La trinité

III. Les multiples témoignages de la divinité du Fils

A) LE TÉMOIGNAGE DU PÈRE

23. Le témoignage du Père, lors du baptême du Christ

Je me garderai d’enlever son crédit à la vérité de la foi en l’appuyant sur mes propres paroles. C’est au Père de nous parler de son Fils Unique, comme il le fait souvent. Lors du mystère du baptême que le Christ Jésus a dû recevoir, pour que nous ne restions pas dans l’ignorance de la présence de son Fils en ce corps d’homme, il précise : « Celui-ci est mon Fils Bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances » (Matthieu 3.17).

Je te pose cette question : cette déclaration ne tient-elle pas compte de la vérité ? Cette affirmation de foi demande-t-elle encore quelque précision ? Non, rien n’avait paru suffisant pour certifier la majesté du Fils : ni l’Ange qui annonce que la Vierge aura un enfant par l’action du Saint-Esprit[24], ni l’étoile qui trace la route des Mages[25], ni l’hommage rendu au tout-petit dans son berceau par tous ceux qui se prosternent devant lui, ni la force avec laquelle le Baptiste affirme qui est celui qu’il s’apprête à baptiser[25] ! Le Père prend alors la parole du haut des cieux, pour nous dire : « Celui-ci est mon Fils ».

[24] Cf. Luc 1.35.

[25] Cf. Matthieu 2.2-11.

[26] Avant de baptiser Jésus, Jean reconnaît sa dignité, Matthieu 3.11 ; Marc 1.7.

Quel crédit méritent, non pas les noms mis en apposition, mais les pronoms ? Car les appositions sont juxtaposées au nom, mais les pronoms ont en eux toute la force du nom[27]. Or lorsqu’on entend dire : « Celui-ci est », et : « Il est mien », le sens est celui d’une appartenance. Remarque comme cette manière de parler est conforme à la vérité. Tu as lu en Isaïe : « J’ai engendré des fils et je les ai élevés (Ésaïe 1.2) », mais tu n’as pas lu : « mes fils ». Dieu s’était en effet, engendré des fils en séparant son peuple d’entre les païens ; il avait pris pour fils le peuple de son héritage[28].

[27] « Je dois être baptisé par toi et tu viens à moi. » Matthieu 3.14.

[28] Cf. Deutéronome 32.8-9.

Nous n’avons donc pas à attribuer à Dieu l’Unique-Engendré, l’apposition de « fils » qui qualifie tous ceux qui font partie du peuple adoptif, héritage de Dieu ; c’est pourquoi un terme qui rend compte de la qualité qui lui appartient en propre, souligne la vérité de sa nature. Si ce texte : « Celui-ci est mon Fils » était dit de tout homme, on pourrait alors à bon droit attribuer au Christ un nom partagé par tous. Mais si, de lui seul et de manière unique, il est dit : « Celui-ci est mon Fils », pourquoi taxer Dieu le Père d’imposture, lorsqu’il déclare la qualité qui appartient en propre au Fils ? Ne te semble-t-il pas qu’en le désignant : « Celui-ci est », il veuille nous dire ceci : J’ai donné à d’autres le titre de fils, mais celui-ci est mon Fils ; j’ai donné à plusieurs le nom de fils adoptifs, mais celui-ci est mon propre Fils ; ne cherche donc pas un autre Fils, à moins d’avoir perdu la foi en mon Fils ; je te le montre du doigt, je te l’indique par ces mots : « Mon », « Celui-ci » et « Fils ». Après tout cela, quelle excuse pourrais-tu apporter pour ne pas croire ?

Oui, voilà ce que veut nous faire entendre la voix du Père pour que nous n’ignorions plus qui est celui qui vient se faire baptiser pour accomplir toute justice[29]. Ainsi la voix de Dieu nous aide à reconnaître le Fils le Dieu qui se laisse voir comme homme pour réaliser le mystère de notre salut.

[29] Cf. Matthieu 3.15.

24. Même témoignage lors de la transfiguration où le Père ajoute : « écoutez-le »

Et puisque la vie des croyants est impliquée dans cette profession de foi, car il n’y a pas d’autre route vers la vie éternelle si ce n’est de reconnaître le Fils de Dieu en Jésus-Christ, l’Unique Engendré[30], une voix venue du ciel répète le même message aux Apôtres, pour affermir davantage leur foi dans ce mystère de vie dont la négation conduit à la mort.

[30] Jean 17.3.

