Élie le Tishbite

7.
Élie et le peuple sur le Carmel

Qui de vous, mes frères, ne connaîtrait pas le jugement que le sage Salomon prononça entre ces deux femmes, qui s’étaient présentées devant lui avec un seul enfant, que chacune réclamait comme étant le sien ; l’autre enfant était mort pendant la nuit. Salomon fit apporter une épée et dit : « Partagez en deux l’enfant qui vit, et donnez-en la moitié à l’une, et la moitié à l’autre. » Mais la femme dont le fils vivait s’écria (car son cœur maternel fut ému de compassion envers son enfant) : « Hélas, mon seigneur, donnez-lui l’enfant vivant, et ne le faites pas mourir. » Mais l’autre femme dit : « Il ne sera ni à toi, ni à moi, qu’on le partage. » (1 Rois 3.16-26)

Si je vous rappelle cette histoire, c’est pour vous dire qu’il y a dans les cieux un cœur de mère qui a pour nous les mêmes sentiments qu’avait la véritable mère pour son fils. Celui qui nous aime d’un tel amour, est Celui dont il est dit : « Je vous consolerai comme une mère console son enfant, » et ailleurs : « La femme oublierait-elle l’enfant qu’elle allaite, et n’aurait-elle plus pitié du fruit de ses entrailles ? Mais quand elle l’oublierait, encore ne vous oublierais-je pas, moi. » Mais le Dieu vivant ne se contentera pas non plus d’une moitié de nous ; il nous veut tout entiers, ou point du tout. Il a décidé par devers lui de ne jamais entrer en partage avec le diable ou le monde.« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, dit-il, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toutes tes forces. Tu n’auras point d’autre Dieu devant ma face. Laisse les morts ensevelir les morts, et toi, suis-moi. Celui qui ne hait pas père, mère, frère, sœur, ne peut être mon disciple. « Quelle sainte jalousie ! Mais que signifient ces mots : être tout entier au Seigneur, être un chrétien complet ? Nous allons l’apprendre par les paroles et la conduite de cet homme qu’Élisée nommait les chariots d’Israël et sa cavalerie.

1 Rois 18.21-24

21 Puis Élie s’approcha de tout le peuple, et dit : « Jusques à quand boiterez-vous des deux côtés ? Si l’Eternel est Dieu, suivez-le ; mais si c’est Bahal, suivez-le. » Et le peuple ne lui répondit pas un mot. 22 Alors Élie dit au peuple : « Je suis demeuré seul prophète de l’Eternel ; mais les prophète de Bahal sont au nombre de quatre cent cinquante. 23 Donnez-nous deux veaux ; qu’ils en choisissent un pour eux, qu’ils le mettent en pièces et le mettent sur du bois, mais qu’ils n’y mettent point le feu ; et je préparerai l’autre veau et je le mettrai sur du bois et je n’y mettrai point de feu. 24 Et invoquez le nom de vos dieux, et moi j’invoquerai le nom de l’Eternel. Et que le Dieu qui répondra par le feu, soit Dieu. » Et tout le peuple répondit, et dit : « C’est bien dit. »

Une scène dont le souvenir ne finira pas avec ce monde, se présente à nos regards. Y a-t-il ou non un Dieu dans le ciel ? Jehovah ou un autre est-il le vrai Dieu ? Telle est la question que Dieu même veut décider, telle est l’ancienne discussion à laquelle il veut lui-même mettre un terme. Et il le fera en un langage qui parlera non aux oreilles seulement, mais aux yeux. Nous verrons aujourd’hui les préparatifs de cette scène imposante, et la prochaine fois, s’il plaît à Dieu, nous assisterons au miracle même.

Nous trouvons dans notre texte un sermon d’Élie, bref de paroles, mais profond de sens, et dur pour ceux qu’il atteint. Nous l’étudierons, et considérerons : d’abord les reproches d’Élie au peuple ; puis son courage intrépide ; enfin, sa foi.

I

Nous avons quitté la ville de Samarie, et nous sommes aujourd’hui sur le haut sommet du Carmel. Nous entendons le bruit lointain des vagues de la mer qui se brise au pied de la montagne et qui s’étend à perte de vue vers le couchant. Du côté opposé nos regards parcourent, au-delà du torrent de Kison, la vaste plaine d’Esdrelon où s’élève le Thabor, et nous y apercevons, dans les collines qui la bordent vers le septentrion, la petite ville de Nazareth ; aux limites bleuâtres de l’horizon, vers le couchant, brille le lac de Genesareth, et vers le nord se dessinent les montagnes du Liban. Spectacle sublime, digne d’être nommé « la magnificence du Carmel, » comme l’appelait tout récemment encore un missionnaire qui avait annoncé la parole de la croix sur cette montagne. Aujourd’hui, on y trouve, à côté d’un couvent de moines chrétiens, une mosquée turque, et plusieurs chapelles souterraines et, autres grottes destinées au culte divin, où, chaque année, se réunissent, à la fête d’Élie, de nombreuses troupes de mahométans et de chrétiens, pour se prosterner en commun devant le même saint. Que ferait Élie au milieu de ces prêtres de Bahal, s’il pouvait revenir encore une fois sur l’ancien théâtre de son zèle et de ses combats ? — C’est donc sur le Carmel que nous nous trouvons aujourd’hui. Élie est là, entouré d’une multitude innombrable. Ici les quatre cent cinquante prêtres de Bahal, là les quatre cents prêtres des bocages qui mangent à la table de Jézabel, troupe dissolue et maudite. Voilà le roi idolâtre en personne avec sa brillante cour, et tout autour le pauvre peuple, égaré et séduit, qui est accouru par milliers de toutes les parties du royaume, et qui attend avec curiosité et anxiété les choses qui doivent avoir lieu.

Quand toute la foule est réunie, Élie se présente à elle, simple, noble, vêtu de poils, les reins ceints d’une ceinture de cuir ; il regarde autour de lui d’un œil calme et serein, et comme tout se tait, il s’adresse au peuple entier, et dit : « Jusques à quand boiterez-vous des deux côtés. Si Jehovah est Dieu, suivez-le ; mais si c’est Bahal, suivez-le. » Parole grave et courageuse. Quel effet produit-elle ? Le peuple en sent la vérité et « ne répond pas un mot. » C’est au peuple qu’Élie adresse le reproche de boiter et de boiter des deux côtés, de se jeter tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, de partager son cœur et son culte entre Jehovah et Bahal. Il ne pouvait, en effet, faire le même reproche à la famille royale, à la cour, aux prêtres, qui étaient des idolâtres décidés, qui étaient adonnés de corps et d’âme au culte impie et charnel de l’idole phénicienne. Le peuple ne pouvait avoir entièrement oublié tout ce que Jehovah avait fait en faveur de ses pères. Il ne s’était pas complètement détourné de Dieu. Il cherchait à se persuader à lui-même qu’ils n’étaient pas cependant de vrais idolâtres, et qu’ils adoraient non le veau d’or même, mais le vrai Dieu sous l’image de ce veau. Ils mêlaient et confondaient Dieu et Bahal, et inventaient une religion au moyen de laquelle ils se livraient à toutes les abominations et les dérèglements du paganisme, tout en se disant à eux-mêmes, pour se tranquilliser la conscience, qu’ils marchaient à tout prendre selon la foi et par le chemin de leurs ancêtres, et que si leur culte différait quelque peu par sa forme de celui qu’avait prescrit Moïse, il y était conforme par son esprit. Adroite manière d’embellir le mal, de voiler sa laideur, de se tromper soi-même, de servir en paix deux maîtres ! Tels étaient ceux à qui Élie adressa ses paroles.

