Introduction au livre du prophète Habakuk

1.3 Unité de composition.

Disons-le dès l’entrée, nous n’avons pu trouver dans les ouvrages de ceux qui attaquent l’unité de composition, aucun argument vraiment solide et concluant. Tous ces commentateurs se bornent à faire une explication historique du livre pour conclure, après chaque fragment, sur l’époque de chacun d’eux par un donc qu’ils croient inébranlable. Prenons, par exemple, Ranitzb ; que nous dit-il ? Après avoir exposé historiquement les faits tels qu’ils se sont passés pendant que Jojakim était sur le trône de Juda, et avoir conclu que le chap. 1 du livre d’Habakuk ne pouvait avoir été composé que sous le règne de ce prince (après la bataille de Karkémisch), il en vient au chap. 2. Il montre que le prophète veut relever le courage de son peuple et fortifier en lui cette pensée qu’une espérance qui s’appuie sur Jehovah, ne saurait être vaine (v.  4-20), qu’en conséquence, il faut supporter les malheurs avec soumission et patience, puisque le peuple par lequel ils arrivent, trouvera aussi sa punition. « D’après cela, dit Ranitz, il est évident que ce second chapitre, qui forme un chant complet, est lié étroitement avec le premier, et que cependant il n’est pas un avec lui, mais a été composé peu de temps après, alors que les Chaldéens entraient sur la terre de Juda ou y étaient déjà entrés depuis peu. » Quant au chap. 3, il le met sous Sédécias. Pourquoi ? Le prophète voyant que son peuple n’a pu échapper au sort terrible que Dieu lui avait annoncé, veut par cette prière (תפלה), par ce cantique, ramener en lui la consolation et la paix. « Et en effet, dit Ranitz, la nature du chant, la suscription, le mot סלה que l’on y rencontre, tout cela montre que beaucoup de Juifs, vivant à Babylone, ont chanté ce cantique soit par le conseil d’Habakuk lui-même, soit par l’ordre d’autres personnes, soit de leur propre volonté. » Il termine en rapprochant ce chapitre du psaume 102, écrit vraisemblablement lors de la captivité. — Rosenmüller qui a adopté le même raisonnement, n’a qu’un avantage sur Ranitz, c’est d’être plus bref que lui.

b – Introd. in Hab. vatic. Lips. 1808, p, 17 et suiv.

Il n’est pas nécessaire de dire qu’une telle argumentation est loin d’être concluante ; ce qui se comprend facilement, puisque les raisons avancées, au lieu d’être des preuves, demanderaient elles-mêmes à être prouvées tout d’abord. Nous admettons le point de départ, c’est-à-dire que le chap. I a été écrit sous Jojakim ; mais qu’est-ce qui, dans le chap. 2, nous permet de conclure que les Chaldéens avaient déjà envahi la Palestine, lorsqu’il fut écrit ? Serait-il donc impossible au prophète de savoir d’avance comment se comporterait cette nation qu’il vient de représenter comme féroce, impétueuse (v. 6), cette nation dont les cavaliers sont comme un aigle qui fond sur sa proie (v.  8), cette nation qui entasse les captifs comme le sable de la mer ? Pourquoi ne pourrait-il pas lui prédire malheur ? Le prophète avait-il besoin de voir le pays envahi et livré au pillage, pour dire à son peuple : Confie-toi en l’Éternel ! ne crains rien. Avait-il besoin de voir ce peuple emmené en captivité pour élever son âme en Haut et composer un cantique où se révélât sa confiance en l’Éternel, le Dieu du Sinaï, le Dieu de ses Pères ?

Mais l’on nous arrête ; et Maurer nous cite les passages Habakuk 2.17 et Habakuk 3.16-17, comme témoignant que ces chap. 2 et 3 ont été écrits pendant que les Chaldéens dévastaient déjà la contrée, et qu’en conséquence ils sont postérieurs au chap. 1. Cette objection, quoique paraissant à première vue d’une certaine valeur, est faible dans le fond, si l’on examine les choses de près.

Le prophète, en effet, va dans son chap. 2 prédire la ruine de ce peuple terrible, qui abusera de sa force et se rendra coupable (Habakuk 1.11). Or, pour lui annoncer un tel châtiment, n’est-il pas naturel qu’il se représente les dévastations auxquelles se livreront les Chaldéens comme s’il les voyait ; n’est-il pas logique même qu’il regarde tout au moins comme consommé le crime qui doit attirer sur eux la colère de l’Éternel ? Et dès lors, s’il suppose le pillage comme accompli, quoi d’étonnant qu’il le dépeigne comme s’il l’avait sous les yeux ?

