Élie le Tishbite

23.
La grande demande

Saint Paul s’écrie dans son épître aux Galates (Galates 2.20) : « Ce que je vis maintenant dans la chair (remarquez, mes frères, ce maintenant), je le vis dans la foi au Fils de Dieu, qui s’est donné lui-même pour nous. » C’est un glorieux maintenant, c’est celui de la foi parfaite, et il suppose un jadis ou un naguère. Paul en l’écrivant pensait peut-être moins aux temps où il était encore aveugle et mort dans ses péchés et qu’il persécutait l’église de Christ, qu’à ceux, moins éloignés, qui ont suivi sa conversion et pendant lesquels il s’écriait : « Malheureux que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » C’est le maintenant du jour évangélique à son midi, par opposition à l’autrefois de l’aube légale ; c’est le maintenant de la liberté et de la joie de la nouvelle alliance, par opposition à l’autrefois des luttes et des angoisses de l’ancienne ; c’est le maintenant du paradis chrétien, par opposition à l’autrefois des sombres nuits d’inquiétudes. Un cygne né sur une terre aride, loin des eaux, laissait tomber tristement ses ailes, ne sachant ce qui lui manquait, mais sentant bien qu’il n’était pas dans son élément. Après avoir longtemps erré de toutes parts, il se trouve tout-à-coup sur la rive d’un beau lac. Il s’y précipite les ailes déployées ; renouvelé, il navigue sur l’onde paisible avec la majesté d’un roi, et la pureté de son plumage rivalise avec l’éclat des astres. Un aigle avait été élevé entre les barreaux d’une cage, il y dépérissait d’ennui, quand un jour, brisant sa prison, il s’élance d’un vol puissant vers le soleil, et se reposant sur les cimes aériennes des montagnes, il reconnaît enfin d’où lui venait sa tristesse : il n’était pas né pour la captivité. Un lion enlevé tout jeune à sa mère a dû se plier aux caprices de l’homme et s’habituer à traîner le char d’un orgueilleux conquérant. Il marche triste et muet, la tête baissée, jusques au jour où la pensée lui vient enfin de briser ses liens et de fuir loin des cités. Et maintenant il repose en paix et libre à l’ombre de la forêt ; et quand il rugit, toutes les créatures tremblent et se taisent à la voix de leur chef. Il sent d’où lui venait sa tristesse : il est issu d’une race royale, il est né pour dominer, et il était esclave ! Ce cygne, cet aigle, ce lion ont leur maintenant et leur autrefois ; de même Paul a brisé son joug et trouvé son élément ; il nage dans l’océan des grâces divines, il déploie ses ailes à la pleine lumière de l’évangile, et repose, grand et fort, à l’ombre des promesses de Christ et sur le rocher de ses mérites. Tel est le maintenant dont il parle.

Ce maintenant ne peut sans doute se retrouver avec toute sa plénitude de joies dans la vie d’un saint de l’ancienne alliance ; cependant le Tishbite nous apparaîtra aujourd’hui presque semblable sous ce rapport à l’apôtre. Élie est au point culminant de sa vie intérieure ; il a dépassé la loi, il a maintenant la liberté des enfants de Dieu.

2 Rois 2.9-10

9 Quand ils eurent passé, Élie dit à Élisée : « Demande ce que tu veux que je te fasse, avant que je sois enlevé d’avec toi. » Élisée répondit : « Je te prie que j’aie de ton esprit autant que deux. » 10 Et Élie lui dit : « Tu as demandé une chose difficile ; cependant si tu me vois enlever d’avec toi, cela t’arrivera ainsi ; mais si tu ne me vois pas, cela n’arrivera pas. »

Telles sont les dernières paroles d’Élie ; elles nous arrivent comme d’un monde supérieur. Telle est sa dernière action, moins apparente, mais plus surprenante qu’aucune de ses œuvres antérieures. Nous considérerons successivement la position d’Élie au delà du Jourdain, l’invitation qu’il adresse à son ami, la demande d’Élisée, la réponse du Tishbite.

