit la parole du Seigneur comme un soutien, et alors il commença son pèlerinage ; et lorsque ses forces défaillaient, il s’appuyait sur ce bâton ferme et solide, et reprenait haleine ; et quand sa route se hérissait de dangers, il jetait un coup d’œil sur cet appui, et son âme reprenait courage. Rencontrait-il le Jourdain, la mer Rouge, ou tels autres obstacles, il frappait avec cette verge, et il passait à pieds secs ; et lorsque la tristesse et le découragement menaçaient d’envahir son âme, avec cette verge, il ordonnait aux nuées, et le ciel redevenait serein. Chers amis, portez-vous aussi un pareil bâton dans votre main ? Etes-vous assurés, comme Élie, que votre chemin est le chemin que Dieu vous a indiqué, et avez-vous reçu, pour votre portion, votre portion propre et privée, une promesse de Dieu générale ou particulière, telle que celle-ci : « Ne crains point ; car je t’ai racheté. Lorsque tu passeras par les fleuves, leurs eaux ne te noieront point ? » Oh oui ! on peut alors marcher avec confiance, fermeté et tranquillité. Voyez notre voyageur, comme il s’avance seul, mais sans crainte. Ne croit-on pas entendre retentir le bruit de ses pas fermes et assurés, quand le texte nous dit : « Et Élie partit, et fit selon la parole du Seigneur, et s’en alla au torrent de Kérith, qui coule vers le Jourdain. »

IV

Venez à présent, et faisons une visite à l’homme de Dieu dans sa nouvelle habitation. Une sauvage solitude, située non loin du Jourdain, s’étend devant nos yeux. Un morne silence règne dans ces vastes plaines, interrompu seulement par le cri de quelques hérons ; l’autruche couve ses petits entre les bruyères et les genévriers, et personne ne vient troubler son repos. On ne découvre pas une route, pas une trace d’homme ; tout est abandonné, inculte, désert. Traversons ces steppes et avançons plus près du Jourdain, vers ces parois nues de rocs à pic, dont le pied est ombragé par de sombres et épaisses forêts. Entrons dans ce taillis touffu ; puis descendons par ce défilé étroit, et arrivons dans la gorge sauvage et boisée, au fond de laquelle le torrent se fraie, en mugissant, un passage entre les parois des rochers. Levez les yeux ! Regardez ; voilà l’homme de Dieu assis devant vous ! Voilà sa demeure ! Le firmament, voilà son toit ; les rochers nus, voilà ses murs ; un bloc de pierre, voilà son banc ; la forêt épaisse, voilà sa chambre à coucher ; le vert gazon, voilà son lit ; le torrent mugissant, les corbeaux faisant entendre leur croassement au dessus de lui dans les branches des arbres, voilà sa société. Il est là, assis, dans son vêtement de peau, muet, enfoncé dans ses pensées ; et chaque fois que le sentiment de la solitude l’oppresse, ou qu’à l’ouïe du sifflement d’un serpent tout proche de lui, ou des rugissements d’un lion dans le lointain, la crainte est sur le point de s’emparer de lui, chaque fois il se répète : » C’est Dieu qui m’a fait asseoir en ce lieu, et le pied de Dieu traverse aussi cette gorge, » et il reprend courage, toutefois dans l’espérance et par la foi. Durant une année, Élie habita dans ce lieu. Une année ! Cela paraît d’abord incroyable. Mais votre étonnement augmenterait bien davantage, si Élie venait vous assurer, que durant tout ce temps il n’a point connu ce que c’est que l’ennui, et que, de jour en jour, la solitude devenait pour lui moins solitaire, et même plus animée, plus familière. Et, sans aucun doute, la chose fut telle. Il n’avait besoin, pour remplir son temps, ni de livres, ni de société, ni de jeu, ni de travail. Son livre, c’était la tranquille nature autour de lui et le trésor de ses expériences intérieures, livre dans lequel il pouvait longtemps feuilleter. Son travail, c’était l’étude de son cœur et la prière, la conversation avec Celui qui lit dans le secret de notre âme. Sa société, c’était son Seigneur et Dieu, dont les appels et les approches, même les plus légères, dans cette tranquille solitude, frappaient beaucoup plus promptement et distinctement ses oreilles qu’au milieu du tumulte de la vie du monde. Bientôt la nature qui l’entourait se transforma en un livre à caractères lisibles, et devint pour lui sa Bible, lui fournissant assez à penser et à méditer ! Ici, le rocher au pied duquel il habitait lui parlait d’un rocher qui vit éternellement, et sur lequel il avait aussi bâti sa maison. Là, le ruisseau, qui murmurait à ses pieds, lui parlait dans son langage et lui adressait toute sorte de choses douces et consolantes, l’entretenant d’autres eaux plus excellentes qui devaient couler un jour, de sources que Dieu ferait jaillir au temps de la sécheresse, de torrents qu’il verserait sur les lieux arides, de fontaines qu’il ouvrirait au milieu des lieux déserts. L’instant d’après, les arbres eux-mêmes commençaient à prêcher au cœur du prophète, et à le consoler agréablement en dirigeant ses pensées vers l’arbre de vie, à l’ombre duquel il avait aussi dressé sa cabane, et vers les palmiers célestes dont les branches répandraient un jour autour de lui la douce fraîcheur d’une paix éternelle. Puis, les oiseaux joyeux chantant dans les airs, et les roses sauvages, sur les buissons d’épines, avaient aussi des consolations à lui donner : « Demeure en paix, ô Élie, et ne t’inquiète point pour « le jour de demain ; celui qui se souvient si fidèlement de chacun de nous dans ce désert, qui nous prépare, aux uns, le boire et le manger, aux autres, la rosée et la fraîcheur, comment pourrait-il t’oublier ! » En un mot, tout commença, peu à peu, à vivre et à respirer, à penser et à murmurer autour de lui ; les étoiles au firmament, les fleurs dans la prairie, les gouttelettes sur les feuilles, les zéphirs dans les buissons, tellement qu’Élie éprouva, d’une manière vivante, ce que dit l’apôtre : « Il y a bien des sortes de langues dans le monde, et rien n’est sans voix. »