Et je vous dis, que si Élie était notre prédicateur, nous entendrions de sa bouche maints sermons, pareils à celui qu’il fit à Israël. Il ne pourrait se taire en nous voyant à tant d’égards boiter des deux côtés, chanceler et vaciller. Sans doute il y a parmi nous aussi quelques âmes décidées : on en trouve de l’un et de l’autre côté, sur la route de la mort comme sur celle de la lumière et de la vie. De même que nous comptons des âmes qui se sont dépouillées de tout pour n’être vêtues que de Christ, de même aussi il s’en trouve au milieu de nous plusieurs qui ont rompu toutes leurs relations avec le Seigneur Jésus, qui lui ont tourné le dos et fermé la porte, et qui lui ont déclaré une fois pour toutes ne plus se soucier de son amitié. Leur veau d’or, à eux, ce sont les plaisirs et la gloire de ce monde qui passe, et ils les préfèrent à l’Agneau de Dieu avec son sang et ses blessures. Ils sacrifient au Diable, sont soumis à la chair, se rient de l’enfer, et tentent au nom du Diable d’aller à la rencontre de l’éternité, si tant est qu’il y ait après ce monde une éternité. Ce sont des gens décidés, des gens de caractère, qui savent ce qu’ils font, et qui ont la conscience claire de ce qu’ils veulent, qui ne boitent pas… Voyez-les plutôt marcher d’un pas ferme, droit au feu qui ne s’éteint point, au ver qui ne meurt point. Et ils sont un grand peuple, des jeunes gens et des vieillards, des hommes et des femmes, des commerçants et des ouvriers, des maîtres et des domestiques : vases de colère, faits et réservés pour la manifestation de la justice de Dieu au grand jour du jugement. Le rocher de Jacob tombera sur eux et les écrasera.

Mais auront-ils dans ce jour un meilleur sort ceux qui restent campés entre les limites, et qui veulent appartenir par une moitié de leur cœur à Bahal, et par l’autre à Jehovah. Oh ! si seulement la race des gens doubles de cœur ne formait pas la majorité parmi les hommes ! Boiter des deux côtés est à l’ordre du jour, et la décision dans la vie divine est une perle rare.

Malheur à toi, race adultère, qui penses pouvoir partager ton amour et ton culte, entre Dieu et le monde, qui plies à cette heure les genoux devant l’Eternel, et qui, en sortant des temples, cours après les faveurs du monde ! Qui est le souverain bien ? Si c’est le Seigneur, pourquoi n’est-il pas ton tout ? A quoi bon cette indigne poursuite d’avantages et de trésors passagers ? Pourquoi cette soif idolâtre de vains honneurs et d’une gloire terrestre ? Pourquoi ces soucis et ces inquiétudes pour les richesses et les commodités de cette vie, cette recherche d’un bien-être et de plaisirs mondains, cette affliction païenne sur des pertes temporelles ? Que le Seigneur soit ton trésor, qu’il soit ton unique amour et ton seul délice ! Mais si le monde est le souverain bien, si c’est en lui que tu trouves ton bonheur, si c’est lui qui peut te racheter et te consoler ; eh bien, vis au monde, et ne perds pas ton temps à chanter et prier, à aller à l’église et à lire la Bible. Sache enfin ce que tu veux, qui tu es, et décide-toi pour ou contre Dieu, pour ou contre le monde.

Malheur à vous, qui boitez entre le temps et l’éternité ! en boitant ainsi, vous finirez par tomber dans l’enfer, soyez-en certains. Décidez-vous donc. Si la vie de l’homme se termine ici-bas, et qu’il n’y ait rien à attendre au-delà du tombeau, eh bien, prenez pour votre devise :« Mangeons et buvons, et nous réjouissons ; car demain nous mourrons ; » jouissez de la vie, laissez à vos désirs un libre cours, et ne faites pas la folie de perdre votre temps à ce qu’on appelle se préparer pour l’éternité. Mais si votre demeure permanente n’est pas ici bas, s’il y a une cité future, une éternité sans fin, pourquoi vous arrêter le long du chemin, pourquoi y construire des tentes ? Soyez entièrement pèlerins et voyageurs, rejetez de vous ce qui empêche votre marche, arrachez ce qui vous barre la route, et estimez toutes choses comme de l’ordure, afin que vous puissiez un jour entrer par la porte étroite, et que le mot éternité ne retentisse pas à vos oreilles comme un coup de tonnerre. Il vaudrait bien la peine, à ce qu’il me semble, de sacrifier tous les soucis à un seul, à celui d’échapper à des tourments sans fin, et d’être rendu participants d’une félicité sans fin. Mais se conduire à moitié comme des enfants du siècle, à moitié comme des enfants de l’éternité ! De ces deux moitiés ne résulte qu’une mort totale.

Malheur à vous, qui boitez entre le culte de la vérité et celui du mensonge, entre la sagesse de votre raison et la sagesse de Dieu ! à vous qui, selon que cela vous convient, croyez tantôt à la Bible plus qu’à vous, et tantôt à vous plus qu’à la Bible ! Si la parole de Dieu est véritable, soumettez-vous à elle en toutes choses, même dans celles qui contredisent votre nature et vos convoitises. Croyez non seulement ses promesses, mais aussi ses menaces ; croyez-la non seulement quand elle annonce des choses agréables, mais aussi quand elle dit qu’il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Christ, et que nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu, s’il n’est né de nouveau. Mais si c’est vous qui êtes les sages et les savants, soyez-le complètement, maintenez-vous dans votre position, déchirez le livre de Dieu, et ne boitez pas, car c’est une chose ridicule et insensée.

Malheur à vous qui hésitez entre le christianisme et l’antichristianisme ! Si le christianisme est de Dieu, embrassez sa cause de tout votre cœur, estimez comme une gloire la honte que vous recueillerez, montrez-vous hardiment en public sous l’étendard du troupeau méprisé d’Israël, abandonnez les lieux tumultueux où se rassemblent les futiles enfants du monde, cessez de vous conduire comme eux, retirez-vous de leurs plaisirs et de leurs fêtes, et là où le royaume de Dieu se lève comme une aurore, là où la vie s’éveille dans le vaste cimetière du monde, et s’émeut et s’agite, ne criez pas avec les ennemis : « Que va-t-il résulter de ce mouvement ? ces gens-là vont trop loin, ils tombent dans le fanatisme ; » mais réjouissez-vous de ce qu’ils rompent l’uniformité de la vie ordinaire, et de ce que les chants des harpes et les sons des trompettes retentissent de nouveau autour de l’arche de l’alliance que précèdent en dansant de nouveaux Davids. Mais si le christianisme n’est qu’erreur et mensonge, pourquoi perdez-vous encore quelques paroles à le défendre. Maudissez-le plutôt et passez dans les rangs de l’antéchrist.

Malheur à vous qui hésitez et vacillez entre Jésus et vous-mêmes ! Qui est votre Sauveur ? Qui est votre caution ? Qui peut délivrer vos âmes ? Le pouvez-vous vous-mêmes ? Bien ; mais dans ce cas, à votre place, je laisserais de côté ce Jésus, et je ne me conduirais plus comme si mon salut reposait entre ses mains. Mais si c’est lui qui mène au Père, comment aurais-je quelque repos avant de m’être converti à lui de tout mon cœur ; je chercherais à le saisir pour ne plus le lâcher, je le retiendrais nuit et jour auprès de moi, je ferais de lui le centre de mes pensées et de mes actions. Mais vous n’êtes pour lui ni froids, ni chauds, comme si vous ne saviez pas encore ce qu’il est ; s’il est le Sauveur, ou si c’est vous qui l’êtes. Prenez garde, tièdes, qu’il ne vous vomisse de sa bouche. Et pourquoi hésitez-vous entre sa justice et la vôtre ? Laquelle des deux vous sauvera lors du jugement ? Est-ce la vôtre ? Reposez-vous donc sur elle, et cessez de babiller des mérites de Jésus-Christ. Est-ce la sienne ? Pourquoi faire alors tant de cas des ordures de vos misérables vertus, qu’on ne puisse être deux minutes auprès de vous sans apprendre indirectement de vous quelles personnes pieuses vous êtes, que de bien vous faites, comme vous lisez assidûment la Bible, comme vous allez régulièrement au temple, et comme vous sanctifiez ponctuellement le sabbat ? Je vous le répète, avec une telle conduite et un cœur ainsi partagé, vous êtes en abomination au Seigneur. « Personne, dit-il, ne peut servir deux maîtres ; ou il aimera l’un et haïra l’autre ; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre ; vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Celui qui n’est pas pour moi, est contre moi, dit-il encore, et qui ne rassemble pas avec moi, disperse. » Et que dit l’apôtre :« Ne vous attachez pas au même joug avec les infidèles ; car qu’y a-t-il de commun entre la justice et l’iniquité, et quelle union y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord y a-t-il entre Christ et Belial ? ou qu’est-ce que le fidèle a de commun avec l’infidèle ? Et quel rapport y a-t-il du temple de Dieu avec les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant. C’est pourquoi sortez du milieu d’eux et vous en séparez, dit le Seigneur, et ne touchez point à ce qui est impur, et je vous recevrai. »

