Théologie de l’Ancien Testament

§ 215. Les caractères particuliers de la prophétie de l’ancienne alliance.

1° Nous avons vu au § 210 que Dieu montre aux prophètes ce qu’il veut leur faire savoir, et que la prophétie est une vision. De cette façon, les choses à venir paraissent être déjà présentes ou du moins en voie d’exécution. De là, le prétérit prophétique.

[On a quelquefois pris ce passé prophétique pour un vrai passé ; on a vu dans telle ou telle prophétie la description d’événements déjà accomplis. Ainsi, Ésaïe 9.1 : « Le peuple qui marche dans les ténèbres a vu. » v. 5. « Un enfant nous est né. » Et pour expliquer ce dernier passé, on a prétendu qu’il est ici question du jeune Ezéchias, alors âgé de 12 ans. Mais c’est verra et naîtra qu’il faut traduire.]

L’événement est encore bien éloigné, à vues humaines, que les prophètes le voient déjà là devant eux, et ce qui les en sépare encore ne doit servir qu’à en préparer l’accomplissement. « La vision, lisons-nous, dans Habakuk 2.3, a encore le temps de s’accomplir, elle aspire au but, et ne mentira pas. Si elle tarde, attends-la, car elle arrivera, elle n’y manquera pas ! » Ce que le prophète contemple à l’avance, ce sont des choses qui doivent arriver bientôt (Apocalypse 1.1), car dans le monde invisible, qui n’a plus de voiles pour lui, tout se développe, tout a le mouvement de la vie. — C’est pour cela que la question des temps et des moments joue ordinairement un rôle peu considérable dans les prophéties. Nous disons ordinairement, car il est des cas, comme Ézéchiel 12.21-28, où l’Éternel déclare expressément que la prophétie s’accomplira prochainement ; comme aussi, d’autres fois, Il a soin de prévenir que la vision s’étend jusqu’aux derniers jours (Daniel 10.14). Quelquefois aussi les indications de temps ont évidemment une valeur symbolique, ce qui montre qu’il ne faut pas les prendre à la lettre. « Tyr sera mise en oubli soixante-et-dix années, selon les jours d’un roi. » (Ésaïe 23.15) Voyez aussi Jérémie 25.12 ; Ésaïe 16.14 ; 21.16 ; Daniel ch. 9. D’une manière générale on peut appliquer aux prophètes la parole que le Seigneur adressait aux Apôtres : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments. » (Actes 1.7) Ils s’en tiennent à des indications indéterminées, comme par exemple : Dans ces temps-là… en ce jour-là… ou après ces choses… Point de jalons chronologiques. Pour s’orienter il faut grouper les choses et les mettre dans l’ordre où, d’après leur nature même, on peut deviner qu’elles se succéderont ; et le plus sûr pour ne pas se tromper dans ces calculs est, chose assez bizarre, de commencer par l’avenir le plus lointain. Les païens réduits à leurs seules lumières, ne savent absolument pas à quoi aboutira leur histoire ; les prophètes dirigent continuellement les yeux des Israélites sur ce qu’ils appellent les derniers temps, c’est-à-dire sur le moment où Dieu aura réussi à établir son règne sur la terre. Eh bien ! c’est de là qu’il faut partir pour rétrograder successivement jusqu’au moment présent.

On a traduit quelquefois באחרית הימים par : dans la suite, ou : à l’avenir. C’est à tort, אחרית est l’opposé de ראשית. C’est la fin, le terme, par opposition au commencement ; c’est la fin du monde actuel, et les Septante l’ont bien compris quand ils ont rendu cette expression par : « dans les derniers jours. » Il est vrai que l’horizon prophétique ne s’étend pas toujours aussi loin. Dans Genèse 49.1c, les derniers temps, c’est le moment où les tribus s’établiront dans la terre de la promesse ; c’est alors que s’accompliront les bénédictions que Jacob va prononcer sur ses fils. Dans Deutéronome 4.30, c’est le moment où Israël retournera à l’Éternel, moment décisif à partir duquel Dieu sera vraiment le roi de son peuple. Dans Deutéronome 31.29, c’est encore autre chose ; à cette époque, le regard prophétique ne s’étend pas au-delà du rejet d’Israël. Mais ce ne sont là que des exceptions, et les derniers temps sont, dans le langage prophétique ordinaire, les temps de l’accomplissement du salut (Osée 3.5 ; Ésaïe 2.2 ; Michée 4.1 ; Jérémie 48.47 ; Ézéchiel 38.16).

c – C’est là que cette expression se présente pour la première fois.

