L’épître de Jacques en 25 sermons

Pas d’acception de personnes !

Mes frères, que la foi que vous avez en notre Seigneur Jésus-Christ glorifié, soit exempte de toute acception de personnes. Car s’il entre dans votre assemblée un homme qui ait un anneau d’or et un habit magnifique, et qu’il y entre aussi un pauvre avec un méchant habit ; et qu’ayant égard à celui qui porte l’habit magnifique, vous lui disiez : Toi, assieds-toi ici honorablement, et que vous disiez au pauvre : Toi, tiens-toi là debout, ou assieds-toi ici sur mon marche-pied ; ne faites-vous pas en vous-mêmes de la différence entre l’un et l’autre, et n’avez-vous pas de mauvaises pensées dans les jugements que vous faites ? Ecoutez, mes chers frères : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres de ce monde, qui sont riches en la foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? Et vous, au contraire, vous méprisez les pauvres. Ne sont-ce pas les riches qui vous oppriment et qui vous tirent devant les tribunaux ? Ne sont-ce pas eux qui blasphèment le beau nom qui a été invoqué sur vous ? Si vous accomplissez la loi royale, selon l’Écriture, qui dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien. Mais si vous avez égard à l’apparence des personnes, vous commettez un péché, et vous êtes condamnés par la loi comme des transgresseurs. Car quiconque aura observé toute la loi, s’il vient à pécher dans un seul commandement, est coupable comme s’il les avait tous violés ; car celui qui a dit : Tu ne commettras point adultère, a dit aussi : Tu ne tueras point. Si donc tu ne commets pas adultère, mais que tu tues, tu es transgresseur de la loi. Parlez et agissez comme devant être jugés par la loi de la liberté.

Jacques 2.1-13

Qu’elle était belle, mes frères, cette première Église, née au matin de la Pentecôte au souffle puissant de l’Esprit de Dieu ! De tous ses membres, la foi était si vive, si vraie, si sincère, qu’aussitôt elle produit les fruits divins les plus contraires, les plus répulsifs à la vieille nature humaine corrompue. De cette foi jaillit soudain l’amour, un amour si profond, que de sa flamme chaude, il a bientôt consumé toutes les barrières jusqu’alors vaniteusement élevées, jalousement maintenues entre les hommes : « Ils n’étaient tous, dit l’écrivain sacré, qu’un cœur et qu’une âme » (Actes 4.32). La fortune elle-même qui creuse entre les hommes des abîmes d’autant plus profonds qu’ils sont moins légitimes, ne les sépare plus ; elle les unit : « Personne ne disait que ce qu’il possédait fût à lui en particulier, mais toutes choses étaient communes entre eux. »

Non, jamais l’Esprit ne fit plus grand miracle. Dieu, arrêtant ses yeux sur cette création spirituelle, plus encore que de celle qui jadis surgissait magnifique du chaos, pouvait dire d’elle : « Elle est très bonne », et le monde, à la vue de cette œuvre si grande, pouvait bien espérer rénovation et bonheur.

Mais, voici, trente années à peine se sont-elles écoulées depuis cette glorieuse Pentecôte, qu’introduits par Saint-Jacques dans une assemblée de ces mêmes croyants, nous assistons au spectacle le plus douloureux, le plus révoltant de leurs divisions et de leurs luttes. Comment donc a sitôt pâli cette brillante et radieuse aurore, se sont évanouies tant d’espérances ?

Si pénible qu’en soit la tâche, contemplons néanmoins ensemble cette lamentable déchéance. Constatons-la dans les faits que signale l’apôtre, dans les principes dont ils procèdent, dans les conséquences qu’ils doivent fatalement porter. Nous sentons bien qu’instruits par un si grand exemple, nous pourrons tous, devenus vigilants, préserver mieux l’Église dont nous sommes membres d’une chute si profonde, ou bien plutôt, puisqu’il le faut, hélas ! l’en relever et l’en affranchir.

Les faits, mes frères, sont si indignes de membres de l’Église de Jésus-Christ, que, s’ils ne nous étaient affirmés par Saint-Jacques, le frère du Seigneur, l’illustre évêque de Jérusalem, celui que Paul lui-même, dans son épître aux Galates, met au rang des apôtres, non seulement nous ne saurions admettre si aisément leur réalité, mais à peine encore les jugerions-nous possibles parmi les disciples du Seigneur.