Le Seigneur est debout sur la montagne, dans tout l’apparat de sa gloire. Moïse et Elie se tiennent à ses côtés, et il a pris avec lui les colonnes de l’Eglise, comme trois témoins qui devront rendre compte de ce qu’ils verront et entendront. La voix du Père retentit du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me complais. Ecoutez-le » (Matthieu 17.5). La gloire entrevue ne suffit pas pour attester une telle dignité ; une voix le désigne : « Celui-ci est mon Fils ». Les Apôtres ne supportent pas la gloire de Dieu, leurs yeux de chair sont aveuglés par ce spectacle, et la foi de Pierre, Jacques et Jean, frappée de stupeur, s’effondre dans la crainte. Mais voici qu’intervient la déclaration dont le Père lui-même se porte garant : il nous désigne le Fils par le caractère propre qui le qualifie. Et, non content de nous convaincre de la vérité du Fils par ces mots : « Celui-ci », et : « Mon », il ajoute : « Ecoutez-le ». Le témoignage du Père vient du ciel, mais sur la terre, le témoignage du Fils se voit confirmé : car Dieu nous le montre pour que nous l’écoutions. Cette déclaration du Père ne nous laisse aucun doute sur l’identité du Fils ; néanmoins la déclaration que le Fils fera sur sa personne, a, elle aussi, son crédit reconnu. Nous en sommes maintenant avertis : le Christ est vraiment le Fils de Dieu, au point que la voix du Père nous confirme : tout ce que nous entendrons de la bouche de son Fils exige soumission.

Par conséquent, puisque cette voix qui nous demande d’écouter le Fils, est l’expression de la volonté du Père, écoutons le Fils nous dire lui-même qui il est.

25. Or nous entendons le Fils appeler Dieu son Père

Lorsqu’on parcourt les livres des Evangiles, l’on comprend aisément, de l’aveu même du Fils, qu’il a pris une condition corporelle empreinte d’humilité, comme en témoignent ces textes : « Père, glorifie-moi » (Jean 17.5), et celui-ci que l’on trouve très fréquemment : « Vous verrez le Fils de l’Homme » (Matthieu 26.64), et cet autre : « Le Père est plus grand que moi »[31] (Jean 14.28), mais aussi : « Maintenant mon âme est troublée » (Jean 12.27), et encore : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27.46), et plusieurs autres de ce genre dont il sera parlé le moment venu[32]. Dès lors que l’on constate un témoignage d’humilité aussi continu, personne, je pense, ne sera aussi étranger au simple bon sens, pour taxer le Fils d’orgueil lorsqu’il nomme Dieu son Père, par exemple en ces textes : « Toute plante que n’a pas plantée mon Père sera arrachée » (Matthieu 15.13), ou en celui-ci : « Vous avez fait de la maison de mon Père une maison de trafic » (Jean 2.16), et pour prétendre que s’il appelle partout et toujours Dieu, son Père, c’est dû plutôt à une présomption téméraire qu’à la certitude de posséder la même nature, conscient de tenir, de par sa naissance, le nom qui exprime sa vérité, dans le Père. Une humilité affirmée aussi fréquemment est incompatible avec le vice d’orgueil, elle ne saurait s’arroger ce qui appartient à autrui, réclamer ce qui ne lui revient pas, et prétendre égaler ce qui est propre à Dieu. Elle ne porterait pas le Christ à s’appeler Fils de Dieu, avec la même audace qui lui inspire de nommer Dieu son Père, lorsqu’il dit : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jean 3.17), et encore : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » (Jean 9.35).

[31] Le texte de Jean détourné de son sens obvie par les ariens, désigne ici la nature humaine du Christ, bien qu’ailleurs Hilaire l’applique à sa nature divine, cf. III, 12 et IX, 51-54.

[32] Textes commentés au livre X.

Pourquoi donc à présent nous conduisons-nous ainsi : nous ne consentons à n’accorder à Jésus-Christ que le nom de fils adoptif, et nous l’accusons d’orgueil effronté, lorsqu’il appelle Dieu son Père ? La voix du Père s’est faite entendre du haut du ciel : « Ecoutez-le » (Matthieu 17.5). Eh bien, je l’écoute : « Père, je te rends grâce » (Jean 11.41). Je l’écoute : « Vous dites que j’ai blasphémé parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu » (Jean 10.36). Si je ne crois pas aux noms employés, si je ne comprends pas la nature que désignent ces mots, je me demande ce qu’il faut croire et comprendre ! Je n’ai pas d’autre alternative : le Père, du haut du ciel, s’en porte garant : « Celui-ci est mon Fils ». Le Fils, de son côté, rend témoignage à son sujet : « La maison de mon Père », et « Mon Père ». Reconnaître le nom du Fils de Dieu assure le salut, puisque l’interrogation qui requiert ma foi est celle-ci : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » (Jean 9.35). Après le pronom : « mon », suivent les noms de ce qui m’appartient. Je te le demande, hérétique, pourquoi supposer autre chose ? Tu rejettes la foi dans le Père, l’affirmation du Fils et la nature impliquée par leurs noms. Tu fais violence aux paroles de Dieu et tu refuses de les entendre dans leur vrai sens. L’unique impertinence qui résume ton impiété, c’est d’accuser Dieu d’avoir menti lorsqu’il nous dit ce qu’il est.