I

Élie a passé le Jourdain avec Élisée, et il a bientôt disparu aux regards des fils des prophètes, qui restent sur la rive opposée tristes et dans l’attente. Un tonnerre lointain leur apportera le dernier adieu de leur maître ; une lumière dans les nuages leur indiquera la direction de la route par laquelle il quittera le théâtre de ses labeurs. — De même, mes frères, dans les choses spirituelles, un croyant peut disparaître aux yeux de ses frères, qui le cherchent de tous les côtés inutilement, ou qui le retrouvent sans le reconnaître. Ainsi disparut pour le souverain sacrificateur Heli, la pieuse Anna quand elle priait avec ardeur dans le temple, et qu’il la prit, j’ose à peine achever, pour une femme ivre. Ainsi David, dansant devant l’arche, était devenu méconnaissable pour Mical et pour bien d’autres. Ainsi Paul disparut aux yeux de la majeure partie des fidèles de son temps, lorsque il franchit hardiment les barrières de la loi judaïque et s’élança sur la terre de la liberté chrétienne, en s’écriant : « C’est par la foi que l’homme est justifié et non par les œuvres de la loi. » La même chose arrive de nos temps encore à plusieurs âmes, et précisément à celles qui sont conduites par les voies les plus profondes, et qui pénètrent le plus avant dans le sanctuaire de l’évangile.

Élie a passé le Jourdain, le fleuve et le monde sont derrière lui ; son sabbath est venu, il ne fait plus qu’attendre le char céleste. — Et nous, mes frères, nous avons passé notre Jourdain, dès que nous sommes de vrais enfants de Dieu ; notre vie terrestre finit avec notre conversion, et avec elle commence notre vie éternelle. La mort n’a sur nous plus de pouvoir ; Jésus nous en fait traverser les eaux à pieds secs. Les tentations ne nous effrayent plus, car Il nous a promis que nous ne serions jamais tentés au delà de nos forces. A la pensée de la puissance de l’enfer, nous ne nous troublons point, et ne nous demandons pas : « Comment achever notre sanctification ? » Car notre sainteté est en dépôt par delà les nuages entre les mains du Seigneur. Nous ne sommes plus dans l’angoisse à l’approche des douleurs et des deuils que nous apporte la vie ; car nous savons que chaque jour nous est envoyé par un Père plein de tendresse avec la part d’amertume et de douceurs qui convient à notre salut. S’il est vrai que le croyant doit regarder non à lui-même, mais à son Représentant devant Dieu qui lui donne sa beauté ; s’il est vrai que rien dans l’univers entier ne peut le séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ ; s’il est vrai que le Seigneur a mis le monde, le péché, la mort et l’enfer à ses pieds et à nos pieds, il n’est plus pour le fidèle de Jourdain à traverser, il a franchi la muraille de séparation, et les obstacles qu’il rencontre encore devant lui, disparaissent comme d’eux-mêmes devant sa foi. Quoique sur la terre, il peut entonner le chant de victoire, car il est au terme !