Supposez, en effet, que dans cette assemblée elle-même entre en cet instant tel membre de l’Église, tout semblable à celui que nous décrit l’apôtre, un homme vêtu d’habits magnifiques et faisant, à son doigt, briller un anneau d’or, un riche, en d’autres termes, bouffi de sa grande fortune dont il fait, aux yeux des autres, impertinent étalage. Ces hommes-là sont de tous les temps et le nôtre ne les ignore pas.

Mais, voyez-vous à son apparition, les chefs eux-mêmes de l’Église, pasteurs et anciens, hommes d’autorité évidemment pour désigner à chacun sa place et trôner eux-mêmes sur un siège élevé, les voyez-vous, dis-je, s’empresser au devant de l’auditeur opulent qu’ils accueillent, qu’ils font asseoir honorablement parmi eux pour ne laisser à l’indigent timide qui s’approche à son tour que quelque obscur recoin : « Sieds-toi, lui dit l’un d’eux, sur mon marche-pied » (v. 3). Il craint, hélas ! que ses regards et plus encore, que les regards du riche ne soient offusqués de tant de misère et de tristes haillons. Le pauvre, mal vêtu, sale, déguenillé, n’est-il pas comme un déshonneur pour l’assemblée ?

Frères, avez-vous bien vu, bien mesuré l’infamie ? Et si nous l’avons fait, tout notre être, à nous habitués pourtant à plus de chrétienne égalité et de saine démocratie, ne bondirait-il pas d’indignation ? Et nous aurions raison ; — et nous avons raison de nous indigner comme le faisait Saint-Jacques du reste, qu’ainsi aient jamais pu se passer les choses dans les assemblées des chrétiens ; — et nous aurions plus raison encore, en donnant à notre indignation, pour objet, non pas ceux qui, disparus depuis des siècles, n’en peuvent, ni bénéficier, ni rien ressentir, mais nous-mêmes, nous auxquels à cette heure encore s’adresse la Parole divine, coupables que nous sommes comme nos pères, de préférences arbitraires et d’injustes acceptions de personnes parmi les croyants.

Sans doute que, parmi nous, la basse adulation de la fortune ne s’exprime pas, grossière ou naïve, comme au temps de Saint-Jacques. Elle aussi, comme tout le reste, s’est civilisée. Nous ne sommes plus au temps de la triste coutume, maintenue cependant encore en mainte Église, au mépris de la lettre et de l’esprit de l’Évangile, de vendre honteusement les places favorables d’un temple pour ne laisser à l’étranger ou à l’indigent qu’à se réfugier là où aucun membre considéré de la communauté n’aurait voulu s’asseoir. Mais pour être plus subtil, plus voilé, le péché n’en est pas moins réel ni plus excusable. Nos assemblées elles-mêmes ne sont pas si exemptes que nous voulons bien le dire des coupables acceptions de personnes que condamne si fermement l’évêque de Jérusalem. Nous savons fort bien, par exemple, nous glorifier que tel personnage d’importance soit membre de notre congrégation ou assiste à nos cultes ; ou que de fois, nous étalant largement sur nos bancs, nous laissons, d’un air distrait, passer auprès de nous le pauvre qui cherche quelque modeste place, tandis que nous savons aussitôt et d’avance replier en quelque sorte nos ailes ou resserrer nos limites pour accueillir celui ou celle dont le voisinage nous convient plus ou nous honore davantage.

Les acceptions de personnes, frères, elle sont dans nos Églises, elles sont dans nos temples et en fussent-elles mêmes bannies qu’il est encore un autre sanctuaire où elles règnent, et ce sanctuaire, c’est le plus grand de tous, celui auquel surtout elles devraient être étrangères, car ce sanctuaire, c’est le cœur. Ah ! qu’importeraient les Églises et les temples ! d’acceptions de personnes, ils seraient bientôt libres, si les cœurs en étaient purifiés. C’est bien aussi, du reste, dans nos cœurs que l’apôtre nous signale la faute, sur nos cœurs qu’il nous invite à veiller, car, dit-il, « ne faites-vous pas en vous-mêmes de la différence entre l’un et l’autre et ne devenez-vous pas juges animés de pensées mauvaises ? » (v. 4).

