La Vérité Humaine – I. Quel homme suis-je ?

3.2 Période patristique

C’est la période par excellence de l’apologie. « Le christianisme attaqué de toutes parts, d’en haut par le pouvoir politique, de flanc par la philosophie, d’en bas par les plus mauvais instincts des masses populaires, avait de plus à surmonter des discordes intestines qui provenaient, soit de l’ancien judéo-christianisme, soit surtout de l’hellénisation rapide et parfois aiguë (comme dans le gnosticisme par exemple) des données chrétiennes. L’apologie du christianisme se fit à la fois par le sang et par la parole. Il fallut établir tout ensemble le droit légal et le droit moral des chrétiens, contestés l’un et l’autre par l’adversaire. Les efforts des Pères apologètes pour justifier leur foi devant le monde juif et païen étaient en quelque sorte le prolongement, sur le théâtre de la pensée, des drames quotidiens qui se déroulaient dans les cirques. Il fallait montrer que ceux qui savaient mourir savaient aussi raisonnerd. »

d – Gretillat, ouvr. cité, p. 16-17 (très librement reproduit).

Je n’entre pas dans le détail de ces apologies. Je remarque seulement que, « tandis que le paganisme expirant était devenu d’une extrême tolérance pour toutes les religions des peuples vaincus, dont Rome absorbait tous les cultes dans le vaste syncrétisme de son Panthéon, le christianisme seul fut capable de troubler cette indifférence. La religion du Christ fut la seule, Jésus la seule divinité qui ait eu le don de réveiller sa jalousie endormiee. » Et si je relève ce fait, c’est qu’il a lui-même une portée apologétique considérable. En effet, si la colère du plus tolérant et même du plus sceptique des paganismes s’alluma dès son premier contact avec le christianisme, c’est qu’il comprit d’instinct que sous les apparences du pacifisme le plus complet, et en tous cas sous la forme du respect le plus loyal à l’endroit de la conscience humaine comme des autorités établies, cette superstitio nova annonçait et effectuait, seule entre toutes, le réveil et l’affranchissement de la conscience humaine ; qu’elle marquait dès lors le commencement d’une révolution radicale, non seulement dans l’ancien monde et dans l’Empire, mais dans l’humanité elle-même. Elle dégainait une épée ; elle annonçait un train de guerre dont l’humanité christianisée, dont l’Eglise surtout n’est pas encore sortie et ne sortira jamais dans cette économie. « Les despotes pressentirent dans l’individualisme chrétien un principe de libération et de résistance qui allait créer au sein de l’Empire comme une province nouvelle, où la volonté impériale cesserait d’être toute puissante et rencontrerait, au milieu de l’affaissement universel des caractères, des convictions irréductibles à son autorité. — A la philosophie, à son tour, se révélait une nouvelle folie, dont on eût pu se contenter de sourire, si justement elle n’avait contenu dans ses flancs une sagesse, nouvelle elle aussi, et avec laquelle il faudrait compter désormais. — Les masses enfin, d’ailleurs excitées et conjurées par leurs sages et leurs maîtres dans une haine commune, reconnaissaient à première vue dans la religion du Christ une loi nouvelle et sainte, très sévère au cœur naturel de l’homme, implacable au péché, et dans les disciples du Crucifié des juges dont la seule présence condamnait leurs débordementsf. »

eIbid.

fIbid.

Si telle fut la cause de la haine effective et profonde dont le christianisme fut alors l’objet, — d’une haine que rien dans les dispositions du paganisme ne faisait prévoir, d’une haine qui aurait paru inepte et ridicule aux sages antiques, qui en tous cas semblait démodéeg et qui néanmoins se fit jour avec une virulence passionnée, — si telle fut la cause de cette haine, il faut bien avouer que le christianisme avait en lui quelque chose d’extraordinaire et de singulier, qu’il n’était pas une religion seulement entre les religions, comme on le veut aujourd’hui, mais ou bien la plus infâme, la plus abjecte et la plus révoltante des superstitions, ou bien une puissance divine. Et si je considère que cette haine a accompagné le christianisme depuis ses origines jusqu’à nos jours, qu’elle fut à son paroxysme aux heures où il fut lui-même le plus conquérant, le plus fertile en énergies et en vertus morales ; que seul entre toutes les religions il eut toujours besoin d’être défendu, que l’apologétique est liée au seul christianisme parce qu’il est seul capable de susciter une opposition constamment renouvelée — je ne puis m’empêcher de voir dans ce fait un argument apologétique de la plus haute portée. S’il n’était rien, il ne troublerait pas la paix du monde ; s’il n’était qu’humain, il ne la troublerait pas à travers dix-neuf siècles d’histoire, et surtout ne triompherait pas de dix-neuf siècles d’opposition. Il est donc quelque chose, quelque chose de plus qu’une religion humaine, et de nouveau le dilemme s’impose entre : une perversion monstrueuse de la nature humaine contre laquelle l’humanité lutte à bon droit ; ou une puissance divine aux prises avec ce qu’il y a de plus mauvais et de plus corrompu dans le cœur de l’homme. Entre les deux termes de l’alternative, l’hésitation n’est guère possible.

g – L’empereur n’écrivait-il pas à Pline qui requerrait ses conseils : « La persécution n’est plus de notre temps » ?

Des Pères apologètes du iiie et du ive siècle, passons d’un saut à la Réformation.

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