Eh bien ! si nous rétrogradons à partir de ce point extrême, la première chose que nous rencontrons, c’est le jugement, celui du peuple d’abord, puis celui du monde entier. Ce jugement, par quoi est-il amené ? Par l’infidélité du peuple élu et par le péché du monde, et voilà le prophète ramené en ligne directe au temps où il vit, car les hommes, toujours pécheurs, s’amassent toujours la colère pour le jour de la colère. Délivrance, jugement, infidélité, tels sont donc les trois points capitaux autour desquels viennent se grouper toutes les prophéties. Si nous voulions comparer à un tableau l’ensemble des prophéties de l’A. T., nous dirions que le jugement en constitue ordinairement le premier plan, et le salut l’arrière-plan.

[Si, dans la seconde partie d’Esaïe, prise comme un livre à part, le salut forme le premier plan, cela ne vient pas de ce que le prophète oublie la période du châtiment, mais de ce qu’elle est déjà passée au moment où il se transporte.]

Maintenant, le jugement partiel et prochain que décrit et qu’annonce le prophète, se confond ordinairement avec le jugement final ; ainsi Joël commence par parler d’une invasion de sauterelles, mais il en vient bientôt à parler du jour du Seigneur, du jugement définitif qui doit fondre sur Judad ; ainsi dans Matth. ch. 24, la ruine de Jérusalem et la fin du monde semblent n’être qu’un seul et même événement. Il en est de même de la délivrance. La délivrance partielle et prochaine finit ordinairement, sous la plume du prophète, par prendre les proportions du grand salut final. Dans ses chapitres 7 à 12, Esaïe passe sans transition de la chute de l’Assyrie, qui sera pour Israël un immense soulagement, à la description des temps messianiques. En tout et partout, la prophétie voit le sauveur et le juge du monde qui vient établir son royaume sur la terre.

d – Et qui n’est conjuré, pour retomber de tout son poids sur les peuples voisins, que par la sincère repentance de Juda.

C’est ainsi que la prophétie juxtapose les choses les plus éloignées à celles qui sont le plus rapprochées ; qu’elle a toujours soin de présenter tous les événements partiels sous leur vrai jour par rapport aux grands événements de la fin, et que Bengel a parfaitement raison quand il parle de la perspective prophétique.

[Gnomon, Matthieu 24.29. « Dans un tableau quelconque les objets les plus rapprochés sont peints avec beaucoup de détails et dans de grandes proportions ; au premier plan tout occupe beaucoup de place ; à l’horizon les plus vastes montagnes ne couvrent qu’un étroit espace. » Voyez aussi Welthusen, Commentationes, 1799. page 75.]

La seconde partie d’Esaïe est particulièrement remarquable à cet égard. Le retour de l’exil et le rétablissement du peuple dans le pays de ses pères y sont présentés comme le prélude des temps messianiques qui verront entrer toutes les nations de la terre dans le royaume de Dieu, et qui aboutiront à la création d’une terre nouvelle et de nouveaux cieuxe. Mais, pour les prophètes eux-mêmes, le temps de l’accomplissement était et demeurait le mystérieux objet de profondes recherches (1 Pierre 1.11).

e – Steudel, dans la Gazette de Tubingue, 1834, page 121, ne veut pas entendre parler des lois de la perspective à propos de la prophétie. Mais ses arguments ne sont pas concluants.

2° Un second caractère de la prophétie, qui résulte tout naturellement du précédent, c’est qu’elle croit toujours que ce sera tel ou tel fait isolé qui lui fournira son complet accomplissement. Ainsi, le jugement de telle nation, qui occupe exclusivement l’esprit du prophète, est présenté comme le jugement dernier. En réalité, les choses se passent bien autrement. Ce que le prophète a pu prendre pour quelque chose de momentané, et en même temps de définitif, n’est que le premier anneau d’une longue chaîne de faits analogues.

[Nous comparerons au § 221 le tableau du jugement du monde dans Amos avec celui qu’en avait tracé Joël. Ebrard, dans son commentaire sur les Hébreux, page 2, parle avec raison, à ce propos, de la loi de la dilation ou du renvoi.]

Un premier accomplissement n’épuise point la prophétie ; quelquefois un second, un troisième, un quatrième ne le font même pas.

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