Où donc est-il parmi nous, celui qui, ayant sincèrement sondé son cœur et connu sa vie, oserait dire que, sur lui, la richesse ou ce qui en procède : autorité, influence, position politique ou que sais-je encore, la richesse, en un mot, sous toutes ses formes, n’exerce aucune fascination, qu’elle n’influence ni ne détermine en rien son appréciation des autres ?

La fortune est grande magicienne. Elle donne beauté, esprit, ascendant, piété même, et certes, si la légende était vraie et que Pierre eût du royaume des cieux la mystérieuse clef, cette clef, sûrement, ne peut être que d’or.

Aussi, mes frères, nous tous qui avons, avec indignation, contemplé les assemblées déchues de l’Église primitive, je le répète, nous contemplant nous-mêmes, gardons pour nous l’indignation la plus légitime ou mieux encore, la douleur la plus vive ; les faits nous accusent et nous humilient. Ils le font moins encore que les principes secrets dont ils procèdent et qui, ainsi que notre texte nous le révèle, ne sont rien autre qu’une criante injustice envers les hommes, et envers Dieu une grossière incrédulité.

Sur le riche, mes frères, tombe, par la hardie et courageuse parole de Saint-Jacques, une triple et sévère accusation.

Tout d’abord, le riche opprime (v. 6). Le fait, pour l’apôtre est incontestable. C’est un axiome. Il se croit tout permis à l’égard des déshérités de la fortune et il n’y a pas de domaine où ne pèse lourdement le poids de l’or. Ce n’est certes pas que le riche le veuille toujours ; il y a d’excellents riches qui n’y songent même pas ; mais outre que le plus souvent ils le veulent, l’oppression est, du riche, l’habitude, l’éducation ; elle en est l’instinct et comme la loi de nature, ou plus encore, elle en est la séduction redoutable et le piège dangereux.

Bien plus, le riche veut, dans son oppression, avoir raison encore, et la faire proclamer légitime contre ceux qui s’en plaignent et s’en révoltent (v. 6). Les tribunaux, ô suprême honte ! mais expérience trop fréquente, leur sont dévoués. Aussi, assurés du succès, y traînent-ils sans scrupule les petits, assez insensés pour trouver le joug incommode. C’est tous les jours que des coupables influents échappent et que le malfaiteur de peu d’importance venge, par la gravité de la condamnation qui le frappe, la majesté de la justice humaine, blessée elle-même de son impuissance ou de sa lâcheté à châtier les crimes des puissants.

Enfin, pour comble de culpabilité, le riche blasphème (v. 7). Brisé, éperdu, sans recours contre la partialité et l’injustice l’indigent en appelle-t-il au Dieu fort, au Dieu, juste juge ? ou invoque-t-il sur lui son saint nom ? se place-t-il sous sa protection et sous sa garde ? le riche ne s’en inquiète guère. Il blasphème, soit qu’étant impie, il se moque de cette puissance divine invoquée, mais pratiquement illusoire, et détruite par la toute-puissance de Mammon ici-bas ; soit que lui aussi, membre pieux de l’Église, il en appelle hypocritement ou candidement peut-être à ce même Dieu, qui, à ses yeux, a créé le riche et le pauvre, le riche, afin que naturellement il règne, le pauvre, afin qu’il accepte humblement comme lot providentiel l’obscurité et la soumission. Le blasphème, ainsi, n’est pas seulement en paroles ; il est encore dans l’acte inouï d’en appeler au Dieu juste pour légitimer l’injustice et d’obliger du même coup le pauvre lui-même à blasphémer ce Dieu d’oppression et de partialité.

Or, ce riche qui nous opprime et qui blasphème, ce riche qui, faisant de la justice humaine et des dispensations de Dieu lui-même ses dociles instruments, s’appuie sur elles pour rendre son oppression plus assurée ; c’est lui précisément que nous adulons, à lui que nous rendons nos respectueux hommages, tout en nous irritant en nos âmes de sa présomption et de ses dédains, tandis que l’indigent qui, par intérêt ou par bonté d’âme, instruit par la rude éducation de la vie, ne demande qu’à nous être bienveillant et serviable, nous le foulons aux pieds et condescendons à peine à l’honorer d’une parole, d’un regard, d’une place à nos côtés ! Oui, frères, voilà ce qui se passe, et ce ne serait pas la plus lâche et la plus basse des injustices ! Dites, si le principe, d’où le fait découle, ne doit pas exciter, plus encore que le fait lui-même, notre honte, notre indignation contre nous-mêmes ; dites, si rien peut surpasser plus cruelle injustice envers les hommes, rien, si ce n’est encore notre second principe, notre incrédulité envers Dieu.