II

Les deux prophètes marchaient depuis quelques moments dans la contrée déserte, quand Élie s’arrête, et, plein d’une émotion qui indique assez à Élisée que le moment du départ est venu, il le bénit, mais non à la manière des hommes, par des souhaits et des paroles, il le bénit comme un Dieu, en lui disant avec une assurance qui nous semble presque téméraire : « Demande-moi ce que tu veux que je te fasse, avant que je sois enlevé d’avec toi. » Quelle invitation extraordinaire ! Élie ne sait-il pas qu’Élisée lui demandera non de l’argent et de l’or, ni des conseils ou des instructions, mais les dons d’en haut, les grâces des cieux ? Et cependant il dit à Élisée : « Demande-moi, choisis d’entre les trésors du sanctuaire celui que tu désires, je te le donnerai. » Vous le voyez, mes frères ; nous ne sommes plus au temps de la loi ; Élie respire déjà l’air nouveau de l’évangile ; il se sent si près de Dieu, si pénétré de son amour, que la pensée ne lui vient pas que Dieu pourrait lui refuser une seule de ses demandes, quelque grande et hardie qu’elle fût. Il est dans le fond de son cœur devenu un avec Dieu, et le sentiment de son adoption est si vivant, si distinct en lui, qu’il ose disposer des biens de Dieu, pour la gloire de Dieu, comme des siens propres, et qu’il eût protesté de toutes ses forces contre quiconque lui aurait contesté le droit d’agir ainsi. Telle était la position spirituelle d’Élie ; elle justifiait, elle appelait un tel langage. Le surhumain était ici chose naturelle, et l’inouï chose convenante.

Cette parole hardie du Tishbite et les sentiments qui la lui dictèrent, me rappellent un passage de saint Jean, d’une étonnante profondeur, et qui semble être pour la plupart des chrétiens un trésor caché. J’entends ces magnifiques paroles de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. Jusques à présent, vous n’avez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit accomplie » (Jean 16.23). Par ces mots, qui méritent bien que nous les approfondissions, le Seigneur nous met entre les mains la clef des trésors de Dieu.

Qu’entend-on d’ordinaire par la prière au nom de Jésus-Christ ? C’est, dit-on, se présenter devant Dieu et espérer d’être exaucé en s’appuyant non sur ses propres mérites, mais sur ceux de Christ et sur la libre grâce de Dieu. C’est s’approcher du trône de la Majesté dans le sentiment qu’on n’a aucun droit à son secours, et en recourant à sa miséricorde par Jésus-Christ en qui l’on a obtenu son pardon. Cette interprétation est certainement bonne et vraie ; mais elle est incomplète. Autrement, le Sauveur aurait-il dit à ses disciples qu’ils n’avaient point encore prié en son nom ? Nous ne pouvons admettre que jusques alors les onze n’eussent marché que dans leur propre justice, et que dans leurs prières ils en eussent appelé, comme le pharisien, à leurs mérites. D’ailleurs Jésus-Christ entend que non seulement ses apôtres, mais que tous les saints avant lui n’ont jamais prié en son nom. Or il faudrait n’avoir jamais lu l’ancien testament pour avancer que les saints de l’économie judaïque se présentaient devant Dieu sans médiateur. Tout le culte lévitique n’était qu’une perpétuelle et éclatante prédication sur l’absolue impossibilité d’être exaucé de Dieu autrement que par l’imputation d’un mérite étranger, et sur l’impiété qu’il y aurait à s’approcher du Tout-puissant sans lui offrir les victimes qui étaient les types du Sauveur promis et du Représentant des pécheurs. Si donc Jésus-Christ n’eût entendu par la prière en son nom que celle du fidèle repentant et contrit qui s’appuie sur son garant, elle aurait été connue d’Abraham, de Moïse, de David, de Daniel. Mais c’est ce qu’il nie quand il dit de tous les saints de l’ancienne alliance : « Jusques à présent vous n’avez point encore prié en mon nom ? »

La prière au nom de Jésus est donc quelque chose d’entièrement nouveau, d’inconnu jusques alors ; elle est une des prérogatives exclusives des temps de la nouvelle alliance.