26. C’est que le Père ne peut être connu que par le témoignage du Fils, et le Fils ne peut être connu que par le témoignage du Père

A elle seule, la simple reconnaissance de leur nature nous laisse donc entrevoir les personnes divines, puisque celui de qui l’on dit : « Celui-ci est mon Fils », et celui à qui l’on dit : « Mon Père », sont tels qu’on les déclare. Toutefois, pour qu’on ne prenne pas ce nom de Fils pour un titre d’adoption, et celui de Père comme un qualificatif purement honorifique, voyons quels j caractères propres sont attachés par le Fils à ce nom de Fils.

Il nous dit : « Toutes choses m’ont été données par le Père. Et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme per­sonne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler » (Matthieu 11.27). Les expressions que nous avons vues précédemment : « Celui-ci est mon Fils », et : « Mon Père », sont-elles en accord avec cette phrase : « Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils » ? Seul leur témoignage mutuel peut nous faire connaître le Fils par le Père et le Père par le Fils. Une voix vient du ciel, mais on entend aussi la parole du Fils. Le Fils est aussi inconnaissable que le Père. « Tout lui a été donné », et ce « tout » n’implique aucune exception. Si de part et d’autre la puissance est égale, s’ils partagent une même connaissance réciproque qui reste secrète pour nous, si leurs noms attestent une nature identique, je voudrais bien savoir pourquoi ils ne seraient pas tels qu’on les appelle, eux qui sont semblables, et par le droit à une même puissance, et par la même difficulté à être connus de nous.

C’est pourquoi Dieu ne nous trompe pas lorsqu’il emploie tel ou tel mot, c’est pourquoi ni le Père, ni le Fils, ne mentent lorsqu’ils nous disent qui ils sont. Sois convaincu qu’ils sont bien tels que le signifient leurs noms.

27. Le Père rend témoignage au Fils

Car le Fils nous dit : « Les œuvres que le Père m’a donné d’accomplir, les œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi, parce que c’est le Père qui m’a envoyé, et le Père qui m’a envoyé, rend lui-même témoignage de moi » (Jean 5.36-37). Le Fils Unique de Dieu nous apprend qu’il est Fils de Dieu, non seulement en affirmant que tel est son nom, mais aussi en le montrant par sa puissance. Les œuvres qu’il accomplit témoignent en effet, qu’il est envoyé par le Père. Je demande : que prouvent ces œuvres ? Qu’il a été envoyé. C’est pourquoi dans l’envoyé du Père éclatent également l’obéissance du Fils et la puissance du Père, puisqu’aucun autre que l’envoyé du Père ne saurait accomplir les œuvres qu’il fait. Cependant les œuvres du Christ ne suffiraient pas à convaincre les incrédules que le Père a envoyé son Fils. Aussi ajoute-t-il : « Et le Père qui m’a envoyé, a rendu témoignage de moi. Vous n’avez jamais entendu sa voix, ni vu son visage » (Jean 5.37).

Je t’interroge : quel témoignage le Père rend-t-il au Fils ? Parcours les pages de l’Evangile, relève leur contenu. Rapporte-moi un autre témoignage que ces paroles déjà entendues : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me complais » (Matthieu 3.17), et : Tu es mon Fils » (Marc 1.11). Jean qui perçut ces paroles, savait à quoi s’en tenir ; mais c’est pour notre instruction que la voix du Père rend ce témoignage. Et cela ne suffit pas : Jean dans le désert, est jugé digne d’entendre cette voix, mais les Apôtres ne sont pas privés de la garantie de ce témoignage. La même voix qui se faisait entendre du haut du ciel leur parle à eux aussi, mais ils en apprennent plus que Jean. Car Jean qui prophétisait déjà dès le sein de sa mère, n’avait nul besoin de cet ordre : « Ecoutez-le ».

Et le Fils, par les œuvres qu’ü accomplit, rend témoignage au Père

Oui, je l’écouterai, je n’écouterai personne d’autre que celui qu’il faut écouter pour être enseigné. Même si les livres ne contenaient aucun autre témoignage du Père sur son Fils, si ce n’est que celui-ci est son Fils, on peut être sûr que ce témoignage est véridique du fait que les œuvres mêmes du Père, accomplies par le Fils, en confirment la vérité. Pourquoi donc aujourd’hui nous offre-t-on cette imposture où l’on voit présenté le nom de Fils comme une fantaisie ? Le Père rend témoignage au Fils, les œuvres du Fils répondent parfaitement au témoignage rendu par le Père. Pourquoi ne pas voir dans le Fils cette vérité de Fils qu’il réclame et qu’il prouve ?

Non, le Christ ne reçoit pas de Dieu, son Père, le nom de Fils en raison d’une adoption due à la bonté du Père, et ce n’est pas non plus sa sainteté qui lui a mérité ce nom. Il n’en est pas de lui comme de beaucoup qui sont devenus fils de Dieu après avoir confessé leur foi. En ceux-ci, ce titre ne souligne pas un caractère spécifique : ils ne portent ce nom que par une faveur qui leur a été accordée parce que Dieu l’a jugé bon. Tout autre est le sens de ces expressions : « Celui-ci », « Mon », « Ecoutez-le ». Ces formules expriment la vérité, elles soulignent la nature divine, elles sont l’expression de la foi.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant