L’épître de Jacques en 25 sermons

Préface

Certains ouvrages se recommandent assez d’eux-mêmes. Celui-ci nous paraît être du nombre. Aussi, n’aurions-nous point songé à l’introduire, même brièvement, auprès du grand public religieux, n’était la nécessité de quelques éclaircissements préliminaires sur l’origine et l’opportunité des morceaux qui le composent. Quant aux questions si débattues, mais toujours ouvertes, d’auteur, de date, de lieu, de fond et de forme, de destinataires, nous n’y toucherons pas, attendu que les simples lecteurs qui ne cherchent, en somme, que leur édification et les théologiens au courant de la science, peuvent également se passer de nos considérations, fastidieuses aux uns, inutiles aux autres.

La Société pastorale neuchâteloise, toujours jeune et laborieuse, malgré son très grand âge, a coutume de se réunir six fois l’an au chef-lieu pour y entendre, entre autres travaux d’ordre essentiellement théologique, une prédication entourée de son cadre habituel de prières et de chants, pieuse entrée de la séance proprement dite.

Il y a deux séries parallèles de prédicateurs : celle des vétérans et celle des conscrits. Les premiers prêchent sur un texte libre, c’est-à-dire de leur choix, et profitent généralement de cette excellente occasion pour ouvrir à leurs jeunes frères d’armes un riche trésor d’expérience, de sagesse, de prudence pastorale et de piété. Précieuses leçons de théologie pratique qu’il faudrait recueillir mot à mot, emporter chez soi, méditer à loisir, consulter à l’occasion !

Les seconds traitent un sujet imposé d’un commun accord plusieurs mois à l’avance, afin de leur laisser tout le temps nécessaire à l’élaboration d’un travail soigné, annoncé du haut des chaires, le dimanche précédent, et dans un journal de la ville, par conséquent prêché en public, apprécié à huis-clos.

Or, la gent pastorale a la réputation, quelque peu méritée, dit-on, d’exceller dans la pratique de cette bienfaisante correction fraternelle recommandée par l’apôtre aux Galates (Galates 6.1-5). Sa patte nerveuse et veloutée n’est pas dépourvue de griffes. Parfois, à titre de réciprocité… Bref, l’orateur désigné sait à quoi s’en tenir, et la crainte salutaire de la critique, jointe au désir de bien faire et de faire du bien, le stimule à la perfection… relative, hélas ! Il examine, sonde, scrute son texte dans l’original, compare les traductions diverses qui en ont été faites, pèse chaque terme, chaque signe de ponctuation, recherche l’opinion des commentateurs, s’entoure de toute la littérature du sujet, trie, dispose ses matériaux et ne commence à construire qu’après avoir élaboré un plan rigoureux qui est à son œuvre ce que le squelette correct est à celle du peintre consciencieux. Il connaît le judicieux conseil de Boileau :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez.

Il travaille, il polit et repolit. Plus il a de talent, moins il est satisfait. Lutte salutaire.

La délimitation exacte du sujet en augmente les difficultés, surtout lorsqu’il s’agit, comme dans le cas particulier, d’un texte suivi, étudié par vingt-cinq prédicateurs, verset par verset ou groupe de versets ayant un sens complet. Impossible de revenir en arrière ou de courir en avant sans dire ce qui a été ou sera dit par d’autres. Cuique suum, à chacun son bien. Il faut rester sur son terrain et en tirer ce qu’il contient, rien de plus, rien de moins.

Ainsi a été traitée, de 1887 à 1894, toute l’Épître de Saint-Jacques, en vingt-cinq sermons, de valeur inégale sans doute, suivant le mérite respectif de leurs auteurs, mais tous, ou presque tous, intéressants à des titres divers.

Telle est l’origine de ce sermonnaire.

Pour qui sait voir et apprécier les manifestations successives de l’esprit humain, il est évident que le christianisme contemporain évolue rapidement de droite à gauche, de la théorie à la pratique, de la spéculation à la vie. Le siècle présent, essentiellement positif, veut des faits, des actes en tous domaines, mais surtout dans celui de la religion. Il juge de la réalité, du sérieux et de la profondeur de la foi aux fruits qu’elle produit, non aux systèmes théologiques qu’elle élabore, encore fussent-ils admirables de logique, de science et de piété. Aux grands docteurs, il préfère les plus modestes apôtres, aux grands esprits, les grands cœurs. Il va répétant ce mot, résumé de tout L’enseignement moral du Maître : « La religion pure et sans tache devant Dieu, notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se préserver des souillures du monde » ; c’est-à-dire à exercer la miséricorde et à vivre dans la pureté. Il y ajoute cet autre : « Comme le corps sans âme est mort, de même la foi sans les œuvres est morte (Jacques 1.26-27) ; ». La vie du corps est la manifestation de son âme ; l’activité de la foi est la preuve irrésistible de la réalité de la foi.