Toute prière au nom de Christ suppose incontestablement la confiance dans les mérites de Christ ; mais toute prière faite en se fondant sur les mérites de Christ, n’est pas une prière au nom de Christ. Si, dans le sentiment douloureux de ma condamnation, je me présente devant Dieu, me couvrant de Christ comme de mon bouclier, je prie en m’appuyant sur les mérites de Christ, je m’approche en tremblant d’un Dieu qui m’est étranger, qui m’est hostile, dont la colère me frapperait de ses foudres si Christ ne les détournait de ma tête, je me tiens à la porte de son palais, et j’y fais entrer à ma place ma caution ; le sentiment qui prédomine en moi, est celui de ma culpabilité et de la sainteté de Dieu, et non celui de ma justification et de son amour. Ma prière est bonne et chrétienne ; mais ce n’est pas encore là la prière vraiment évangélique, qui est tout autre chose. Elle suppose chez celui qui prie au nom de Jésus, la conscience de son adoption et de son complet pardon ; je sens avec ravissement que mon Père céleste m’aime d’un amour sans bornes, parce qu’il voit en moi un membre de son Fils bien aimé ; je sens que son cœur le presse de m’accorder avec joie tout ce que je désire ; j’ai la douce et intime conviction que Jésus-Christ non seulement me protège contre la colère divine, mais qu’il fait de moi un objet de l’amour du Tout-puissant ; j’oublie pour ainsi dire que je suis pécheur pour ne plus me considérer que dans le vêtement que je porte en Christ ; j’entre dans la maison de mon Père et j’en sors avec la liberté d’un fils qui se sent chez lui ; je n’ai plus en moi les deux sentiments distincts de ma condamnation et de ma grâce ; mon cœur est revenu à l’unité, je suis un au dedans de moi parce que je suis devenu un avec Christ. Or, mes frères, c’est dans cet état spirituel que nous prions au nom de Christ, c’est-à-dire en prenant sa place et comme si nous étions nous-mêmes Christ. Car si je te donne commission de demander à un tiers quelque chose, n’est-ce pas au fond moi qui demande, ma prière qu’on écoute ou qu’on repousse ? Eh bien, Christ nous a laissé l’ordre et accordé le privilège de prier Dieu en sa place, et ainsi de nous présenter devant lui avec la liberté et la joie qu’il a lui-même, et avec l’assurance que Dieu nous écoutera comme il aurait écouté son Fils unique. Dieu ne nous connaît plus alors selon la chair, et s’il ne nous exauçait pas, la confusion en retomberait sur son Fils même. Oh quel admirable mystère ! Voilà le vrai, l’unique sens des paroles de Christ.

Il est évident que cette prière au nom de Christ était ignorée des saints de l’ancienne alliance, qui ne connaissaient pas assez la médiation de Christ pour s’approcher de l’Eternel « avec une confiance parfaite, » comme dit saint Paul aux Hébreux. Ils étaient à l’égard de Dieu dans la position d’un coupable gracié, ils savaient qu’ils devaient la vie au Messie ; mais la pensée ne leur venait pas, ou du moins pressentaient-ils à peine que le roi qui leur faisait grâce, les revêtirait de pourpre et de soie, les inviterait à sa table, leur donnerait toute son amitié ; aussi ne s’approchaient-ils de Dieu qu’avec crainte, et les instants étaient fort rares où ils parvenaient à une douce et intime confiance en lui. Mais nous, nous jouissons en plein de toutes ces grâces ineffables dont ils n’avaient que la vague promesse, et nous savons pourquoi « le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste. » Nous pouvons donc nous présenter devant Dieu dans de tout autres sentiments que les saints hébreux, et nous ne nous étonnons point que le Sauveur parle de la prière en son nom, comme d’une chose jusque alors inconnue.

