Théologie de l’Ancien Testament

§ 221. Le jugement des Gentils.

« Vous tous, peuples, écoutez ! et toi, terre, prête l’oreille, et que le Seigneur soit témoin contre vous, car voici Il va sortir de son lieu… et juger Samarie et Jérusalem. » Ainsi s’ouvre le livre de Michée ; et Jérémie dit pareillement : « Je vais commencer d’envoyer du mal sur la ville sur laquelle mon nom est réclamé, et vous (Gentils), ajoute-t-il, resteriez impunis ? Vous ne resterez point impunis, car je vais appeler l’épée sur tous les habitants de la terre. » (Jérémie 25.29) Puis, le prophète annonce que — redoutable orage — plaie sur plaie va fondre sur tous les peuples les uns après les autres, jusqu’à ce que la terre entière soit couverte de corps morts. — C’est ainsi que la dispersion des Juifs est destinée à servir d’avertissement aux Gentils.

Le mépris que les païens vainqueurs manifestent pour les vaincus et pour leur Dieu, appelle la juste vengeance du ciel. Telle est chez la plupart des prophètes la transition toute naturelle entre le jugement des Israélites et celui du monde païen (§ 219. Ésaïe 10.5 ; Abdias 1.15).

Quant à la description de ce dernier, elle diffère suivant le degré d’intelligence historique que comportait le temps où vivait chaque prophète. La plus ancienne de ces descriptions est celle du dernier chapitre de Joël. Toutes les nations sont convoquées dans la vallée de Josaphat pour y être jugées. Joël a surtout en vue les peuples du voisinage, les Philistins, les Phéniciens, les Iduméens, qui jusqu’alors ont eu le plus d’occasions de maltraiter Juda ; mais il n’en appelle pas moins toutes les nations en jugement, כל–הגוים. Les Gentils ne se doutent pas de ce qui les attend, car ils ne connaissent pas les pensées de l’Éternel, et ils ne comprennent pas que son dessein est de les assembler comme on assemble des gerbes dans l’aire (Michée 4.12). Ils accourent pour donner le coup de grâce au peuple de l’alliance, et dans ce but ils déploient toutes leurs forces et changent en armes de guerre les instruments paisibles de l’agriculture. Josaphat signifie Jéhovah juge.

[C’est à cause de ce passage de Joël que la vallée du Cédron porte aussi le nom de vallée de Josaphat — On a proposé de voir dans la vallée de Josaphat cette autre vallée, également assez proche de Jérusalem, où le pieux roi qui porte ce nom remporta sur les Hammonites et les Moabites une si importante victoire (2Chr. ch. 20), qu’on l’appela dès lors la vallée de la louange עמק ברכה. Mais il est plus naturel de prendre symboliquement le nom de יהשפת Josaphat, et de n’y pas voir le nom du roi Josaphat. Cette vallée n’est-elle pas, au v. 14, appelée la vallée de la destruction ? En tous cas, la vallée de Josaphat ou du jugement ne doit pas être cherchée bien loin de Jérusalem, puisque l’Éternel donne de Sion le signal de l’action, v. 16.]

Cette vallée n’est autre que celle du Cédron, entre le Temple et le Mont des Oliviers. C’est là, tout près du sanctuaire, que doit avoir lieu ce jugement, car les païens en dernière analyse ne seront pas tant condamnés pour avoir méprisé leur conscience, que bien plutôt pour avoir péché contre le peuple, et par conséquent contre le Dieu de l’alliance.

[De même, lorsque la nouvelle Alliance touchera à son terme, la fin n’arrivera pas avant que l’Évangile n’ait été prêché partout, pour servir de témoignage à toutes les nations (Matthieu 24.14)]

Dans Amos, qui rattache évidemment sa prophétie à celle de Joël (voyez Amos 1.2 ; Joël 3.16), le grand drame du jugement des Gentils se décompose en plusieurs actes particuliers. Dans Ésaïe ch. 24 à 27 au contraire, il ne forme qu’un unique et grandiose tableau, dans lequel il n’y a pour ainsi dire qu’un seul coup de pinceau qui en dénote la date ; Ésaïe 27.13 porte évidemment l’empreinte de la période assyrienne : og Il arrivera en ce jour-là qu’on sonnera de la trompette avec un grand bruit ; et ceux qui s’étaient perdus au pays d’Assyrie et ceux qui avaient été chassés au pays d’Egypte, reviendront et se prosterneront devant l’Éternel dans la sainte montagne, à Jérusalem. »

Mais, quoiqu’écrivant dans le temps où Ninive occupait encore la première place en Orient, le prophète voit se dresser à l’horizon la ville qui exécutera sur Juda le jugement définitif de l’Éternel, et qui, par conséquent, supportera aussi les plus grands coups, quand aura sonné pour le monde des Gentils l’heure des justes rétributions (Ésaïe ch. 13). Le jour de la ruine de Babylone verra la terre entière réduite en un désert, v. 9 ; en cette grande journée, les cieux mêmes crouleront et la terre sera ébranlée de sa place, v. 13.

Habacuc rattache également des événements d’une portée universelle à la chute de la puissance chaldéenne (Habakuk 2.14). Chez Jérémie, tous les jugements partiels aboutissent encore à celui de Babylone (ch. 50).

[Parmi ces jugements partiels, celui d’Edom occupe une grande place dans le livre de Jérémie (voyez Jérémie 49.7, sq., où il rattache évidemment sa prophétie à celle d’Abdias). On peut en dire autant d’Esaïe (ch. 34, et Ésaïe 63.1-6), et d’Ezéchiel (ch. 35). Cela vient de ce que Edom, peuple parent et voisin d’Israël, est le type des païens qui ont eu le plus d’occasions de connaître le vrai Dieu et qui néanmoins ont constamment eu pour les Israélites la haine la plus vive.]