Et l’Église, comprenant enfin combien ce désir est conforme à la pensée et à l’œuvre morale du Christ, nettement résumée dans ce passage : « Ce n’est pas quiconque me dit Seigneur, Seigneur ! qui entrera dans le royaume des cieux, mais c’est celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux (Matthieu 7.21) », entre résolument dans le domaine des actes. Sans doute, elle prêche encore et prêchera toujours avec ardeur par la parole les principes fondamentaux de sa foi, mais elle agit surtout, elle sert, elle se dévoue, et se voue à toutes les saintes causes de l’humanité. Elle montre plus qu’elle ne démontre. Comme son Chef suprême, elle n’aspire plus à régner qu’en servant. Et son activité morale, mieux que ses plus beaux ouvrages de dogmatique, établit la vitalité de sa foi et triomphe des préjugés et des préventions de ses adversaires. Quels résultats n’obtiendra-t-elle pas encore, lorsque, se souvenant que « toute maison divisée contre elle-même ne peut subsister », elle rassemblera dans un même esprit, et retiendra par le lien de la paix, tous ses membres épars, et, sel de la terre et lumière du monde, fera luire sa lumière devant les hommes, afin qu’ils voient ses bonnes œuvres, et qu’ils glorifient son Père qui est dans les cieux.

Certes, il n’est pas désirable que la spéculation pure, la dogmatique ou philosophie religieuse disparaisse jamais complètement du domaine de la religion, ni même qu’elle soit amoindrie, car elle a été, est encore et sera toujours utile, voire indispensable à la foi, partant à la vie, puisque celle-là est la source féconde de celle-ci. Méconnaître son rôle dans l’émancipation de la pensée chrétienne et dans la pénible conquête de la liberté de conscience, base et honneur du sentiment religieux, serait méconnaître l’histoire de l’Église. Quels précieux services ne rendra-t-elle pas encore, si, renonçant à empiéter sur le terrain de la vie dont elle gêne le libre exercice, elle reprend le beau rôle de conseillère et de guide de la pensée que lui avait confié l’Église primitive ! Les écrits et l’activité des auteurs sacrés offrent à cet égard un spectacle bien instructif. Conseillère et guide, oui, mais geôlier, non.

Or, l’Épître de Saint-Jacques répond admirablement à cette nouvelle tendance, comme les ouvrages de Saint-Paul aux siècles de formation et de réformation de l’Église, et ceux de Saint-Jean aux époques de mysticisme. Elle contient peu d’idées spéculatives ; on y chercherait en vain les éléments d’une dogmatique complète ; en revanche, de nombreux préceptes de morale idéale ; des faits, des actes, la vie débordante.

Aussi, après avoir été tour à tour ignorée, méconnue, tenue pour suspecte, méprisée par les théologiens, dont un des plus puissants et des plus absolus la traitait dédaigneusement « d’épître de paille », prend-elle aujourd’hui rang à côté des autres écrits du Nouveau Testament, spécialement des synoptiques, voire du sermon sur la montagne dont elle est le prolongement, ou plutôt le commentaire modeste et fidèle.

Tout esprit sincère, non prévenu, reconnaîtra sans peine la relation frappante qui unit la pensée de Jacques à celle de Jésus ; l’air de famille, dirons-nous. Même sobriété de dialectique, même fond moral, même souci de l’accomplissement de la Loi et des Prophètes, même forme claire, brève, nerveuse, sentencieuse, paradoxale parfois dans le bon sens du terme. Il n’est pas un chapitre, un verset, peut-être un mot, qui ne rappelle, directement ou indirectement, un chapitre, un verset, un mot de Jésus.

Aspirations du siècle, à propos de l’Épître de Saint-Jacques, pénurie d’études plus ou moins complètes en français de ce livre important, en faut-il davantage pour établir l’opportunité de cette publication offerte au public religieux comme un élément d’instruction et d’édification ? Puisse ce modeste sermonnaire contribuer en quelque mesure à l’avancement du Règne de Dieu dans le cœur de tous ceux qui le liront !

G.-M. Ragonod.

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