Quelles sont les promesses faites à cette prière ? Ecoutez la réponse de Jésus-Christ. Elle commence ainsi : « Amen, amen, (en vérité) ; » voilà le sceau royal au pied de l’acte, le serment qui le confirme, et qui doit écarter tous les doutes. « Je vous dis, » continue-t-il, « moi qui suis dans le sein du Père, je vous dis ; prenez-vous en à moi si ce que je vous dis, n’a pas lieu. » Et qu’est-ce qu’il nous déclare avec une telle solennité ? « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera, » et vous pouvez « demander tout ce que vous voudrez » (Jean 15.7). Point de barrières ! point de limites ! un champ infini s’ouvre à nos prétentions ! rien au monde n’est si grand ou si petit, que nous ne puissions à l’instant même le recevoir du Père si nous le demandons au nom de Jésus. Que désires-tu ? La fin de tes soucis domestiques ? La guérison d’un enfant malade ? La conversion de toute ta famille ? Dis-le au Père, au nom de Jésus, et il te l’accordera ; il ne peut faire autrement, ou la bible ne serait plus la parole de vérité. Avec la verge magique de cette prière à la main, tu es maître du monde entier, tu disposes des trésors du ciel et de la terre. Fais un signe, et Amalec fuit. Frappe le rocher, l’eau en jaillit. Commande aux flots, et ils se divisent. Tance les orages qui t’enveloppent, et ils se taisent. Tu peux tout obtenir… pourvu que tu puisses le demander au nom de Jésus ; or, je doute beaucoup que tu parviennes à demander à Dieu en ce nom tout ce que tu désires. Car autre chose est désirer et demander. Tu peux désirer que Dieu ressuscite un mort ; mais tu n’adresserais à Dieu une semblable prière avec une pleine confiance (l’Esprit t’en empêcherait), que si tu avais la parfaite et divine conviction qu’un tel miracle est nécessaire pour la gloire de Dieu. Si tu as cette conviction, prie, et le mort ressuscitera. Luther a pu demander à Dieu au nom de Jésus la guérison de ses deux amis Melanchton et Myconius qui étaient mourants, et il a été exaucé. Veux-tu de l’or et de l’argent. Demandes-en au nom de Christ, si tu le peux, et tu en recevras, comme en a reçu Francke qui a commencé avec quelque sols et qui a laissé une maison des orphelins, presque aussi grande qu’une petite ville. « Mes bien-aimés, » dit saint Jean (1 Jean 3.21), si notre cœur ne nous condamne point, c’est-à-dire si pendant notre prière nous ne sommes point comme forcés de nous adresser le reproche que nous prions par notre volonté propre, ou dans notre intérêt charnel, ou en tentant Dieu, nous avons une joyeuse confiance en Dieu, et quoique nous demandions, nous le recevrons. »

Eh bien, mes frères, que dirons-nous de toutes ces choses ? Pour moi, depuis que le voile s’est levé qui me dérobait le vrai sens de ces paroles de Jésus : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera, » il me semble qu’un sanctuaire s’est ouvert à mes yeux, et c’est à peine si je puis contenir mon admiration à la vue des éclatantes lumières qui en jaillissent dans tous les sens, et qui éclairent les plus grands mystères du christianisme. Je crois voir un trône divin se dresser sur ces paroles, les vérités les plus consolantes être rangées tout autour comme des anges de paix, et toute la magnificence de l’évangile venir s’y concentrer comme en un éblouissant foyer.

Mais combien ces paroles nous condamnent ! Qu’il en est peu parmi nous qui savent faire usage de cette clef des cieux ! Qu’il en est peu qui voguent sur ce vaisseau vers les rives éternelles, pour l’y charger de tout ce que nous pouvons désirer de mieux sur cette terre ! Aussi le ciel est d’airain au dessus de nous. Car nous n’avons point encore prié au nom de Jésus.