Babylone est renversée ; le monde subsiste, et dans Ezéchiel ch. 38 et 39, c’est Gog qui a pris la place de Babylone. Les deniiers jours (Ézéchiel 38.16) sont reculés. Dans les derniers jours donc, Gog sortira de son pays de Magog avec de puissantes armées, v. 12, renforcées des contingents de l’Asie et de l’Afrique, et il envahira la Terre sainte, de nouveau occupée par Israël. Là, les armées coalisées tireront l’épée les unes contre les autres et se détruiront elles-mêmes, comme les Madianites de Gédéon, les Philistins de Saül et les Hammonites de Josaphatd. Ewald s’est donc gravement trompé quand il a cru retrouver Babylone sous le nom de Gog. Ezéchiel n’a jamais prophétisé contre Babylone. D’ailleurs, il y a ici progrès. La prophétie s’étend maintenant jusqu’aux limites extrêmes du monde païen et de l’histoire de la Terre. Ce qu’elle tient à bien faire comprendre, c’est que, avant que vienne la fin, il faut que le reste du monde (car Babylone ne comprend pas la terre entière), se mesure aussi à son tour avec l’Éternel ; et c’est pour cela que l’Apocalypse (Apocalypse 20.8), lorsqu’elle en vient à parler de la lutte suprême du paganisme contre la sainte cité, rattache sa prophétie à celle d’Ezéchiel, et non pas à celle de tel autre prophète antérieur.

d – Le monde renferme en lui-même les germes de sa propre dissolution.

Les prophètes d’après l’exil se rattachent également tous à Ezéchiel, qui a véritablement fait époque. Nous avons d’abord Aggée, qui vivait, quelques années avant les guerres médiques. L’établissement du règne de Dieu sur la terre sera précédé (Aggée 2.21) par de terribles cataclysmes. L’Éternel ébranlera les cieux et Ja terre, Il renversera les trônes et les empires. Les rois des nations tireront l’épée les uns contre les autres et hâteront ainsi leur propre ruine.

Les trois derniers chapitres de Zacharie, le 14me en particulier, tout en continuant Joël, rappellent davantage encore qu’Aggée la prophétie d’Ezéchiel sur Gog. Voilà tous les peuples de la terre qui sont assemblés contre Jérusalem. Dieu, de son côté, revêt d’une force surnaturelle les princes et tous les habitants de Jérusalem. Mais le combat est rude. La sainte ville succombe en partie. La moitié de ses habitants est emmenée en captivité. Au moment suprême l’Éternel apparaît sur le mont des Oliviers avec tous ses Saints. Il vient délivrer les siens, ses ennemis s’entredétruisent, saisis d’une terreur panique, et le jour du salut commence à briller. Nous retrouvons ici la pensée que le peuple de Dieu doit s’attendre, avant que sonne pour lui l’heure de la délivrance, non seulement à subir un dernier triage, mais encore à passer par de terribles angoisses. C’est quand on croira tout perdu que le Seigneur viendra tout sauver.

Malachie était entouré de gens qui soupiraient après le moment où Dieu viendrait châtier les païens. Il leur rappelle (Malachie 4.2), que le peuple de Dieu a, le premier, besoin de passer par le crible.

La pensée spéciale et nouvelle qu’il était réservé à Daniel de mettre en lumière, c’est que, avant que le jugement éclate, le mal doit complètement mûrir. Pour lui tous les royaumes du monde peuvent se ramener à quatre, qui ne forment qu’un seul grand tout, le monde, la cité des hommes dans son hostilité contre la cité de Dieu ; l’or, l’argent, l’airain et le fer du chapitre il concourent à la formation d’un seul et même colosse, et les quatre animaux, du chap. 7surgissent tous les uns après les autres de la grande mer qui, dans son agitation continuelle, représente les révolutions incessantes des empires terrestres.

[On y retrouve ordinairement les empires chaldéen, médo-perse, grec et romain ; et quand on s’en tient à l’étude de Daniel ch. 2 et 7, toute autre interprétation semble impossible. Mais quand on arrive aux chapitres suivants, on vient se heurter contre des difficultés telles que l’on conçoit que beaucoup de théologiens modernes, Delitzsch entre autres, aient préféré voir dans le quatrième animal l’empire grec, dans le troisième, les Perses, dans le second, les Mèdes, et dans le premier, soit les Assyriens, soit les Egyptiens.]

Tout d’un coup le royaume des cieux vient renverser les royaumes du monde ; mais, encore une fois, cette victoire définitive du bien n’aura lieu que lorsque le mal sera parvenu à son comble, et que l’inimitié contre Dieu se sera en quelque sorte tout entière concentrée dans une personnalité impie, un roi audacieux qui prononcera des paroles de blasphème contre le Très-Haut, qui abolira le vrai culte et qui recevra même pour un temps le pouvoir de tourmenter les saints du souverain (Daniel 7.8, 11, 20, 25). Cet homme c’est d’abord Antiochus Epiphane (Daniel 11.36), dont les cruautés servent à purifier le peuple de Dieu ; mais il y aura d’autres Antiochus Epiphane après lui, et les persécutions du temps des Macchabées sont le type des angoisses inexprimables des derniers temps (Daniel 12.11), temps néfastes qui dépasseront en horreur tout ce qu’on aura vu jusqu’alors, mais qui auront cet avantage que plusieurs en sortiront nettoyés, blanchis et éprouvés (v. 10).

[Nous renvoyons au § 226, où nous parlerons de la résurrection, la question de savoir jusqu’à quel point les prophètes se sont représenté que le jugement dernier concernerait les morts, ainsi que celle du rôle de la perdition éternelle dans l’eschatologie de Daniel.]

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