Notre incrédulité ! Cette accusation vous étonne, mes frères. Ah ! laissez là votre surprise. Cette incrédulité est si grave, si évidente, si totale, que Dieu, dans sa sainte Trinité, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit en est tout dépouillé de ses prérogatives et de sa gloire.

Nous prétendons croire au Père ! Or, c’est le Père qui, par son libre choix (v. 5), par son appel créateur, élève les infirmes enfants des hommes à la dignité de ses enfants et les engendre à la vraie vie ; c’est le Père qui, par la foi, leur donne de leur adoption éternelle l’émouvant témoignage : « Celui qui croit en Jésus, dit Saint-Jean (Jean 5.10-11), a le témoignage de Dieu en soi-même », et voici quel est ce témoignage, c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle ; c’est le Père encore qui, par cette même foi, rend les siens riches de son héritage, de sa gloire et par là, éveille en eux la reconnaissance, la consécration et l’amour.

Sans doute que Dieu choisit les siens en toute classe d’hommes ; néanmoins, soit qu’il veuille faire éclater sa gloire et manifester aux yeux de tous sa suprême liberté, rendre plus évidente sa grâce, soit qu’il établisse comme une mystérieuse compensation entre les pauvretés de ce monde et les éternelles richesses, Dieu semble adresser son appel à la vie, de préférence, aux plus chétifs, aux plus dénués de la terre. Examinez l’histoire, sauf certes, mainte exception illustre, cette divine acception de personnes en faveur des infortunés et des petits ne se dément jamais et la parole de Saint-Paul se justifie toujours : « Voyez, frères, votre vocation ; qu’il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles, mais Dieu a choisi, de ce monde, les choses folles, les choses faibles pour anéantir les sages et les fortes, les plus méprisées, même celles qui ne sont point, pour anéantir celles qui sont, afin que personne ne se glorifie devant lui » (1 Corinthiens 1.26-31).

« Et vous, dit Saint-Jacques, vous méprisez les pauvres » (v. 6), vous abaissez ceux que Dieu honore. Frères, le ferions-nous jamais, si en vérité nous croyions au Dieu qui adopte selon son bon plaisir ? Oserions-nous jamais nous opposer d’une façon si flagrante aux préférences et aux claires volontés du Seigneur ? Si nous croyions au Père, oserions-nous fouler aux pieds ses enfants ? Nous ne l’osons que par une incrédulité inconsciente sans doute, mais absolue au Père, à l’exemple qu’il nous donne et aux directions que, par son exemple, il nous impose.

Et cette incrédulité, mes frères, grande à l’égard du Père, ne l’est pas moins à l’égard du Fils. Nous ne manquons sans doute pas une occasion de proclamer et célébrer la gloire du Fils élevé à la droite du Père. Pour nous, comme pour Saint-Jacques qui n’avait cru qu’au Christ déjà ressuscité, Jésus est le Seigneur de la gloire ; mais cette gloire, quelle valeur a-t-elle donc si la pierre précieuse qui scintille à l’anneau d’une main délicate, si le vêtement magnifique suffisent à l’éclipser ou à la faire pâlir ? Or, c’est là précisément ce qui arrive. Aussi longtemps que les prérogatives que donne la fortune surpasseront à nos yeux les privilèges spirituels que confère à l’âme croyante le Seigneur Jésus-Christ, ne faut-il pas que la gloire du Fils, auprès de laquelle toutes les gloires humaines ne sont que fange, ne soit pour nous qu’un vain mot et qu’une folle chimère, l’objet de notre instinctive et totale incrédulité.