Combien longtemps boiterez-vous encore des deux côtés, vous crie Élie. Si l’Eternel est Dieu, servez-le, si c’est Bahal, servez-le. » Et le peuple dut reconnaître en son cœur que l’homme de Dieu avait raison. Et vous, je pense, vous n’aurez non plus rien à objecter, et l’on pourra dire de vous ce qui est écrit dans le texte : « Tout le monde se tut et ne répondit pas un mot. »

II

Élie ne veut point décider lui-même la question si l’Eternel ou Bahal est Dieu. Il en laisse le soin à Dieu qui le fera à sa manière, et il se garde d’anticiper sur ce redoutable prédicateur. Il continue son discours en ces termes ; « Je suis seul demeuré prophète de l’Eternel ; mais les prophètes de Bahal sont quatre cent cinquante. » Il n’était sans doute pas le seul homme de Dieu qui vécut alors en Israël ; mais il était le seul qui fut encore sur le théâtre de la vie publique, le seul qui défendit la cause de Jehovah contre les ennemis. Les autres étaient en partie égorgés, en partie dispersés, en partie cachés sous terre dans les cavernes. Représentez-vous la position d’Élie. A l’exception d’Abdias, qui se trouvait peut-être dans la suite du roi, il n’y avait dans toute la multitude sur le Carmel pas un seul homme qui pensât comme lui, pas un seul sur lequel il eût pu s’appuyer, pas un frère dont le regard l’aurait encouragé, dont l’approbation secrète l’aurait soutenu et enflammé. Ah vous savez ce que c’est que de se trouver seul au milieu d’une foule qui vous est étrangère d’intérêts et de croyances. Vous savez comme on se sent oppressé et enchaîné, comme on perd tout courage pour confesser son Sauveur ; on est muet et peureux, c’est à peine si l’on peut respirer. Mais notre prophète fleurit dans ce désert comme une rose, et brûle dans cette atmosphère étouffante comme un flambeau. Son cœur est au large, sa poitrine libre, sa langue déliée. Il sent une grande joie à témoigner du nom de son Seigneur au milieu de ce peuple pervers ; mais sa joie n’est si grande que parce que son cœur ne brûlait véritablement que pour la gloire de son Dieu. Dans de semblables circonstances, nous ne serions pas si embarrassés, si angoissés, si nous tenions un peu plus à la glorification du nom de Dieu, et un peu moins à notre propre honneur et à notre propre bien-être. Mais nous n’aimons point assez Dieu, et nos cœurs ont pour lui trop peu de ces embrasements de feu (Cantique des cantiques 8.6), que plusieurs fleuves même ne pourraient point éteindre. Je ne le sais que trop : pour que nous confessions Dieu avec joie, il faut qu’il y ait là tel ou tel de nos frères qui soit témoin de notre courage, qui sache apprécier notre conduite. Nous connaissons, hélas, mes frères, les ruses de vos cœurs et vos côtés faibles ; notre propre cœur nous les a révélés.