Pour ce qui est du passage Habakuk 3.16-17, loin d’être pour nous une preuve de la postériorité du chap. 3, il est une preuve de l’unité de composition du livre. Le prophète s’écrie : J’ai entendu ta voix, ô Éternel ! et ma poitrine a frémi ; mes lèvres se sont entrechoquées ; mes os se sont consumés ; mes genoux ont tremblé. Comment expliquer cet état du prophète ? Comment interpréter cette parole ? — Évidemment elle ne peut se comprendre que d’une manière, c’est en admettant que le prophète se reporte par la pensée à la réponse (Habakuk 1.6 et suiv.) que l’Éternel a faite à sa plainte sur l’état moral de Juda (Habakuk 1.2-4). Si l’on rapportait le שמעתי au chap.2, on ne pourrait absolument pas comprendre ce tourment intérieur du prophète ; car, dans cette vision, l’Éternel lui répond qu’il va délivrer son peuple et châtier l’oppresseur. C’est là une voix qui, loin de le remplir d’angoisse, devrait au contraire le fortifier et faire naître en lui le courage et l’espérance. Mais on nous demandera comment la première réponse de l’Éternel (Habakuk 1.6 et suiv.) peut expliquer ce tremblement intérieur du prophète et ces cris d’angoisse, puisque cette réponse n’est que la plainte du prophète exaucée ? Le prophète, nous dit-on, ne devait-il pas plutôt bénir l’Éternel et se réjouir ? — Oui, certainement ; mais au moment où il écrit ce passage (Habakuk 3.16-17), le prophète a déjà eu la vision ; il a donc déjà l’avenir sous les yeux ; l’histoire est là, déroulée devant lui, et quand il se rappelle que l’Éternel a dit : Je vais susciter les Chaldéens (Habakuk 1.6), il se rappelle en même temps tout le ravage qu’ils exerceront dans le pays, et par conséquent tout ce que son peuple aura à souffrir. Il sait qu’il doit y avoir délivrance, mais qu’avant la délivrance doit venir l’oppression, avant la joie les larmes, avant le chant de triomphe les cris de douleur. Et du reste la dernière partie de Habakuk 3.16 (moi qui dois attendre tranquillement le jour de la détresse) ne s’oppose-t-elle pas directement à l’opinion qui veut placer le chap. 3 sous Sédécias ?

Enfin, comme dernière preuve de l’unité de composition, nous dirons qu’en admettant pour chaque partie du livre une date différente, on soulève plusieurs difficultés selon nous insolubles. Hævernick, en effet, remarque avec beaucoup de raison que les trois chapitres, tels qu’ils se suivent, forment un tout dont les parties sont liées étroitement les unes aux autres, et s’appellent mutuellement. Il est évident, par exemple, que la réplique du prophète Habakuk 1.12-17, demande une réponse, et cette réponse se trouve au chap. 2. Ce qui le prouve, c’est le verset 1 du chap. 2 où le prophète dit positivement qu’il attend une réponse de l’Éternel. Ce verset est placé là comme un trait d’union entre les chap. 1 et 2, et le mot (ma plainte) qui le termine ne se comprendrait pas sans cela. Ce mot, en effet, ne peut se rapporter qu’au passage Habakuk 1.12-17, sinon l’on ne saurait pourquoi le prophète parlerait de sa plainte sans la mieux déterminer ; il n’a donc pu dire cela (Habakuk 2.1) plusieurs années après ce qui précède.

Il serait également difficile d’expliquer la présence du verset 1 du chap. 3 au commencement de ce chapitre, si l’on n’admet pas l’unité de composition. Le prophète dit, en effet : Éternel, j’ai entendu ta voix, et j’ai été saisi de crainte ! Accomplis ton œuvre avant peu d’années, ô Éternel ! avant peu d’années, châtie ! Mais, dans ta colère, souviens-toi de ta compassion ! — Le שמעתי שמעך (j’ai entendu ta voix) se rapporte évidemment à tout ce qui précède, comme l’affirme lui-même Rosenmüller : « Nos, dit-il, cum interpretibus plerisque effato Jovæ, quod vates a se perceptum dicit, superiora vaticinia indicari arbitramur…. » Mais pourrait-on penser que le prophète, s’il eût dit cela sous Sédécias, alors que les violences, exercées par les Chaldéens, étaient les plus terribles, se fût exprimé ainsi ? Au lieu de dire j’ai entendu ta voix, n’aurait-il pas dû dire au contraire : Éternel ! je vois s’accomplir ta parole ; tu punis ton peuple ; mais dans ta colère, souviens-toi de ta compassion ! Il ne s’agissait plus alors de la voix de l’Éternel qu’on entendait, mais de la punition elle-même, de la colère de l’Éternel se versant sur son peuple. C’est ce qui nous montre encore que le chap. 3, loin de devoir être séparé des chapitres précédents, a été écrit à la même époque, lorsque l’œuvre que l’Éternel allait faire (בקרב שנים, Habakuk 1.5 ; 3.2) n’avait pas encore reçu son accomplissement. — Ajoutons que cette œuvre nous est annoncée par le prophète comme devant arriver oiyo aipn (dans le cours des années, avant peu d’années], ce qui indique clairement que le prophète avait en vue, non pas un événement présent, mais un événement à venir.

Tout cela nous amène donc à conclure, contrairement à ceux qui ont voulu morceler le livre d’Habakuk, que ce livre ne forme qu’un discours, dont les membres sont fortement liés entre eux (Oehler), et dont les différentes parties s’unissent dans la plus belle unité (Umbreit). Du reste notre assertion pourra se vérifier facilement par l’examen du plan même du livre, que nous exposerons plus loin et auquel nous renvoyons dans ce but. La pensée du prophète s’y déroule d’une manière si claire et si distincte, les différentes idées exprimées se suivent et s’enchaînent d’une manière si naturelle, que nous avons peine à comprendre qu’on ait été conduit à rompre une harmonie que la beauté même des détails ne saurait, nous semble-t-il, ternir un seul instant.

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