Et lorsqu’il s’était ainsi réjoui et récréé par la contemplation du monde et des objets extérieurs, il rentrait dans son intérieur, s’enfonçait au dedans de lui-même, et épiait ce qui se passait dans ses profondeurs. Ainsi recueilli, il jetait tantôt un nouveau regard dans l’abîme de sa misère et de sa corruption intérieure, et versait des larmes, gémissant et luttant en prière avec le rocher de son salut. Tantôt son attention se portait sur l’œuvre de Dieu en lui, et sur les gages indubitables qu’il possédait de l’habitation du saint Esprit, de sa force créatrice, de son souffle, de ses témoignages vivants, et la gorge solitaire retentissait de psaumes, comme un temple, et d’hymnes ferventes et de chants d’actions de grâces, dont l’écho lointain résonnait d’une manière étrange et merveilleuse dans ces lieux sauvages. Mais ce qui, plus que toute autre chose, rendait au prophète le temps court et doux dans sa solitude, c’était qu’il vivait dans l’attente continuelle du céleste époux de son âme, dont il savait bien qu’à chaque moment il pouvait entendre tout auprès de lui les pas et la voix. Il était donc toujours attentif, toujours alerte, épiant le moindre bruit autour de lui ; et il ne cessait de remarquer, à divers signes, la présence du Seigneur, entendant sa voix tantôt ici, tantôt là, tantôt loin, tantôt près ; et si, parfois, quelques heures de deuil et de tristesse venaient se mêler à ces jours de paix, ou que l’inquiétude et le découragement menaçassent de le ressaisir, soudain, et comme à l’improviste, la voie rauque des corbeaux retentissait dans les branches au dessus de sa tête, et ce salut sauvage ranimait le cœur du prophète ; sa tête se redressait, son œil redevenait joyeux, et, joignant ses mains, « Non, disait-il, non, mon Seigneur et Dieu, tu ne m’as pas oublié ! »