Cependant si ces paroles nous condamnent, elles relèvent aussi notre espérance, en nous prouvant que d’un instant à l’autre une aurore nouvelle peut se lever sur l’église. L’église nous offre en général un sombre spectacle, mais il suffirait de quelques justes qui se sentiraient pressés de demander avec confiance à Dieu au nom de Jésus une nouvelle Pentecôte, pour que la vie de Dieu se répandît à flots sur la terre. Il y a dans nos paroisses peu de vraie foi ; mais qui sait si aujourd’hui même quelqu’un d’entre nous n’élargira pas son cœur au point d’y faire entrer toute notre communauté et de la présenter à Dieu au nom de Jésus ; et dès cette heure là, les nuées feraient pleuvoir sur nous la justice. Plusieurs de ceux qui nous sont chers marchent encore par la voie large, et nous craignons d’être séparés d’eux pour toujours ; mais pourquoi cette crainte ? je n’ai point encore prié pour eux au nom de Jésus et peut-être qu’à cette heure même il me sera donné de le faire, et ils seront sauvés. Vous le voyez, ces paroles de Jésus-Christ sont pour nous une paisible colline où nous n’aspirons que de douces espérances, et qui ne nous offre que des perspectives joyeuses et sereines.

Mes frères, puisque telle est la prière vraiment évangélique, qu’on ne pense et ne dise plus parmi nous que le vrai chrétien ne doit se présenter devant Dieu que la tête baissée, avec le sentiment prédominant de son indignité, et avec la crainte d’aller trop loin dans son intimité avec Dieu. Que celui qui ne sait pas prier autrement, prie ainsi ; mais qu’il ne fasse pas de cette prière la règle générale. C’était celle d’Abraham qui disait : « Seigneur, j’ai pris la hardiesse de te parler, bien que je ne sois que poudre et que cendre » (Genèse 18.27) ; c’était celle d’un Jacob, d’un Moïse, d’un Salomon. Mais il y a ici plus que Salomon. C’était celle d’un Jean-Baptiste qui était plus grand que tous ceux qui l’avaient précédé, et qui était cependant inférieur au plus petit des membres du céleste royaume. Nous, nous appartenons à la nouvelle alliance, et avons le privilège de prier au nom et en la place de Christ, de parler à Dieu comme Christ lui parle, sans crainte, sans hésitation, « avec une confiance pleine et parfaite », comme ses enfants bien aimés qui lui sont chers et agréables autant que son propre Fils. — Mais, d’autre part, n’abusons pas et de notre élection, et de l’intercession de notre Souverain sacrificateur, pour nous relâcher dans la prière, pour ne plus prier. Quoi ! le Sauveur permet au pécheur de s’approcher de son Père en foutes circonstances avec la confiance d’un enfant, et le pécheur le remercierait de ce privilège et n’en serait pas usage : « Je suis sauvé, dirait-il, je le tais ; puisque tu veilles sur moi, tu pries pour moi ; à quoi bon me donner la peine de prier de mon côté ? » Qui peut parler ainsi, et voir une peine dans ce qui est la plus grande des joies, ou n’a point encore passé de la mort à la vie, ou se trouve dans un déplorable état de tiédeur et de sommeil. — C’est ainsi, mes frères, que la doctrine de la prière au nom de Christ détruit l’erreur d’une fausse légalité et l’erreur d’une fausse liberté.

Il est donc vrai non seulement qu’en Christ, nous ne sommes pas condamnés, mais encore qu’en lui nous sommes aimés de Dieu autant que Christ lui-même, et que la sainteté et la beauté du Fils nous sont attribuées dans toute leur plénitude et communiquées véritablement. Aussi prenez garde aux paroles que Jésus-Christ ajoute immédiatement à celles qui nous occupent : « En ce temps là vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis point que je prierai le Père pour vous. » Vous l’entendez : les vrais fidèles, une fois un avec Christ, n’ont plus besoin d’intercesseur. Et pourquoi n’en ont-ils plus besoin ? « Parce que, continue Jésus, mon Père lui-même vous aime. » Et comment Dieu nous aime-t-il ? Comme il aime son Fils : c’est le Fils lui-même qui le déclare (Jean 17.25). Que de merveilles, que de consolations ne renferme pas l’inexprimable mystère de l’union des fidèles à leur Sauveur ! Mais revenons à notre histoire.

III

« Demande moi ce que tu veux, » avait dit Élie. A cette hardie invitation, Élisée répond par une demande plus hardie encore : « Je te prie que j’ai double part de ton esprit, » que je sois baptisé du saint Esprit et comblé de ses dons une fois plus que toi. Car nous ne partageons pas l’opinion des interprètes qui disent qu’Élisée avait ici en vue les droits du premier né, et voulait dire : « Si mes frères spirituels, si d’autres prophètes reçoivent chacun une part de ton héritage, traite moi comme l’aîné de ta famille et donne moi une double portion. » Élisée voyait quel vide immense le départ d’Élie laissait dans l’église de Dieu sur la terre ; et c’était lui qui devait le combler ! qui devait achever l’œuvre commencée ! lui le laboureur d’Abel Mehola ! « Élie, s’il doit en être ainsi, que Jehovah donne à ton pauvre serviteur, le double des dons qu’il avait accordés à un homme grand comme toi ! » Telles étaient les pensées d’Élisée, et sa demande bien comprise est inspirée par la modestie la plus pure.

Mais sans doute aussi qu’Élisée pressentait déjà combien sa mission différerait de celle d’Élie, et qu’elle serait comme le souffle doux et subtil de la grâce divine après les tempêtes et les feux de la justice et de la loi. Il fallait pour cette œuvre d’amour un secours tout particulier d’en haut ; Élisée devait pénétrer dans la miséricorde divine plus avant qu’il n’était donné de le faire aux enfants de l’alliance mosaïque, et allumer à l’amour de Dieu son amour pour Dieu et pour ses frères. Il devait recevoir, touchant le décret éternel de la rédemption et l’œuvre médiatrice du Sauveur promis, des vues plus distinctes et plus profondes que celles qu’avaient eues ses prédécesseurs, afin d’être en état de pouvoir annoncer de tout son cœur, même aux plus grands pécheurs, la bonne nouvelle de la grâce et du pardon. Il fallait que toute la personne et toutes les actions de ce messager de la miséricorde portassent l’éclatante empreinte de cette douceur divine qui distinguait sa mission. Evangéliste, il devait avoir avant tout dans son propre cœur les sentiments évangéliques, et goûter lui-même ces grâces propres aux membres de la nouvelle alliance. C’était là ce que pressentait Élisée, et ce qui lui inspira sa demande : « Qu’une double part de ton esprit vienne sur moi ! » Mais quand Élisée aurait demandé plus encore : les dons et les forces des anges, ou le diadème d’un monde, il ne l’aurait fait que pour tout déposer aux pieds de son Dieu, que pour tout employer à la gloire de son nom. Plus l’homme s’anéantit et vit de grâce, et plus s’agrandissent ses désirs. Il est des moments où le fidèle, dans son intime communion avec son Sauveur, voudrait saisir et attirer à lui tout ce qu’il y a de grand et de beau au ciel et sur la terre ; des moments où la foi d’un Abraham, le don des miracles d’un Moïse ou d’un Élie, l’enthousiasme du Chantre royal, la sagesse de Salomon lui semblent peu de choses, et où son âme aspire après des biens infiniment plus grands encore. Et quand Dieu lui accorderait les souhaits de son cœur, que ferait le fidèle sinon de tresser toutes ces gloires en une couronne et de la déposer sur la tête de son Sauveur, de son ami ? Tous les flots de l’Esprit que Dieu aurait épanchés dans son cœur, remonteraient immédiatement vers Dieu, sans que son âme en souffrît et courût aucun danger. Or, mes frères, Élisée était dans une disposition semblable ; et aussi ne nous étonnerons-nous pas de sa demande : « Qu’une double part de ton esprit soit sur moi ! »

