Théologie de l’Ancien Testament

§ 98. Principe et organisation du pouvoir judiciaire.

Dans une théocratie, ce n’est que de la part et au nom de Dieu que des hommes peuvent rendre la justicef. « Le jugement est de Dieu. » (Deutéronome 1.17) Demander justice, c’est s’enquérir de Dieu (Exode 18.15). Aller en justice, c’est comparaître devant Dieu (Deutéronome 19.17). Ainsi se justifient pleinement les expressions : « Faire approcher d’Elohim. » « Faire venir devant Elohim. » (Exode 21.6 ; 22.8), soit qu’on entende par Elohim Dieu lui-même, l’invisible président de tout tribunal (Exode 18.19), soit qu’on préfère y voir simplement les juges, les représentants de Dieu (Psaumes 82.1,6)g. Du temps des patriarches, le père de famille possédait le droit de vie et de mort sur les siens (Genèse 38.24) ; Moïse le lui enlève et le transmet aux juges (Deutéronome 21.18 ; Exode 21.20). Il est défendu de se venger soi-même (Lévitique 19.18), et l’ancienne coutume de la vengeance du sang (garants du sang), n’est conservée que sensiblement modifiée, ainsi que nous le verrons au § 108.

f – Voyez l’excellente brochure de Schnell : « Le droit des Israélites exposé dans ses traits fondamentaux. » Bâle, 1853 ; et l’ouvrage capital de Saalschute « sur le droit mosaïque ; » ainsi que l’article sur le pouvoir judiciaire d’Herzog V, page 57 et sq.

g – Nous ne citons pas ici Exode 22.28, où Elohim signifie évidemment Dieu.

Il y a dans le Pentateuque deux sortes d’ordonnances judiciaires : les unes ne sont que pour un temps, pour les quarante années du désert ; les autres, qui se trouvent surtout dans le Deutéronome, supposent le peuple établi dans le pays de Canaan. — Dans le désert, Moïse, qui du reste dans le principe réunissait toutes les charges en sa personne, est aussi le juge suprême (Exode 18.13). Mais ne pouvant pas tout faire à lui seul, il écoute le conseil de son beau-père et il établith des juges sur le peuple, chefs de milliers, chefs de centaines, de cinquantaines et de dizaines (v. 25, Deutéronome 1.12 et sq.). Ces juges sont pris parmi les hommes sages, habiles, considérés, vertueux, craignant Dieu, véridiques ; c’est aux dispositions morales et aux capacités intellectuelles que Moïse regarde, mais il est probable qu’il profita jusqu’à un certain point des autorités qu’il trouva déjà établies dans le peuple. « Je pris des chefs de vos tribus, » dit-il aux Israélites (Deutéronome 1.15). Il est parlé quelque part de capitaines de milliers et de centaines (Nombres 31.14), car, pendant son séjour dans le désert, le peuple a dû nécessairement être organisé militairement ; peut-être Moïse utilisa-t-il aussi ces cadres-là.

h – Cependant le peuple n’est pas complètement étranger à ce choix Deutéronome 1.13 : « Prenez de vos tribus des gens sages, sq. »

Il n’y avait pas alors possibilité de recourir d’un tribunal à un autre. Les juges inférieurs tranchaient les difficultés les moins considérables ; les cas plus difficiles étaient portés devant Moïse par les juges inférieurs eux-mêmes, et non point par l’une des parties (Deutéronome 1.17 ; Exode 18.22, 26 ; Lévitique 24.11 ; Nombres 15.33 ; 27.2).

[Les Pelilim, פל.ֻלים (Exode 21.22), sont des arbitres appelés occasionnellement à apprécier la gravité des coups reçus. Dans Job 31.11, 28, ce mot désigne simplement un juge ordinaire.]

Quand le peuple sera établi dans le pays de la promesse, c’est à l’assemblée de l’Éternel que sera confiée l’exécution de la justice ; le peuple consacré à l’Éternel est appelé comme tel à ôter le mal de son sein, selon l’expression consacrée. (Deutéronome 13.5 ; 17.7 ; 21.21. Comparez Lévitique 24.14 ; Nombres 15.35.) L’histoire de Naboth nous offre le tableau détaillé d’une action judiciaire du temps des rois : tout se fait en public, sur les places, aux portes des villes (Deutéronome 21.19 ; 22.15 ; 25.7). — Mais l’assemblée délègue son pouvoir à certaines personnes, autres que les anciens, quoique prises souvent parmi eux (Deutéronome 21.2 ; Josué 8.33 ; 23.2)i. Le collège des anciens n’intervient que lorsque l’enquête a été faite parles juges inférieurs et qu’il s’agit de prononcer la peine que mérite une offense bien et dûment constatée (Deutéronome 19.12 ; 21.19 ; 22.15 ; 25.8). Pour certains cas particulièrement difficiles, est institué un tribunal supérieur (Deutéronome 17.8 et sq.), qui est chargé de juger entre le sang et le sang (c’est-à-dire de déterminer dans quelle catégorie rentre tel ou tel coup Exode 21.12 et sq.) ; entre la cause et la cause (causes civiles), entre la plaie et la plaie (Comp. Exode 21.5). Le faux témoin qui fait condamner un innocent, tel est un des cas particuliers qui incombent à ce tribunal supérieur. Avec tout cela, il ne faut pas y voir une sorte de cour d’appel ; la justice locale se déclare incompétente, elle craint d’errer ; elle se décharge de sa responsabilité sur des juges plus experts. Ce tribunal supérieur siège près du sanctuaire ; il se compose de prêtres et de juges civils, Deutéronome 19.17j. Il ne faut pas s’étonner de voir ici des prêtres ; car, d’après Lévitique 10.11, les Lévites doivent être en état d’enseigner aux enfants d’Israël toutes les ordonnances que l’Éternel a données par Moïse, et d’après Nombres 15.33 ; 27.2, le grand-prêtre est de tout temps intervenu dans certaines affaires judiciaires. Les Shoterim, שטרים (scribes, préposés, commissaires, § 26), sont des employés subalternes qui doivent assister les juges (Deutéronome 1.15 ; 16.18. Voyez Josué 8.33 ; 1 Chroniques 23.4). En qualité d’écrivains, ils pouvaient être appelés à remplir toutes sortes d’offices : il s’en trouvait quelques-uns dans le collège suprême des soixante et dix anciens (Nombres 11.16) ; d’après Deutéronome 20.5, 8-9, ils fonctionnaient également lorsqu’il s’agissait de recruter une armée, et ils peuvent avoir rendu bien d’autres services encore dans la police et l’administration.

i – Voyez sur ces juges : Josèphe Ant. IV, 8, 14, et l’article précité, dans Herzog V. page 57. Il devait s’en trouver dans toutes les villes (Deutéronome 16.18).

j – Parmi ces juges civils, il y en a un qui occupe un rang éminent (Deutéronome 17.9, 12) ; mais on n’est nullement en droit de l’assimiler au souverain sacrificateur.

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