Théologie de l’Ancien Testament

§ 219. Son peuple agit, de telle sorte que ce but n’est pas atteint.

La tâche des Israélites était d’amener les Gentils à la connaissance du vrai Dieu, et celle des Gentils, de se laisser attirer par la lumière de la vérité. Ni les uns ni les autres n’ont répondu à ce que Dieu attendait d’eux.

Pour ce qui est des Israélites, nous ne répéterons pas ce que nous avons déjà dit (§ 202). Les prophètes ne tardent pas à se convaincre que leurs concitoyens ne sont pas, tant s’en faut, à la hauteur de leur mission. Ceux qui devraient convertir les païens sont pires qu’eux : « C’est ici cette Jérusalem que j’avais mise au milieu des nations… Elle a changé mes ordonnances en une méchanceté pire que celle des nations qui l’entourent… Ils ont rejeté mes ordonnances et, n’ont point marché dans mes statuts. »

Quant aux païens, on s’est plû quelquefois à faire de l’A. T. le livre le plus étroitement particulariste du monde ; on a prétendu qu’il regarde les Gentils comme une masse perdue sans remède, dont Dieu ne s’occupe que pour lui faire sentir sa colère. L’orgueil pharisaïque dans ce qu’il a de plus repoussant serait donc un enfant légitime de la religion de l’A. T. « Répands ta colère sur les païens, qui ne te connaissent pas, et sur les races qui n’invoquent pas ton nom. » (Jérémie 10.25 ; Psaumes 79.6). — Cette citation est exacte, mais elle n’est pas complète. Pourquoi l’Éternel répandra-t-il sa colère sur les païens ? « Parce que, v. 7, ils ont dévoré Jacob et qu’ils ont désolé sa demeure. » Dieu les châtiera à cause des mauvais traitements qu’ils ont fait subir à Israël, et non pas en tant que païens. On en appelle encore à Malachie 1.2 : « J’aime Jacob et je hais Esaü. » N’est-ce pas, demande-t-on, le caprice le plus absolu que celui qui peut faire ainsi d’un peuple un objet d’affection, d’un autre, un objet de colère ? Steudel répond en disant que haïr signifie simplement aimer moins ; explication insuffisante. Ici encore lisons le contexte : « L’Idumée est un pays de méchanceté (גבול רשעה) », v. 4 ; et rappelons-nous Joël 3.19 ; Amos 1.9 : « L’Idumée sera réduite en désert à cause de la violence qui a été faite aux enfants de Juda. »

[Il résulte également de ces passages qu’il ne s’agit point dans Malachie 1.2, d’une réprobation éternelle dans le sens de la prédestination calviniste à In perdition.]

On fait aussi grand bruit d’Ésaïe 43.3 : « j’ai donné pour ta rançon l’Egypte, Cus et Scéba. Parce que tu as été précieux à mes yeux, tu as été rendu honorable et je t’ai aimé, et je donnerai les hommes pour toi et les peuples pour racheter ton âme. » Mais a-t-on le droit, de conclure de ce passage que Dieu frappe des peuples innocents à la place des Israélites coupables ? Non, il enseigne uniquement que, dans la vie des peuples, comme dans celle des individus, les châtiments qui atteignent les méchants concourent au bien de ceux qui. craignent Dieu. C’est l’équivalent de Proverbes 11.8 : « Le juste est délivré de la détresse, mais le méchant y entre à sa place », ou de Proverbes 21.18 : « Le méchant sera la rançon du juste. » Mais cela ne veut en aucune façon dire que des peuples innocents soient sacrifiés dans l’intérêt, d’Israël. Pharaon (Exode 9.16) doit servir d’avertissement à tous ceux qui seraient tentés de mépriser l’Éternel ; mais, pour cela, il est loin d’avoir été frappé sans cause.

Il est bien certain que les païens n’ont aucune prétention à faire valoir auprès de Dieu. Mais qui donc en a ? Toutes les nations sont devant le Souverain comme la menue poussière d’une balance, comme un rien. Les Israélites, en eux-mêmes et indépendamment de leur-élection, n’ont aucun droit à l’affection de Dieu (Deut. vu, 7 ; Es. xlv, 9). Leur seul droit c’est Sa charité, et. les prophètes ne se lassent pas de répéter que ce droit, n’est pas absolu, que l’élection divine n’est rien sans la fidélité humaine, et que le peuple, s’il abandonne son Dieu, n’a rien de plus à attendre de l’Éternel que tous les autres peuples. Qu’Israël rompe l’alliance, et le voilà, sur le même pied que les Cusciens ou les Syriens (Amos 9.7). « La circoncision est utile si tu observes la loi, mais si tu es transgresseur de la loi, avec ta circoncision, tu deviens incirconcis. » (Romains 2.25)