IV

La demande d’Élisée fait hésiter un instant son Maître, qui lui répond : « Tu désires une chose difficile, » et qui ne peut pas lui garantir l’exaucement de sa prière. Pourquoi ce changement chez Élie, qui lui avait dit avec une joyeuse assurance : « Dis-moi ce que tu désires, » et qui, à l’ouïe de sa demande, est comme embarrassé et ne promet que conditionnellement qu’il y sera fait droit ? C’est qu’il a bien compris le sens et la portée de cette demande. Si Élisée eût désiré posséder au décuple la foi d’Élie, son don de prophétie, son don des miracles, son éloquence, toutes les forces divines dont il avait été doué, Élie n’eût pas hésité à lui répondre avec une pleine confiance au Seigneur : « Il te sera fait selon tes désirs. » Mais Élisée veut devancer les temps, anticiper sur l’avenir, voir la lumière qui n’éclairera le monde que plusieurs siècles plus tard, être introduit dans le sanctuaire qui doit rester longtemps encore fermé ; il désire porter ses regards sur ces choses dont Jésus disait à ses disciples : « Beaucoup de rois et de prophètes ont désiré voir ce dont vous êtes témoins, et ils ne l’ont pas vu ; » il demande de contempler de loin cette réconciliation de Dieu et des pécheurs, qui ne doit s’opérer que dans un avenir reculé par la mort du Sauveur sur une croix. Élisée se trouvait donc en quelque sorte en opposition avec le plan que le grand Pasteur suivait dans l’éducation des peuples ; de là l’hésitation d’Élie. Toutefois Élie est bien loin de nier que cette demande ne puisse être exaucée de Dieu ; seulement il en remet la décision au Seigneur. Mais en même temps, poussé par l’Esprit, il indique le signe extérieur auquel on pourra reconnaître s’il plaît à Dieu d’accorder à Élisée la chose difficile qu’il désire : « Si tu me vois enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ainsi ; sinon cela n’arrivera pas. »

Et ce signe n’était point une chose accidentelle, sans rapport avec la demande. Bien au contraire. Le choix qu’en fait Élie, prouve d’une manière vraiment admirable comme il avait bien compris son ami, et en même temps comme il était initié aux pensées de son Dieu. « Si Dieu t’accorde de me voir enlevé dans sa sainte demeure, c’est qu’il veut te révéler de l’Evangile plus qu’il n’a fait à aucun autre avant toi. Car tout l’Evangile est compris dans mon ascension. Tu verrais un pauvre pécheur tellement aimé de Dieu qu’il reçoit la récompense qui n’est due qu’à la sainteté, un vermisseau de terre revêtu de la gloire d’un Dieu. Alors tu comprendrais quel est en Christ l’amour de Dieu pour les pécheurs, le grand mystère de la nouvelle alliance te serait manifesté, et cette faveur te serait un gage que ton Dieu te soulèverait d’autres voiles encore, et que ta demande, dont tu ne fais que pressentir la portée, te serait accordée en plein. Que si au contraire Dieu te refuse de voir mon départ, c’est qu’il veut te laisser enfermé entre les sombres murailles de l’économie mosaïque. » Telles étaient les pensées d’Élie. Vous savez qu’Élisée fut témoin de son ascension, et ce fut alors, sous le ciel entr’ouvert, qu’il fut proprement consacré pour la mission à laquelle il était destiné.

La révélation extraordinaire accordée à Élisée, est le pain quotidien des enfants de la nouvelle alliance ; chaque page des écrits des apôtres nous parle de l’amour de Dieu pour les pécheurs. Puissions-nous apprendre à connaître par notre expérience les grands privilèges dont Dieu nous a honorés, et à goûter avec joie et reconnaissance tout le bien que le Seigneur nous a fait ! Que l’amour que Dieu a pour nous en Christ, soit l’élément dans lequel nous vivions ! et que Dieu nous ouvre les yeux à tous, pour que nous puissions véritablement voir et comprendre ces choses dont tant de rois et de prophètes ont en vain désiré être les témoins, et qui sont exposées devant nous dans les Evangiles ! Amen !

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