Théologie de l’Ancien Testament

§ 48. Le Dieu jaloux : El Kana.

La sainteté implique enfin la jalousie ; Dieu est un Dieu jaloux : אל קנא ou אל קנוא. La jalousie n’est autre que la sainteté agissant, éclatant au dehors. (Exode 34.14 ; Deutéronome 6.15) La jalousie est à la sainteté ce que le Dieu vivant est à Jéhovah. Josué sait donc parfaitement ce qu’il dit quand il prie les Israélites de bien réfléchir au fait que le Dieu saint est un Dieu jaloux (Josué 24.19).

La jalousie de Dieu se manifeste de deux manières :

1° Elle punit toute violation de la loi ; elle anéantit tout ce qui ose se mettre en opposition avec la sainte volonté de Dieu ; elle se déploie spécialement contre l’idolâtrie, qui est le crime de lèse-majesté par excellence, puisqu’elle suppose que Dieu n’est pas le seul Dieu. Deutéronome 32.21 : « Ils ont excité ma jalousie par ce qui n’est point Dieu. » Mais toute espèce de péché provoque Dieu à jalousie, parce que toute espèce de péché expose le saint nom de Dieu à l’opprobre. Le Dieu jaloux est un Dieu qui visite l’iniquité (Exode 20.5, comparé à Josué 24.19) et qui se met en colère quand l’iniquité est constatée. La colère קצפ, עברה, אף, etc., est en effet, comme le dit fort bien Ullmann, la puissante émotion de la volonté et de l’esprit, au moment où ils rencontrent quelque opposition. La colère divine c’est une tension extraordinaire de la sainte volonté et du saint amour de Dieu, lorsqu’ils viennent à être méconnus et méprisés. Les deux notions de la colère et de la jalousie se trouvent réunies dans plusieurs passages : Deutéronome 6.15 ; 32.21 ; Psaumes 78.58 et sq. La force consumante de la colère est comparée à un feu : « Le Dieu jaloux est un feu consumant, » lisons-nous dans Deutéronome 4.24, et un feu qui peut descendre jusque dans le monde souterrain. Nulle part la corrélation de ces deux idées n’apparaît d’une manière aussi frappante que dans Ésaïe 10.17 : « La lumière d’Israël sera un feu et son Saint sera une flamme qui embrasera et consumera ses épines et ses ronces en un même jour. »

La colère étant en Dieu la manifestation de la sainteté, elle n’éclate pas, comme chez les hommes, par suite d’un caprice ou d’un mouvement d’impatience ; elle n’est pas le produit d’une méchanceté naturelle, comme c’est le cas chez les dieux des païens. C’est l’homme qui excite la colère de Dieu ; c’est l’homme qui, repoussant les témoignages intérieurs et extérieurs sans lesquels Dieu ne le laisse jamais, s’opposant à la volonté seule légitime de son Maître, force Dieu à lui prouver sa faiblesse et son néant. Ce qui irrite surtout l’Éternel, ce sont les infidélités de son peuple, c’est l’alliance enfreinte, ce sont ses plans mal et méchamment contrecarrés. (Exode 32.10 ; Nombres 25.3 ; Deutéronome 31.16-17).

Le contraire de la colère, c’est la miséricordei. La colère est modérée, chez l’Éternel, par la sainteté elle-même : « Je n’exécuterai point l’ardeur de ma colère ; je n’en viendrai point à détruire Ephraïm, car je suis Dieu et non pas homme ; je suis Saint au milieu de toi. » (Osée 11.9). Le salut, tel est effectivement le but que se propose la sainteté de Dieu. Avec cela, la colère ne peut jamais être l’explosion d’une aveugle passion (Jérémie 10.24 ; Ésaïe 28.23 et sq.).

i – Nicham, נחם, respirer, soupirer, avoir pitié.

