Théologie de l’Ancien Testament

§ 12. L’A. T. pendant le 18e siècle.

A la fin du xviie siècle, on commença à donner dans les universités luthériennes des cours bibliques qui auraient pu affranchir la théologie du joug de la dogmatiquej. On y étudiait sans préoccupation étrangère les passages les plus importants de nos saints livres. Mais ce mouvement ne produisit pas ce qu’on aurait pu en attendre. Les Histoires ecclésiastiques de l’A. T., comme on les appelait, et qui datent aussi de ce temps, ont pour nous un plus grand intérêt. La plus importante est celle de Buddéek. Spener réussit à faire sauter le cercle de fer dont la dogmatique orthodoxe avait entouré la théologie ; mais comme le piétisme étudiait surtout la Bible au point de vue de l’édification, et qu’il mesurait l’importance des livres inspirés à la vivacité des impressions religieuses qu’ils produisent, il ne pouvait naturellement pas arriver à se rendre compte du côté historique de la révélation. Un des principaux services que Spener a rendus à la théologie biblique, et en particulier à l’étude de la prophétie, c’est d’avoir trouvé dans la Bible l’idée si importante et si nouvelle alors, que le règne de Dieu aura pour théâtre un jour notre planète elle-même, et non pas seulement le ciell.

j – J. Schmid, Collegium biblicum. Baier, Analysis et vindicatio illustrium scripturæ sacræ dictorum.

k – Voyez Hengstenberg. Histoire du règne de Dieu dans l’ancienne alliance, page 92.

l – Comparez à cet égard Delitzsch, « la Théologie prophétique de Crusius. »

Enfin Bengel parut et, le premier, grâce à sa manière de considérer le règne de Dieu comme une institution largement ouverte à tout le genre humain, il parvint à comprendre la Révélation dans son développement historique et à en distinguer clairement les différentes phases. L’école wurtembergeoise, dont il est le père, se donna pour tâche, non seulement d’étudier certains passages isolés pour en tirer des pensées édifiantes, mais surtout d’obtenir une vue d’ensemble sur l’œuvre de la Rédemption. Bengel lui-même n’a rien écrit sur l’A. T., si l’on en excepte une partie de son livre sur la chronologie bibliquem. Mais ses ouvrages sont remplis d’aperçus infiniment précieux sur les branches les plus diverses de la théologie, et en particulier sur l’étude de l’A. T. C’était quelque chose de bien nouveau en 1741 que des règles d’interprétation telles que celles-ci, que nous trouvons au chapitre huitième de sa Chronologie : « Dieu procède méthodiquement et graduellement dans la révélation de ses desseins. Ce qui d’abord était couvert, plus tard est ouvertn. Les saints de tous les siècles doivent saisir par la foi, ni plus ni moins que ce qu’il est donné à leur âge de connaître et de croire. » C’est dans cet esprit qu’ont travaillé Roos, Burk, Hiller, Œtinger et beaucoup d’autres, tous théologiens simples, sans prétentions, et profonds. L’Allemagne du Nord ne produisit guère alors, en fait d’esprits qui rappellent l’école wurtembergeoise, que Crusius, professeur à Leipzig ; son principal ouvrage a pour objet la théologie prophétiqueo. Au reste, le protestantisme allemand fut bien trop bouleversé pendant le xviiie siècle pour pouvoir mettre à profit les bons principes de Bengel et de ses successeurs.

m – Ordo temporum.

n – Opertum tenetur initio, quod deinde apertum cernitur.

oHypomnemata ad theologiam propheticam, trois vol.

En effet, le déisme anglais avait envahi l’Allemagne. On s’affranchit de la scolastique confessionnelle, mais ce ne fut que pour tomber dans cette espèce de rationalisme, qui consiste à ne croire absolument qu’en soi-même, et qui n’admet en fait de vérités que ce que peut trouver dans son cœur une personne complètement étrangère à l’Évangile. Ce que la Bible donne comme une révélation, on l’attribua à l’imagination de certains hommes s’érigeant en fondateurs de religions. La révélation trouva des défenseurs : Lardner, Warburton, Shukford, Lilienthal ont écrit de bonnes choses ; mais que pouvaient-ils contre des adversaires avec lesquels ils ne s’entendaient que trop bien à considérer les ordonnances de l’ancienne alliance comme de simples institutions d’utilité publique ? Le déiste Morgan avait dit que la religion de Moïse n’était évidemment pas divine, puisqu’elle n’enseigne ni l’immortalité de l’âme, ni un jugement à venir. Voici l’argumentation que Warburton lui opposa : « Aucun gouvernement ordinaire et purement humain ne peut subsister sans la croyance en une rémunération future ; cette croyance fait défaut au Mosaïsme ; la société israélite a subsisté bien des siècles ; donc elle a eu un gouvernement extraordinaire ; la Providence a dû s’en mêler. » — Autre exemple : les déistes avaient déclaré les sacrifices mosaïques chose irrationnelle. Shukford répondit : « Les sacrifices ne sont pas un produit de la raison humaine, car, en effet, je ne vois pas le raisonnement sensé qui pourrait pousser les hommes à offrir ces sacrifices pour apaiser ou pour remercier la Divinité ; donc c’est Dieu qui doit avoir institué les sacrificesp. » Jean Spencer en Angleterre, dans son ouvrage plein d’érudition sur les lois cérémoniales des Hébreux et sur leur raison d’être, qui parut en 1686, Leclerc à Genève, et Jean-David Michaelis à Göttingen, sont les représentants les plus remarquables de cette tendance à expliquer la législation du Sinaï par des considérations de prudence humaine de l’ordre le moins relevé. Spencer fait découler la plupart des lois cérémoniales de Moïse de l’une de ces trois sources : coutumes antiques consacrées par l’exemple des patriarches ; désir d’opposer une digue à la corruption générale, et d’en préserver par de bonnes lois les Israélites ; enfin, concessions que Dieu a faites à son peuple pour se faire aimer de lui, à mesure qu’il lui permettait d’imiter jusqu’à un certain point ce qui se faisait chez les nations voisines. Ceci est caractéristique. Au xviiie siècle, on se contentait le plus souvent d’attribuer au législateur une certaine finesse voisine de la ruse. Spencer ne fait pas difficulté d’attribuer cette finesse à Dieu lui-même. C’est ce qui a fait dire à Bæhr, dans sa Symbolique du culte mosaïque, que Dieu adopte ainsi la morale des Jésuites, et qu’il se sert de mauvais moyens pour parvenir à de bons buts.

p – Le meilleur ouvrage à consulter sur le Déisme anglais est celui de Lechler, 1847.

Semler se rapproche du piétisme, avec cette seule différence, qu’au lieu de regarder avant tout à l’édification que les livres de la Bible peuvent procurer aux chrétiens, il se contente d’examiner ce qu’ils peuvent pour l’amélioration des hommes. C’est à ce simple point de vue moral qu’il se place pour opérer le départ entre ce que les saints livres peuvent renfermer d’humain et de divin, de secondaire et d’essentiel. Ayant affirmé qu’il y a des contradictions entre la Bible et la dogmatique reçue, il vit cette assertion également exploitée par les rationalistes et les supranaturalistes.

A côté de mille erreurs, ce siècle avait eu ceci de bon que désormais la théologie biblique était complètement affranchie du joug de la dogmatique régnante.

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