« Je suis resté seul prophète de l’Eternel, mais les prophètes de Bahal sont quatre cent cinquante. » Élie n’est entouré que d’ennemis, de contempteurs des anciennes révélations de Dieu, d’incrédules et de moqueurs, de grands et de petits, de gens instruits et d’ignorants. Vous savez, chers frères, l’influence que peut exercer sur nos cœurs une semblable position : quand on est seul au milieu d’incrédules, surtout si ceux-ci sont des personnes considérées, sages et prudentes, on est tenté de se demander, si l’on aurait donc seul raison, et si tous les autres auraient tort, et l’on est facilement entraîné à agrandir quelque peu la porte du ciel, à élargir le sentier étroit, à retrancher tel ou tel point de l’ordre de la grâce, et en général à ne plus retenir la doctrine évangélique dans toute sa pureté et sa précision. Mais Élie paraît avoir été bien au dessus de toutes ces influences du dehors. Aussi, peu lui importaient les personnes au milieu desquelles il se trouvait. Ses croyances ne changeaient pas avec les circonstances extérieures ; elles étaient trop bien enracinées. Et quand le monde entier en aurait eu d’autres que lui, quand il eût été seul de sa foi sur la terre entière, il n’en aurait pas abandonné pour cela la plus petite parcelle ; il aurait affirmé avec une pleine confiance, que lui seul avait raison, et le monde entier tort, car il aurait pu dire ce que peu osent répéter : Je sais en qui je crois. Tous les articles de sa foi, il les avait appris par l’expérience, et ce n’est qu’ainsi qu’ils poussent des racines dans notre âme, et s’y consolident assez pour ne pas être ébranlés et ployés par chaque vent qui souffle du monde.

« Je suis resté seul prophète de l’Eternel, et les prophètes de Bahal sont quatre cent cinquante. » Peu m’importe leur nombre, veut dire Élie, ils seraient quatre mille que je ne les craindrais pas davantage. Quelle assurance ! Mais il y a une certaine assurance qui sied bien aux enfants de Dieu, une assurance en Dieu dans laquelle nous pouvons dire avec Luther : « Quand le monde serait plein de diables, et qu’ils voudraient nous dévorer, nous n’aurions pas grande peur d’eux, nous n’arriverions pas moins au but. » Et avec Élisée : « Voici, il y en a plus de ceux qui sont avec nous que de ceux qui sont avec eux. » (2 Rois 6.16-17). Que n’y a-t-il parmi nous un peu plus de cette assurance ! Nous ne perdrions pas sitôt courage, et ne laisserions pas si promptement nos ailes se replier. Qui avons-nous donc à redouter, quand Dieu est pour nous et qu’il nous entoure comme une muraille de feu ? Tous peuvent craindre à notre vue, mais nous, il n’y a personne ni dans le ciel, ni sur la terre, devant qui nous devions trembler. Que nous peut le Diable ? Il n’a sans doute pas peur de la pourpre ni des couronnes ; mais le plus modeste habit d’un chrétien le remplit d’effroi et d’angoisses. Que nous peut la mort ? Les cèdres du Liban tremblent et chancellent à la voix de ce roi des épouvantements ; mais le lit où meurt l’un des plus petits dans le royaume des cieux devient pour la mort un retranchement contre lequel elle se brise la tête : « Jusqu’ici, et pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots. » Que nous peut le péché ? Il est le domestique du Diable, il lui remplit l’enfer ; mais il ne doit pas nous effrayer ; nous avons une croix sanglante avec laquelle nous le terrassons. Et que nous peuvent les méchants et les adversaires ? Notre héros les brisera en pièces comme des vases de terre ; il les contient de sa main puissante, et comme ils rougiront un jour devant nous ! Ayez donc une pleine assurance. « La voie de l’Eternel dit Salomon, est l’assurance des hommes pieux, et la ruine des méchants. » (Proverbes 10.29)

