Histoire des Protestants de France – Tome 1

3.2.
Inquiétudes des calvinistes. – Déclaration de la cour. – Intrigues du duc de Bouillon et de Lesdiguières. – Le duc Henri de Rohan. – Sage conduite de Duplessis-Mornay. – Assemblée politique de Saumur. – Discours du duc de Rohan. – Divisions entre les réformés. – Synode national de Privas. – Affaire de Jérémie Ferrier.

La nouvelle de la mort du roi réveilla toutes les inquiétudes des calvinistes. Plusieurs familles sortirent précipitamment de Paris, quoique la garde des portes eût été confiée à des bourgeois des deux religions, comme si elles eussent été menacées d’une autre Saint-Barthélemy. Le duc de Sully s’enferma dans la Bastille dont il était gouverneur. Les huguenots des provinces méridionales mirent la main sur leurs armes. Il semblait que l’édit de Nantes eût été déchiré du même coup qui avait percé le cœur de Henri IV.

Dès le 22 mai, la cour publia une déclaration confirmant dans les termes les plus explicites tous les édits de tolérance. Inutile précaution : les réformés ne croyaient, ni au pouvoir de la régente Marie de Médicis, ni à sa bonne foi. Ils craignaient de trouver en elle et dans son fils Louis XIII, alors âgé de huit ans et demi, une seconde reine Catherine et un nouveau Charles IX.

Marie de Médicis se laissait diriger par deux aventuriers italiens, Concini et Leonora Galigaï. Femme ignorante, bigote et vindicative, ayant tous les vices de l’ambition sans en avoir les qualités, elle réglait les plus importantes affaires de l’Etat sur les prédictions des astrologues, et pensait, en se jetant dans de puériles intrigues de cour, employer de grands moyens de gouvernement.

Le trésor public, sous sa régence, fut livré au pillage des principaux seigneurs, et le royaume à leurs turbulentes factions. Les ducs de Nevers, de Mayenne, d’Epernon, de Longueville, de Vendôme se cantonnèrent, chacun dans sa province, dictant leurs conditions d’obéissance à la couronne, et offrant aux chefs des calvinistes le dangereux exemple de subordonner à leurs prétentions personnelles l’intérêt général.

Quelques-uns de ces derniers étaient tout disposés à le suivre, en particulier le duc de Bouillon et le maréchal de Lesdiguières : l’un, homme de capacité et de bon conseil, mais commettant faute sur faute, égaré qu’il était par l’ambition d’être le premier personnage du royaume ; l’autre, habile et brave sur un champ de bataille, mais déréglé dans ses mœurs, peu scrupuleux sur les moyens de succès, et séduit par la perspective de l’épée de connétable. Tous deux affichaient un grand zèle pour la religion, afin d’avoir les huguenots derrière eux ; néanmoins ils devinrent bientôt suspects à leurs anciens amis, et ne rendirent pas à la cour les services qu’ils lui avaient fait espérer.

Le duc de Sully, dépouillé de tous ses emplois, apportait dans les affaires de la Réforme la mauvaise humeur d’un ministre disgracié. Il ne reculait pas toujours devant les opinions extrêmes ; mais, au moment de passer à l’exécution, son grand sens le contenait, et il se gardait d’oublier qu’il avait été un des plus fidèles serviteurs de la couronne.

Son gendre, le duc Henri de Rohan, âgé alors de trente-deux ans, commençait à paraître, et se préparait à occuper la plus haute place dans le parti calviniste. Jeune, actif, d’une naissance presque royale, aimant l’étude autant que le métier des armes, il avait déjà voyagé dans les divers Etats de l’Europe pour connaître leurs forces et leur génie. Il était simple et austère dans ses mœurs, intrépide, généreux, s’attachant naturellement aux grandes choses et capable de les accomplir. Sa parole était nette, brève et mâle : vraie éloquence d’un chef de parti. Ses sentiments religieux inspiraient plus de confiance que ceux des autres seigneurs de son rang, et l’histoire doit reconnaître que, dans les entreprises qu’il a faites, le dévouement à la cause réformée l’a emporté sur l’ambition.