Ce qui achève de justifier la manière en laquelle Dieu procède à l’égard des païens, c’est qu’il use de patience envers eux comme envers Israël. « Quand j’aurai parlé contre une nation pour l’arracher, la démolir et la détruire, si elle se détourne du mal qu’elle avait fait, je me repentirai aussi du mal que j’avais pensé de lui faire. » (Jérémie 18.7) L’histoire de Jonas et de Ninive nous dispense de toute autre citation. On peut dire que l’un des buts du livre de Jonas est de montrer que la patience de Dieu s’exerce aussi en faveur des païens.

Et maintenant, en quoi consiste surtout la culpabilité des Gentils ? L’idolâtrie est sans doute leur premier péché, car ils pourraient et ils devraient en sentir toute la folie (Ésaïe 40.17 ; 41.23 ; 44.9 ; 46.5 ; Jérémie 10.8 ; Psaumes 115.4) ; aussi en sont-ils punis par les ténèbres toujours plus épaisses dans lesquelles vont s’égarer les pensées de leurs sages. « Moab entre dans son sanctuaire pour prier, mais il n’obtient rien. » (Ésaïe 16.12 ; 41.6)

[On a quelquefois interprété Psaumes 9.17 : « Les méchants retourneront au sépulcre, toutes les nations qui oublient Dieu y retourneront » comme si les Gentils étaient des רשעים des méchants, parce qu’ils ont oublié ce qu’ils savaient primitivement de Dieu. Mais le contexte n’est pas favorable à ce sens des mots : שכחי אלהים. C’est un oubli pratique et non pas théorétique. Les païens n’ont pas vécu comme ils l’auraient dû. — Ce passage nous rappelle ainsi tout à fait Ésaïe 24.5, où le prophète voit fondre les jugements de l’Éternel sur la terre comme un déluge, parce que les. hommes ont rompu l’alliance éternelle et qu’ils ont ainsi profané le pays. Pour le dire en passant, cette alliance éternelle est celle que Dieu a traitée avec Noé après le Déluge (Genèse 9.9).]

Mais le grand péché des païens, c’est leur hostilité contre Israël. Nul peuple n’a été l’objet d’une haine aussi violente de la part de tous les autres peuples de la terre, que les Israélites ; cette prétention d’être le peuple du Dieu qui seul mérite ce nom, tandis que tous les autres sont des dieux de néant, paraissait intolérable à leurs voisins, presque tous plus forts qu’eux. De cette façon, leur haine pour ce peuple orgueilleux remontait tout naturellement jusqu’à leur Dieu ; et quand Israël était vaincu, ils croyaient triompher de l’Éternel lui-même et s’écriaient : Le Dieu que vous dites seul puissant, ne l’est pas plus que vous ! Rappelez-vous les paroles méprisantes de Rabsaké (Ésaïe 36.18-20). Rien d’étonnant dès lors à ce que les païens, lorsque Dieu se servait d’eux pour châtier son peuple, oubliassent qu’ils n’étaient que des instruments dans sa main, et qu’ils ne s’acquittassent de leur triste mandat avec une joie et une cruauté bien coupables ; Ésaïe 10.5 : L’Assyrie est un ange dans la main de l’Éternel. Mais elle ne l’entend pas ainsi, v. 7, et s’écrie : C’est par ma force que je l’ai fait ! v. 13 ; Zacharie 1.15 : « Je suis extrêmement indigné contre les nations qui sont à leur aise. Car j’étais un peu courroucé, et elles ont aidé au mal. » ; Ésaïe 47.6 : « J’ai livré mon peuple entre tes mains, mais tu n’as point usé de miséricorde envers eux ; tu as cruellement appesanti ton joug sur le vieillard. » Or, toutes les fois que l’homme s’élève avec violence (ὔβρις), il mérite d’être réprimé. « Il y a un jour assigné par l’Éternel des armées contre tous les orgueilleux et les hautains. » (Ésaïe 2.12.) Babylone, la ville des Titans, la ville qui dit : « Toute ma puissance vient de mon Dieu (Habakuk 1.11,16) ; Je monterai aux cieux, j’établirai mon trône plus haut que les étoiles du Dieu fort… » (Ésaïe 14.13), est dans l’A. T. le type de l’orgueil humain, qui ne craint pas de décerner à la créature un brevet de divinité ; aussi sa ruine sera-t-elle à son tour le type de la destruction du monde.

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