O que personne ne s’afflige outre mesure, si Dieu l’exile momentanément dans le désert, au torrent de Kérith, près du Jourdain. Car, de nos jours, Dieu en agit encore de même avec ses enfants. Par exemple, ô mon frère, lorsqu’il te visite par la maladie, et te couche seul et abandonné sur un lit de douleur, ou lorsque tes amis se trompent sur ton compte, s’éloignent de toi et te délaissent, que tu es regardé par tout le monde comme un être digne de mépris, et que tu ne trouves ni maison, ni cœur qui s’ouvre à toi, ou lorsque tu es réduit à habiter, comme un étranger en Mésech, au milieu de gens disposés tout autrement que toi, qui ne te comprennent point, et qui se rient de la voie par laquelle Dieu te conduit ; ce sont là tout autant de circonstances dans lesquelles tu te trouves assis à côté d’Élie, au torrent de Kérith. Mais que cela ne t’effraie pas ! Prends courage ! Oh, quels fruits bénis et salutaires peut produire un tel état d’isolement et d’abandon ! Des milliers de chrétiens ont dû le confesser hautement : C’est dans leurs prisons, dans les lieux de leur exil, sur leur solitaire lit de souffrance, dans ces jours où ils ont été méconnus et abandonnés par les hommes, et où le monde les rejetait de son sein ; c’est dans de telles circonstances qu’ils ont appris à descendre réellement dans leur propre cœur et à connaître à fond le véritable état de leur âme ; c’est alors que le levain des pharisiens a dû disparaître, et qu’un Sauveur en peinture et en idée n’a plus pu leur suffire ; c’est alors qu’ils ont commencé à avoir sérieusement et réellement faim et soif de sa présence, et que le besoin de s’attacher à son côté, les efforts et la lutte de Jacob, depuis le soir jusqu’à l’aurore, toutes ces choses, qu’ils n’avaient jusqu’alors possédées qu’en mots, devinrent pour eux des faits réels et substantiels, pénétrèrent en eux jusqu’à la moelle des os, et entrèrent enfin réellement dans la sphère de leur propre expérience ; et ainsi de cent autres sujets du christianisme intérieur, qui, jusque là n’avaient exercé que leur réflexion et leur intelligence, et qui devinrent alors, en eux, réalité et vie. C’est aussi alors seulement qu’ils commencèrent à faire partie des vraies brebis du Seigneur qui entendent sa voix ; jamais ils ne sentirent aussi vivement qu’il est réellement vivant, parlant avec ses enfants, bouche à bouche, comme un homme avec son ami, marchant et correspondant personnellement avec eux ; jamais ils ne ressentirent d’une manière si puissante, directe, vivante, ses infatigables et maternelles consolations, et la douceur de sa présence ; jamais ils n’expérimentèrent mieux toutes ces grâces que dans ces moments où leur sentier solitaire traversait les steppes arides, et où ils étaient forcés d’être seuls sur la terre, avec leur Seigneur. Courage donc, ô vous tous, qui êtes exilés au torrent de Kérith et dans le désert. Comme le dit David, les habitations du désert aussi sont grasses et fertiles ; et les parcs, situés dans des lieux sauvages, distillent aussi des bénédictions, et, pour complaire aux enfants de Dieu, les chardons mêmes doivent porter des figues, et les épines des raisins.