2° Mais Jéhovah est aussi jaloux pour le compte de son peuple, car son peuple aussi est saint ; il est saint, soit qu’il se conduise comme il le doit, soit que, coupable, il vienne d’être de nouveau reçu en grâce. Sous ce rapport, la jalousie de l’Éternel est pleine d’amour : Dieu veut absolument faire prévaloir, quoi qu’on puisse dire, la relation qu’il a établie entre son peuple et lui. C’est ce sentiment-là qui inspire déjà les belles paroles que Moïse met dans la bouche de l’Éternel (Deutéronome 32.36 et sq.).

[« Oui l’Éternel punira son peuple ; mais Il aura pitié de ses serviteurs, quand il verra que leur force est évanouie, et qu’il ne reste plus ni esclave, ni homme libre. Alors Il dira : Où sont leurs dieux, ce rocher dans lequel ils avaient confiance, qui mangeaient la graisse de leurs victimes et buvaient le vin de leurs libations ? Qu’ils se lèvent pour vous secourir ! que ce rocher soit votre refuge ! — Voyez donc que c’est Moi, Moi qui le suis… ! »]

Mais, le mot lui-même de jalousie, pris dans ce sens, ne se trouve que chez les prophètes : « L’Éternel a été jaloux pour sa terre. » (Joël 2.18) « Je suis ému d’une grande jalousie pour Jérusalem » (Zacharie 1.14 ; 8.2). Il y a aussi du feu dans cette jalousie-là, mais quel feu ! « Comment te traiterai-je, Ephraïm ? Comment te livrerais-je, Israël ? Mon cœur est agité en moi et mes compassions se sont échauffées en même temps ! » Ainsi, de la jalousie elle-même, découle la compassion la plus vivej (Joël 2.18) ; jalousie et compassion, deux sentiments dont l’histoire du veau d’or nous montre clairement la parenté (Exode ch. 32). La colère de Dieu s’embrase contre ce peuple de col roide, v. 9 et 10. Mais Moïse sollicite la jalousie du Seigneur d’un autre côté ; vis-à-vis des Egyptiens, son honneur est engagé ; il faut absolument qu’il achève l’œuvre commencée. Et c’est ainsi que peu à peu la colère fait place à la miséricorde, et que la jalousie est tournée en compassion ; Exode 34.6.

j-המל

C’est ici le lieu de parler de cette espèce d’anthropomorphismes, qu’on désigne plus spécialement sous le nom d’anthropopathies, et qui consistent à prêter à Dieu des sentiments pareils à ceux qui affectent les hommes. On ne peut pas les expliquer aussi facilement que les vrais anthropomorphismes, en disant que ce sont des figures. Les anthropopathies expriment des émotions qui se trouvent bien réellement en Dieu. Seulement pour désigner ces émotions diverses, il faut avoir recours aux noms qu’on donne aux émotions analogues chez l’homme. Parfois, ces sentiments changent plus ou moins subitement. Mais cela provient de ce que les hommes les premiers ont changé ; Dieu ne change jamais. C’est dans ce sens que David dit dans Psaumes 18.25-26 : « Avec celui qui est bon, Tu es bon ; avec l’homme qui a de l’intégrité, Tu agis avec intégrité ; Tu es pur avec celui qui est pur ; mais contre le pervers, tu te montres pervers. « Le même Dieu, dont les voies se légitiment comme pures et salutaires aux yeux de ceux qui sont purs, doit nécessairement apparaître comme une puissance malfaisante et rusée aux méchants dont il traverse les projets. Il suffit de lire 1 Sam. ch. 15, pour se convaincre que l’A. T. n’admet absolument aucun changement en Dieu lui-même. « Le rocher d’Israël, dit Samuel au v. 29, ne ment point et, ne se repent pas, car Il n’est pas homme pour se repentir. » Et quelques lignes plus bas, v. 35, il est dit que l’Éternel se repent d’avoir établi Saül pour roi. — Les anthropopathies ont en outre l’avantage de conserver toujours éveillée dans l’esprit de l’homme l’idée du Dieu vivant, et d’empêcher que cette idée ne s’évapore en de vaines abstractions.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant