Théologie de l’Ancien Testament

§ 100. Le pouvoir exécutif.

La théocratie nous offre un singulier phénomène : dans le principe elle ne connaît aucun pouvoir exécutif. Les chefs de tribus dont il est parlé dans Nombres 1.16, 44 ; Exode 34.31 (נשיאים, Nescim, princes ; ou bien encore ראשים, Rashim, têtes, Nombres 30.2), ne peuvent point être considérés comme une autorité théocratique. Ils étaient pris parmi les anciens, qui eux-mêmes étaient choisis parmi les chefs de famille. Ils étaient bien revêtus d’une espèce d’autorité, mais ils étaient les représentants du peuple bien plus que ceux de Dieu (Voyez Nombres 1.16 ; 14.12).

[Je ne dirai pourtant pas avec Winer et Kurtz que les Anciens, représentaient la noblesse acquise par le mérite, tandis que les princes représentaient la noblesse héréditaire, ni qu’ils étaient choisis librement par le peuple et parmi tout le peupler.]

r – Voyez dans Herzog l’article : Tribus d’Israël, XIV, page 771.

S’ils avaient des emplois, ce n’était jamais qu’après y avoir été spécialement appelés ; ainsi par exemple les soixante-dix anciens de Nombres 11.16s, les douze chefs espions de Nombres ch. 13, et les douze princes qui doivent présider au partage du pays (Nombres 24.18 et sq.). Tout cela ne constituait point encore une autorité exécutive régulière. Dans certains cas, l’Éternel intervient directement et exécute lui-même sa volonté par un acte de toute-puissance. Mais Moïse sent pourtant qu’il y a là quelque chose qui manque, et il prie l’Éternel de ne pas laisser son peuple comme un troupeau sans berger, mais de lui donner toujours un conducteur qui sorte et entre devant eux, et qui soit animé de son espritt (Nombres 27.16). — On a trouvé fort étonnante cette absence de tout pouvoir exécutif régulier dans la constitution de Moïseu. Faire des lois si détaillées, et songer si peu à en garantir l’exécution ; ne pas voir que, sans pouvoir exécutif, il n’y a pas d’Etat possible ! Cela ne doit-il pas nous ouvrir les yeux et nous montrer que le Pentateuque est une fiction, une abstraction sans aucun fondement historique ? — Non ! ce que cela prouve, c’est bien plutôt que le système théocratique n’est pas le produit des sages combinaisons d’un fondateur de religion. Il a fallu, de la part de Moïse, pour aller de l’avant dans de semblables conditions, une foi implicite en Dieu, en un Dieu qui malgré tout arrive à ses fins. Au surplus, toute l’histoire des Israélites sous les Juges ne se comprendrait pas, s’il avait été pourvu à l’établissement d’un pouvoir exécutif régulier pour le moment où Josué lui-même serait mort.

s – Ce conseil, destiné à assister Moïse dans sa tâche difficile de conducteur du peuple, était une institution temporaire, bien que le Talmud se plaise à y voir l’origine du Sanhédrin.

t – C’est alors que Dieu désigne Josué comme le successeur de Moïse. Plus tard, Dieu suscita les Juges.

u – Voyez surtout Vatke : « Religion de l’A. T., » page 207.

Nouveau sujet d’étonnement : le Deutéronome renferme des ordonnances touchant la royauté (Deutéronome 17.14-20). Voilà donc prévu l’établissement de ce genre de pouvoir exécutif. Bien plus, dans un autre passage (Deutéronome 28.36), il est parlé du roi comme s’il ne pouvait manquer un jour d’y en avoir un à la tête du peuple d’Israëlv. — Ce roi éventuel devra sans doute être strictement soumis et subordonné à tout le système théocratique ; le peuple ne devra jamais appeler à cette dignité qu’un homme d’entre ses frères, celui que l’Éternel choisira [Il faudra donc être Israélite pour pouvoir devenir roi sur Israël ; en outre le choix que le peuple fera de son roi ne sera pas absolument libre. Les Edomites paraissent avoir eu une royauté purement élective (Genèse 36.31-39).] Le roi ainsi élu ne fera point un amas de chevaux, il n’établira point une armée permanente (Ésaïe 31.1) ; il fuira le luxe et ne se livrera point à la polygamie ; il ne faudra pas qu’il se croie le législateur de son peuple ; la loi de l’Éternel devra être sa seule règle de conduitew ; s’il l’observe, son pouvoir sera ferme et ses enfants régneront après lui sur son trône ; s’il la méprise, son royaume ne sera point stable. — Mais il n’en est pas moins vrai que cette loi sur la royauté étonne dans le Deutéronome, si le Deutéronome est de Moïse ; non pas que Moïse n’ait pu prévoir que le jour viendrait où les Israélites auraient un roi comme tous leurs voisins (Deutéronome 17.14) ; mais voici le point difficile : pour ne rien dire de Juges 8.23, arrivons directement à 1 Samuel ch. 8 et 9. Quand le peuple demande un roi et quand Samuel lui accorde Saül, il n’est fait absolument aucune mention d’ordonnances déjà existantes touchant la royautéx ; Samuel prononce le droit du royaume comme s’il n’en existait point encore, et le couche par écrit dans le livre qui est devant l’Éternel (le livre de la loi, 1 Samuel 10.25).

v – Voyez du reste déjà Genèse 17.6,16 ; 35.11 ; Nombres 24.17.

w – Ne sont-ce pas là les antipodes du despotisme oriental ?

x – Il est vrai aussi que dans toutes ces transactions nous ne voyons pas que rien se fasse de contraire à ces ordonnances.

C’est pour cela que plusieurs savants admettent que le Deutéronome est bien postérieur à Moïse, et supposent que les ordonnances que renferme ce livre touchant la royauté sont un produit du 9e siècle avant J.-C. Après Salomon, quelque Israélite, voyant les suites fâcheuses d’un semblable gouvernement, aura attribué à Moïse une loi pareille à celle que l’autorité de Samuel n’avait pas réussi à faire respecter. Mais comment un auteur de ces temps-là aurait-il pu motiver la défense de faire un amas de chevaux par cette autre défense : Jamais vous ne retournerez en Egypte ? (Deutéronome 17.10) Il fallait, pour parler ainsi, que le souvenir du séjour en Egypte fût encore tout frais, et que le peuple eût la perspective prochaine d’une lutte pénible à supporter pour entrer en possession de la terre promise.

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