Duplessis-Mornay, soit que les années eussent refroidi son ardeur, soit qu’il eût mieux calculé le peu de ressources militaires des huguenots, inclinait pour les voies pacifiques, et conseillait de tout supporter plutôt que de prendre les armes. Dès qu’il eut appris la mort du roi, il convoqua les magistrats de Saumur et leur dit : « Qu’on ne parle plus entre nous de huguenots ni de papistes ; ces mots sont défendus par les édits. Quand il n’y aurait pas d’édit au monde, si nous sommes Français, si nous aimons notre patrie, nos familles, nous-mêmes, ils doivent être désormais effacés en nos âmes. Il ne faut plus qu’une écharpe entre nous. Qui sera bon Français me sera citoyen, me sera frère. »

Comme la cour sentait alors le besoin de ménager les réformés, elle lui fit offrir de l’argent ou des grâces. L’intègre serviteur de Henri IV répondit à ces propositions : « Il ne sera pas dit que j’aie profité du malheur commun, importuné le deuil de la reine, ni affligé la minorité du roi. Je laisse à la reine à juger si je mérite quelque chose, s’il lui plaît de me faire donner ce qui m’est dès longtemps dû. Mais en cette calamité je ne demande rien, et suis reconnaissant comme si la reine me donnait. »

Il s’appliqua sans relâche, sous la régence de Marie de Médicis, à déjouer les intrigues et à calmer les ressentiments. Le président Jeannin lui écrivit après les troubles excités par le prince de Condé : « Vous vous êtes conduit, pendant cette misérable guerre, de telle sorte que Leurs Majestés en ont contentement, et y reconnaissent votre prudence et fidélité. » Duplessis-Mornay eut sujet de comprendre, avant de mourir, combien les rois sont oublieux et ingrats.

Toutes les passions contraires du parti calviniste se trouvèrent en présence dans l’assemblée politique, convoquée d’abord à Châtellerault, et ouverte à Saumur, le 27 mai 1611. La cour ne l’avait autorisée qu’avec répugnance et inquiétude. Elle y avait mis la condition que l’assemblée se séparerait aussitôt qu’elle aurait dressé la liste des six personnes entre lesquelles le roi devait choisir deux députés généraux ; mais il était bien évident que les délégués de la Réforme ne venaient pas de tous les points du royaume pour se borner à écrire six noms sur un bulletin.

L’assemblée de Saumur comptait de nouveau soixante et dix membres : trente gentilshommes, vingt pasteurs, seize députés du tiers-état, et quatre délégués du gouvernement de La Rochelle, qui formait alors une sorte de principauté à part. Quinze provinces étaient représentées, sans compter le Béarn, dont les députés furent admis après quelque hésitation. En outre, les principaux seigneurs du parti avaient été appelés par lettres spéciales. On remarquait parmi eux le maréchal de Lesdiguières, les ducs de Bouillon, de Sully, de Rohan, et Duplessis-Mornay qui, sans être du même rang, compensait l’infériorité de ses titres par ses longs services et l’autorité de sa vertu.

Le duc de Bouillon aspirait à la présidence, en s’appuyant sur les intrigues de la cour. Il ne fut pas nommé, Les trois quarts des voix se portèrent sur Duplessis-Mornay, et lui adjoignirent pour vice-président le pasteur Chaumier. C’était dire clairement au conseil du roi que les passions politiques ne prévaudraient pas dans l’assemblée, qu’on s’y préoccuperait surtout des intérêts de la religion, mais que sur cet article on était bien résolu à ne point transiger.

Les séances durèrent près de quatre mois, au milieu de laborieuses négociations, la cour demandant la prompte dissolution de l’assemblée, et celle-ci ne voulant se séparer qu’après avoir obtenu satisfaction sur ses cahiers de doléances. On y renouvela le serment d’union, qui consistait à jurer obéissance et fidélité au roi, le souverain empire de Dieu demeurant toujours en son entier. Cette réserve si légitime, si inattaquable en soi, laissait pourtant la porte ouverte à de nouveaux conflits. Enfin l’assemblée se sépara, après avoir choisi et fait agréer deux députés généraux.

Henri de Rohan y déploya ses talents d’homme d’Etat et de grand orateur politique. Il recommanda l’union, l’ordre, le devoir de s’enquérir des griefs du plus humble des réformés, de revendiquer fermement l’admission à toutes les charges du royaume, et de pourvoir à la bonne tenue des villes d’otage. « Nous sommes arrivés, dit-il, en un carrefour où plusieurs chemins se rencontrent, mais il n’y en a qu’un où se trouve notre sûreté. La vie de Henri le Grand la maintenait ; il faut à cette heure que ce soit notre vertu… Que notre but soit la gloire de Dieu et la sûreté des Églises qu’il a si miraculeusement établies dans ce royaume, nous procurant du bien l’un à l’autre avec ardeur, mais par moyens légitimes. Soyons religieux à ne demander que les choses nécessaires ; soyons fermes à les obtenir. »