Enfin, mes frères, l’Esprit, que fait-il autre chose qu’animer les ossements épars, desséchés et blanchis et leur communiquer la vie ? « Il prendra ce qui est à moi et vous le donnera, dit Jésus, c’est lui qui me glorifiera en vous » (Jean 16.14), c’est-à-dire que l’Esprit fait de chacun des croyants comme un Christ. Du chaos de l’humanité, il crée et fait surgir la famille divine, aussi s’appelle-t-il « l’Esprit d’adoption ». Dès lors, par l’Esprit, toute loi divine cesse d’être gravée, là, hors de nous, sur des tables de pierre, s’imposant violemment aux cœurs méchants qui s’insurgent et se révoltent. « Voici, au contraire, l’alliance que je traiterai en ce jour-là, dit le Seigneur, j’écrirai ma loi dans leur cœur et je la graverai dans leur entendement » (Jérémie 31.33). Aussi, cette loi, voulue joyeusement par les enfants de l’adoption divine est-elle pour eux la « loi royale, la loi que se donne tout monarque absolu, c’est-à-dire, sa propre volonté, son libre caprice, la loi de la liberté en un mot, loi telle qu’en vérité elle n’est plus loi, mais liberté et spontanéité parfaites.

Or, cette loi divine que l’Esprit vient graver dans le cœur, cette loi de la vie de Dieu dans ses enfants, que serait-elle autre qu’amour, puisque Dieu est amour ? Cet amour n’est pas celui de l’égoïste qui n’aime que pour se rechercher lui-même dans ses affections et les privilèges qu’elles lui procurent, mais c’est l’amour tel que Dieu le connaît, l’éprouve, l’inspire, l’amour qui n’est que miséricorde, compassion, consécration et don de soi-même à ceux qui en sont les objets.

C’est si bien la loi suprême que doit imprimer l’Esprit au cœur de tout croyant qu’il n’est en réalité point d’autre loi divine, c’est la loi tout entière, c’est l’unique loi, « l’amour, dit Saint-Paul, est l’accomplissement de la loi ». — « Tu aimeras, — c’est là toute la loi, dit Jésus ». Si donc, nous plaçant humblement aux pieds du riche dont nous espérons pour nous-mêmes quelque avantage, nous méprisons l’indigent qui aurait doublement besoin de tendre et bienfaisante affection, nous nous constituons par là transgresseurs de la loi tout entière, étrangers à Jésus-Christ, et, par conséquent, à l’œuvre de l’Esprit qui nous l’approprie. Nous renions de l’Esprit l’influence en nos vies et nous nous manifestons incrédules à son autorité, à sa puissance et à son action.

Les faits signalés par Saint-Jacques nous révoltent ; que les faits constatés parmi nous, pour être moins saillants, ne nous repoussent pas moins ! Fussent-ils en eux-mêmes moins graves ou plus habilement voilés, les principes qui les inspirent sont à cette heure les mêmes que dans l’Église naissante de Jérusalem : à l’égard des hommes, nous sommes souverainement injustes et trois fois incrédules à l’égard du Dieu trois fois saint.

Ah ! frères, ne craignons pas de nous frapper, repentants, la poitrine et de courber humblement le front devant le Dieu offensé qui, à cette heure encore, ne nous accuse que pour nous relever, car bientôt sonnera une autre heure, l’heure où son accusation, pour nous, sera la ruine et la décisive sentence de condamnation.

Serions-nous donc assez insensés, assez imprudents et audacieux pour nous imaginer que nous puissions traiter comme un vil limon les enfants de Dieu, faire pâlir, à l’éclat de l’or, la couronne glorieuse de Jésus-Christ, repousser de nos cœurs l’autorité de l’Esprit et la miséricorde qu’il nous impose, pourrions-nous supposer que Dieu nous permette de donner sa gloire à un autre, à Mammon, sans qu’il s’élève sur son tribunal de juste juge et par sa sentence, ne nous révèle enfin, de lui-même, la gloire souveraine, des richesses adorées, la vanité et le néant ? Croyons-nous que la loi divine tout entière, violée par le rejet du miséricordieux amour qui la résume, nous laisse, au grand jour des rétributions, la faculté de chercher refuge et assurance dans l’accomplissement, à supposer qu’il soit, de tous les autres commandements, tandis que par la violation du plus grand de tous, de celui qui exprime la nature, l’essence, la loi de vie de Dieu même, nous les avons tous arrogamment violés ? Pensez-vous que cette loi de la miséricorde, une fois comprise, admise par nous, croyants, écrite dans nos cœurs, approuvée, rendue nôtre par l’Esprit, puisse ainsi être étouffée par les vils intérêts et la vanité de cette terre, sans que cette loi de la liberté violée nous constitue infiniment plus coupables que ne l’étaient les transgresseurs de la loi imposée, écrite sur les tables de pierre du Sinaï ?