« Tu boiras de l’eau du torrent, et les corbeaux te nourriront. » Ainsi dit le Seigneur ; et quelque étrange, quelque merveilleuse qu’une pareille chose dût lui paraître, Élie s’humilia et crût. Sa foi ne le trompa pas. Peu de jours s’étaient écoulés, et tout le pays était semblable à une lande desséchée ; champs et forêts ressemblaient à un lieu consumé par un incendie ; un seul endroit, reste frais et vert, c’est la gorge solitaire où vit le prophète. Toutes les sources tarissent, tous les torrents n’offrent plus aux yeux qu’un lit desséché par les feux du soleil ; un seul petit ruisseau continue à couler et à murmurer, c’est le ruisseau de Kérith, qui se conserve aussi limpide, aussi frais, aussi abondant que s’il n’était rien arrivé de particulier. Les corbeaux, eux aussi, s’acquittent fidèlement de leur emploi. O miracle ! Cet oiseau rapace, déclaré impur par la loi, cet oiseau si vorace, si insensible, qu’il laisserait périr de faim ses pauvres petits, si Dieu même n’intervenait pour les nourrir, (comme il le dit à Job : « Qui est-ce qui prépare la nourriture aux corbeaux, lorsqu’ils crient vers Dieu et qu’ils volent de côté et d’autre, et qu’ils n’ont rien à manger ? ») eh bien, cette créature se présente ici à nous, accomplissant les fonctions de l’amour le plus désintéressé, morte, en quelque sorte, à sa nature et au caractère de s’on espèce, allant et venant par l’ordre de Dieu, reniant ses propres appétits, et remplissant envers l’homme l’office du dévouement le plus touchant. Quand l’aurore commence à blanchir au dessus des rochers de Kérith, leur cri retentit déjà au sommet des arbres, et lorsque Élie se réveille, il voit, à ses pieds, sa provision de nourriture pour le jour entier ; et lorsque le soleil décline et que le soir descend sur la terre, ils reparaissent de nouveau, ces noirs messagers, abondamment chargés de pain et de viande, et quelque faim qui les dévore, pas un ne cède à ses appétits. Et cela n’a pas lieu une fois seulement ; cela a lieu toute une année, deux fois par jour, sans interruption. O folie de Dieu, que tu es douce et précieuse ! Que le monde se taille des dieux aux allures nobles et élevées, et qui ne gouvernent qu’en gros. Pour nous, nous nous tenons fermement attachés au Dieu d’Élie, et notre plaisir est de contempler comme il se joue sur la terre. (Proverbes 8.30-31)

Il vit encore, ce Dieu, vivant Sauveur, se laissant trouver et toucher au doigt, faisant ses délices des enfants des hommes ; ses serviteurs et ses servantes forment encore une grande armée tout autour de lui ; dès qu’il dit : « Viens ! » ils viennent ; dès qu’il dit : « Va ! » ils vont ; peu lui importent l’art et la science ; il donne à ceux qu’il aime des chiens pour médecins (Luc 16.21), des corbeaux pour pourvoyeurs, selon qu’il lui plaît, se moquant ainsi des gens entendus, tandis qu’il aime à jouer avec les enfants ; et il n’y a point eu de fin à ses miracles jusqu’à ce jour.

Quel autre que le Dieu d’Élie tira, il y a peu de temps, d’une manière si touchante et si merveilleuse, un pauvre homme de la détresse, non par un corbeau, il est vrai, mais aussi par un oiseau. Vous savez comment la chose se passa. Cet homme était de grand matin sur le seuil de sa porte ; ses yeux étaient rouges de larmes, son cœur soupirait et criait vers le ciel ; car il attendait les huissiers qui devaient, ce jour-là, le saisir, lui et son petit avoir, à cause d’une faible dette pour le paiement de laquelle personne n’avait voulu lui prêter. Et comme il se tenait là le cœur oppressé, un oiseau vole tout à coup près de lui dans la rue, errant çà et là comme si à lui aussi on lui avait ôté son repos, jusqu’à ce qu’enfin il s’élance avec la rapidité d’un trait, par dessus la tête du pauvre homme, dans sa cabane, et va se poser sur une armoire de provisions, alors vide. Notre homme qui probablement ne soupçonnait pas qui lui envoyait ce petit oiseau, rentre aussitôt, prend l’oiseau et le met dans une cage où il commence à chanter ; et ce chant retentissait aux oreilles de l’homme comme une mélodie religieuse, telle que celle du cantique : » Ne tremblez pas quand les angoisses, etc., etc., » et il l’écoutait avec plaisir et son cœur souffrant en était soulagé. Tout à coup on heurte à la porte. « Ah sans doute les huissiers, » se dit le pauvre homme. Mais non ; c’était le serviteur d’une riche dame du voisinage qui entre en lui disant qu’on avait vu voler un chardonneret près de sa maison, et qui lui demande s’il n’aurait point réussi à le reprendre. Oui, le voici, lui répond notre homme, et l’autre part avec l’oiseau. Mais au bout de quelques moments il revient ; en disant : « Vous avez rendu un grand service à ma maîtresse ; car cet oiseau est sans prix pour elle. Elle vous envoie ses remerciements et vous prie d’accepter cette petite marque de reconnaissance. » C’était le montant de sa dette, ni plus, ni moins ; et lorsque les huissiers arrivèrent, « Voilà l’argent, leur répondit-il, laissez moi en repos ; mon Dieu m’a prêté. »