D’autres assemblées politiques furent convoquées, dans les années suivantes, à Grenoble, à Nîmes, à La Rochelle, à Loudun. Nos anciens historiens distinguent les membres dont elles étaient composées par les qualifications suivantes : les ambitieux, qui se servaient du prétexte de la religion pour atteindre à leurs fins particulières ; les zélés ou affectionnés, qui ne demandaient qu’à pratiquer en paix leurs offices de piété ; les judicieux, qui tâchaient d’unir aux intérêts de la foi ceux de la politique ; enfin, les timides, qui étaient prêts à tout subir plutôt que d’exposer leur repos ou leur fortune. Ceux qui demeuraient à Paris et dans les provinces où la Réforme était très faible conseillaient habituellement les mesures de prudence de peur d’être écrasés ; les autres, se sentant forts chez eux, parlaient haut et laissaient voir leur épée à demi tirée du fourreau. La distinction entre les réformés du Nord et ceux du Midi, déjà sensible, se montra encore mieux dans la suite.

Les convocations des synodes nationaux furent également fréquentes, et ces corps ecclésiastiques intervinrent plus qu’ils n’avaient fait jusque-là dans les questions politiques, entre autres le synode de Privas, dont la session s’ouvrit le 23 mai 1612. Le pasteur Chamier en fut le président ou modérateur, et le pasteur Pierre Dumoulin lui fut donné pour adjoint. Les membres du synode se plaignirent des lettres-patentes d’abolition ou de pardon, publiées par le conseil du roi au mois d’avril précédent.

« Les Églises de ce royaume, dirent-ils, déclarent qu’elles n’ont jamais requis, ni demandé, ni tâché d’obtenir cette grâce ou pardon, et qu’aucun de leur corps n’est coupable de ces crimes imaginaires qu’on lui impute ; qu’ils sont tous prêts, en corps et séparément, de répondre de leurs actions, de les publier par tout le monde, et de les montrer en plein jour, à la vue de toutes sortes de tourments plus aisés à supporter qu’une tache si honteuse d’infamie qui les rendrait méprisables et odieux à la postérité, et qui les priverait de l’honneur qu’on leur a toujours attribué d’être bons Français… De plus, ils déclarent qu’ils ne veulent pas se prévaloir, ni se servir en aucune manière desdites lettres d’amnistie et de pardon, et que, s’il y a eu des personnes qui les aient acceptées, ou qui aient consenti qu’on les acceptât, ils les désavouent. »

Le même synode s’occupa de rétablir la bonne harmonie entre les seigneurs calvinistes qui s’étaient divisés à Saumur ; et il en résulta un acte solennel de réconciliation qui fut signé, le 16 août, par les maréchaux de Bouillon et de Lesdiguières, les ducs de Sully, de Rohan, de Soubise, le marquis de la Force et Duplessis-Mornay.

Une autre affaire plus directement religieuse fut agitée à diverses reprises dans les synodes provinciaux et nationaux. Il s’agissait de Jérémie Ferrier, que nous avons déjà nommé, d’abord véhément défenseur de la communion réformée, ensuite secrètement gagné et payé par la cour. Ferrier avait de la science, beaucoup de ressources dans l’esprit et d’habileté dans la parole, mais une orthodoxie et une probité suspectes. On l’accusait d’avoir énoncé des propositions antichrétiennes sur l’incarnation de Jésus-Christ, et mal administré les deniers de l’académie de Nîmes. Il en reçut de graves réprimandes qui le décidèrent à se jeter dans les bras des catholiques.

Ferrier fut récompensé de son apostasie par le titre de conseiller au présidial de Nîmes, en 1613. Le consistoire l’excommunia, et le peuple, qui ne le désignait plus que sous le nom de traître Judas, voulut s’opposer à son installation. Les maisons qu’il avait à la ville et à la campagne furent dévastées, et le présidial même forcé de se transporter pour quelque temps à Beaucaire.

Le synode du bas Languedoc, autorisé à cet effet par le synode national de Privas, confirma l’excommunication dans les termes les plus solennels : « Nous, pasteurs et anciens, déclarons que ledit M. Jérémie Ferrier est un homme scandaleux, incorrigible, impénitent, indisciplinable ; et comme tel, après avoir invoqué le nom du Dieu vivant et vrai, au nom et en la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, par la conduite du Saint-Esprit et l’autorité de l’Église, nous l’avons jeté et le jetons hors de la compagnie des fidèles. »

Ferrier obtint, par la faveur des Jésuites, une charge de conseiller d’Etat, et fit l’apologie du cardinal de Richelieu. Il mourut en 1626, détesté des calvinistes et peu estimé des catholiques. Sa fille, qui épousa le lieutenant-criminel Tardieu, figure dans les satires de Boileau pour sa sordide avarice : elle fut assassinée par des voleurs, en 1664.

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