Ah ! frères, les hommes, injustes eux-mêmes, ne laissent point, en principe du moins, le crime impuni ; ils châtient l’iniquité, d’un homme à l’égard d’un autre et le Dieu saint et juste laisserait impunies nos grossières injustices et nos incrédulités insensées ! Non, frères, il châtiera. Ce petit péché, qui s’appelle l’acception de personnes, élèvera pour nous un tribunal sans pitié. Juges nous-mêmes, sans miséricorde pour l’indigent, nous trouverons un juge à notre image, c’est justice, un juge qui nous jugera comme nous avons jugé, et nous mesurera comme nous aurons mesuré les autres. « Il y aura, dit Saint-Jacques, condamnation sans miséricorde sur celui qui n’aura point usé de miséricorde » (v. 13). Or, lequel d’entre nous ne compterait point, pour le grand jugement, sur la miséricorde divine ? lequel supporterait la pensée de tomber sous le coup de cette parole, plus redoutable qu’une épée : « sans miséricorde ». Rassemblant en cet instant, comme en une seule puissance, cette triple pensée, la bassesse des faits, la culpabilité des principes, la grandeur de la condamnation, lequel d’entre nous ne serait point contraint au dégoût de tant d’acceptions de personnes dont nous nous rendons si aisément coupables, lequel n’en serait affranchi ?

Du reste, pour l’être, nous faudrait-il donc la menace ? Saint-Jacques met à notre disposition une puissance plus efficace, précisément parce qu’elle est plus douce ; la miséricorde divine, pour nous rendre vainqueurs, ne s’élèverait-elle pas par-dessus la condamnation ? (v. 13). L’enfant prodigue s’est souvenu qu’il avait un père et il s’est levé. Dieu, mes frères, ce Dieu grand, saint, glorieux, a arrêté sur nous son regard ; il nous a vus chétifs, coupables, perdus, et il a eu pitié, il nous a aimés, adoptés, sauvés, enveloppés de sa tendresse de père. A cette seule pensée, objets nous-mêmes de tant de condescendance, où donc trouver encore en nous-mêmes la force de ne donner prix et valeur qu’au riche de la terre, pour ne réserver que mépris et dédain au pauvre et au petit que Dieu aime et sur lequel il appelle notre amour.

Cette seule pensée, pour nous affranchir de l’inique appréciation des personnes selon leur rang, leur fortune ou leur influence, ne nous suffirait-elle pas, à nous tout spécialement, ministres de Jésus-Christ, à nous auxquels aussi tout particulièrement s’adresse l’apôtre, à nous que le soin de nos intérêts, de nos relations, de notre agrément, pousserait si aisément à nous rendre coupables d’acceptions dû personnes, à nous qui sommes appelés à combattre la faute et dont l’exemple serait si efficace pour en libérer d’autres, à nous enfin qui, plus responsables et, par conséquent, plus aisément coupables, avons besoin de plus de miséricorde divine ? Comment, mes frères, en songeant que Dieu nous a choisis, nous, indignes ; en songeant combien il nous supporte et nous pardonne, comment ne pas, par la seule puissance de la reconnaissance, imiter ce Dieu de condescendance et de pitié, et nous-mêmes honorer l’indigent qu’adopte le Père, que rachète le Fils et que, pour l’héritage céleste, a scellé le Saint-Esprit ?

« Ce monde m’appartient, et je le donne à qui je veux ». Frères, vous connaissez de quelles lèvres impures est sortie cette parole ; et nous, croyants, n’accordant faveur qu’à ceux qui de la main du Prince de ce monde en détiennent les biens, c’est lui que, nous prosternant nous adorons ! ! Nous l’avons fait ; il ne nous reste qu’à en rougir — et à nous relever. Désormais, appréciant, aimant, honorant ceux-là seuls, riches ou pauvres, que de ses dons spirituels, le Dieu d’amour honore, adorons Dieu. Amen.

Édouard Rosselet

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