Quelque chose de semblable est arrivé à l’un de nos frères qui peut-être est présent et peut attester la vérité de mon récit. Un jour, son cœur était déchiré à la vue de ses enfants en pleurs, auxquels il n’avait pas même un morceau de pain à donner ; l’armoire était vide ; il n’avait pas une pièce de monnaie dans sa bourse. Près de succomber au désespoir, il se retira dans un coin obscur de la maison, et se mit à prier avec larmes le Dieu qui nourrit les petits du corbeau et qui revêt les lys des champs, et à lui dire : « Donne nous aujourd’hui notre pain quotidien, » comme il ne le lui avait sans doute jamais dit. Au moment où il se relève de sa prière le cœur un peu raffermi et où il s’avance vers la porte de sa maison, un chien passe tout à coup devant lui, et en passant laisse tomber devant la porte un morceau de viande qu’il portait à la bouche et s’enfuit. — « C’est le Seigneur qui nous l’envoie, » dit le pauvre homme, en relevant le morceau de viande et en rentrant dans la chambre, « ô Dieu fidèle ! » répétait-il les yeux en larmes ; et lorsque la viande fut apprêtée, qu’elle fut là sur le plat, que toute la petite famille affamée fut rangée autour de la table, et que la prière : « Les yeux de tous s’élèvent vers toi, etc., » fut prononcée par l’un d’entre eux, ils furent tous remplis d’une émotion aussi solennelle que s’ils eussent mangé l’agneau pascal.

Oui, le Dieu d’Élie vit encore, et à ce chapitre se rapportent aussi toutes ces expériences, ô mes bien-aimés frères, dont vous m’avez vous-mêmes fait le récit, lorsque dans de cruelles et d’amères détresses vous vous êtes vus tout à coup miraculeusement tirés d’embarras, par la main de personnes qui non seulement vous étaient étrangères, mais qui étaient même indisposées et aigries contre vous à cause de vos sentiments religieux ; de personnes qui n’avaient pas la foi, et qui à l’ordinaire ne pouvaient souffrir les humbles fidèles. L’une se sentait tout à coup pressée, sans savoir pourquoi ni comment, mais d’une manière irrésistible, de vous envoyer telle ou telle chose ; une autre avait perdu le sommeil par le sentiment qu’elle n’avait encore rien fait pour vous ; et malgré tous ses efforts pour étouffer cette pensée, elle n’avait pu regimber plus longtemps contre l’aiguillon. Oui, Celui qui les forçait à venir à votre aide, c’était ce Dieu qui dirige les cœurs comme des ruisseaux d’eau, et auquel, lorsqu’il veut quelque chose, il n’y a pas moyen de résister. Ce que ces personnes firent alors pour vous, elles ne vous le firent pas parce qu’elles le voulaient, mais parce qu’elles ne pouvaient pas ne pas vous le faire, et ainsi vous éprouvâtes que le Dieu d’Élie, ce Dieu qui peut pourvoir aux besoins des siens même par l’entremise de noirs corbeaux, vit encore.

C’est pourquoi, que celui qui se sent véritablement son enfant, ait bon courage. Croyez, croyez seulement, ô vous tous qui êtes assis au bord du Kérith et au milieu des déserts ; car la foi rend superflu or et argent, estime, crédit, médecin, remède et bien d’autres choses, et la foi est le tombeau des soucis ; et vous le savez vous-mêmes, ô mes bien aimés, c’est en vain qu’on se lève matin, qu’on se couche tard et qu’on mange son pain dans les larmes ; car, pour ses amis, nous dit David, il le leur donne pendant qu’ils dorment. Veuille le Dieu qui remplit de chants de joie l’âme fidèle au milieu des nuits, nous enseigner à tous cette hymne du psalmiste : Je me couche et m’endors en paix, car, c’est toi seul Seigneur qui me fais habiter en assurance ! Amen. (Psaumes 4.8).

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