III

Quelle est la pensée d’Élie, quelle proposition va-t-il faire ? se demande le peuple à l’ouïe de ses premières paroles. Élie veut préparer à son Dieu une chaire de laquelle Dieu lui-même témoignera de son nom par un discours de feu. « Qu’on nous donne deux veaux, que les prophètes de Bahal en choisissent un pour eux, qu’ils le mettent en pièces, et le posent sur le bois, mais qu’ils n’y mettent pas le feu. Je préparerai de même l’autre veau, mais n’y mettez point le feu. Vous invoquerez le nom de votre Dieu, et moi, j’invoquerai le nom de l’Eternel. Et que le Dieu qui répondra par le feu, soit Dieu. » Et tout le peuple répondit, et dit : « C’est bien dit. » Ils approuvèrent la proposition d’Élie : quelques-uns par curiosité ; d’autres, dans l’assurance que Bahal remporterait la victoire ; un petit nombre, peut-être, dans le désir sincère de savoir enfin positivement s’il y a un Dieu, et quel est le véritable. Vous vous étonnez de la témérité d’Élie qui mettait ainsi en jeu tout l’héritage d’Israël, auquel nul ne croirait plus si l’expérience ne réussissait pas. Mais Élie ne croyait point agir avec imprudence, il pensait que Dieu ne le laisserait pas dans l’embarras ; et parce qu’il pensait ainsi et qu’il était un enfant de Dieu, il lui était permis d’agir au nom de Dieu comme il le faisait. On peut dans la foi hasarder quelque chose.

Dieu a déjà si souvent répondu par le feu, que le monde devrait bien savoir maintenant quel est le vrai Dieu ; mais il ne veut pas le savoir, et il doit s’attendre encore à maintes réponses semblables. La première manifestation de Dieu a été la création des esprits ardents qui peuplent les cieux, des séraphins et des anges, et celle de l’esprit de l’homme, flamme née de Dieu et qui tend de la terre à lui. C’est par le feu qu’il a répondu aux premiers pécheurs : par l’épée de feu avec laquelle le chérubin les chassa du paradis, et par le feu de l’enfer qui pénétra dans leur sein. Ce fut par le feu qu’il parla à Sodome et à Gomorrhe, qui ne voulaient plus le connaître, et les rivages brûlés de la mer Asphaltide portent aujourd’hui encore, après plusieurs mille ans, les empreintes de cette terrible réponse de Jehovah. C’est par le feu qu’il scella la promesse faite à Abraham, lorsque de nuit, par une obscurité profonde, une fournaise fumante apparut et un feu passa entre les victimes partagées. Ce fut d’au milieu d’un buisson enflammé qu’il parla à Moïse, son serviteur, comme un homme à son fils ; et c’était là une image de son église, buisson ardent, qui brûle continuellement aux feux de mille persécutions, de mille douleurs, de mille opprobres, et qui cependant n’est jamais consumé, parce que l’Eternel y demeure. Ce fut par le feu qu’il répondit à son peuple sur Sinaï, lorsque le sommet de la montagne brûlait et fumait, et que les terribles mots : Tu feras et tu ne feras pas, descendaient vers la foule avec l’éclat du tonnerre. Ce fut par le feu du ciel qu’il exauça son serviteur David, en réduisant en cendres l’holocauste sur son autel (1 Chroniques 21.26). Ce fut par le feu qu’il répondit à la prière de Salomon dans le temple, lorsque tous les enfants d’Israël virent le feu descendre et la gloire de Dieu remplir le sanctuaire, et qu’ils se jetèrent tous à genoux et la face contre terre. C’est avec le feu qu’il est venu contre Jérusalem, après être venu en vain à elle avec l’eau et le sang. C’est par le feu qu’il a répondu, il y a quinze ans, à notre patriea, lorsqu’elle commençait à dire avec Pharaon :« Quel est ce Dieu, que je doive lui obéir. » Et il viendra encore une fois avec le feu, plus terrible que jamais, au jour de la grande visitation : alors il fera passer son peuple par la fournaise pour l’épurer et en détruire les scories, et il jettera ensuite dans la flamme le ciel et la terre, dont l’écorce grossière brûlera, et qui sortiront du grand creuset sous une forme nouvelle et avec une indicible beauté. C’est ainsi que Dieu répond par le feu. Mais il est encore deux grandes et mémorables réponses qui sont aussi, dans un certain sens, des réponses par le feu, et qui remplissent nos cœurs d’étonnement et de joie. Il y a dix-huit cents ans, l’humanité était en deuil, le ciel fermé au dessus d’elle, l’enfer ouvert sous ses pieds, elle ne savait où fuir ; ses péchés, innombrables comme le sable de la mer, criaient à Dieu vengeance ; qui pouvait la défendre ? Et quand elle se vit sans consolation, sans secours, sans espérance, et que nul ne savait comment se laver de ses péchés et apaiser la colère de Dieu, les nuages se déchirent, le ciel s’ouvre, un feu terrible tombe sur Golgotha, consume la victime sur l’autel de la croix, et voici, l’homme a su dès lors ce qui le sauve de l’enfer. Dieu avait répondu, répondu par le feu aux demandes de l’humanité dans la détresse. Mais ce n’était point encore toute la réponse. Où trouver la foi qui rend participant du sacrifice de la croix et de la réconciliation ? Où puiser la vie à laquelle nous devons nous réveiller d’entre les morts ? Telles étaient nos demandes, et la seconde réponse descendit du ciel, réponse par le feu. Le ciel s’entr’ouvrit, des langues de feu en descendirent, des torrents de vie en découlèrent, la source de tous les biens célestes fut ouverte au monde, l’esprit de Dieu était donné aux hommes. Et c’est encore par des langues de feu que l’Eternel répond jusqu’à ce jour : parmi les chrétiens et les païens, les rois et les mendiants, dans les îles et sur les flots de l’océan. Partout où il marche, les traces de ses pas sont empreintes de feu, du feu de la vie nouvelle ; il fond les monts neigés et leurs glaces, il brise les rochers, il fait fleurir les déserts. « Voici, dit-il, je suis venu pour allumer un feu sur la terre, et il me tarde de le voir brûler. » « Le Dieu qui répond par le feu, est Dieu ; » a dit Élie. Vous savez donc quel est le vrai Dieu.

a – Sans doute, une allusion aux guerres de 1813 et 1814. La première édition est de 1828. (Trad.)

Dieu répond par le feu. Mais qui n’a pas éprouvé dans son cœur la vérité de cette parole, n’a point de Dieu, ou Dieu n’est pour lui qu’une vaine idée, une ombre, une fiction de son cerveau. Aussitôt que Dieu s’approche de nous, nous le sentons au feu qu’il allume en nos cœurs, et nous devons dire avec les disciples d’Emmaüs :« Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous ? » En tout temps, en tous lieux, sept chandeliers l’entourent de leurs feux. Toutes les paroles qu’il nous adresse sont plongées dans la flamme et brûlent.

Nous prêche-t-il la repentance : notre cœur descend dans le feu de l’enfer. Nous explique-t-il sa parole : la nuit de notre âme est sillonnée de mille éclairs. Nous tance-t-il : les fondements de notre être sont ébranlés. Nous parle-t-il avec bonté : nous devenons malades d’amour. Nous attire-t-il : notre cœur se fond en de saints désirs. Nous donne-t-il un ordre : le devoir devient facile, et nous sommes de feu pour obéir. Exige-t-il un sacrifice : sa parole est une torche jetée dans notre cœur. C’est par des flammes qu’il nous prouve son existence.

Qu’il écrive donc dans vos cœurs, avec les lettres brûlantes de son amour, qu’il est l’Eternel ; de peur qu’il ne doive le faire dans votre cendre avec les signes rongeurs de sa colère. Car il répond aux rebelles et leur parle de son amour avec le feu qui est préparé au Diable et à ses anges. Un jour doit venir où toute créature lui rendra honneur et gloire, les unes avec les accents de la joie, les autres avec les cris du désespoir ; un jour viendra où les voix des bienheureux et celles des condamnés, telles que deux torrents embrasés, se réuniront en un même chœur, et diront : L’Eternel est Dieu, et son nom dure éternellement ! Amen.

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