Hudson Taylor

PREMIÈRE PARTIE
La famille et les années d'enfance
1776-1849
(jusqu'à l'âge de dix-sept ans)

CHAPITRE 1
Pour moi et ma maison
1776-1786

C'était le jour du mariage de James Taylor, il y a bien longtemps, en pleine campagne, dans le nord de l'Angleterre. Le soleil n'avait pas encore paru et, dans la vallée recouverte de neige, Royston reposait dans l'ombre. Mais, à Staincross Ridge, le jeune maçon s'était levé de bonne heure pour préparer le logement où il allait recevoir son épouse. Ne fallait-il pas chercher de l'eau à la fontaine, apporter du bois pour le feu et battre le blé pour que la jeune épouse pût cuire le premier pain ?

Plein de vie et d'entrain, chanteur réputé et grand amateur de danse, James Taylor n'avait guère pensé sérieusement à l'acte qu'il allait accomplir. Il s'était épris de la gentille Betty Johnson, de la paroisse de Royston où il était lui-même sonneur et membre du chœur de l'église. Avec une vive satisfaction, il avait entendu la publication des bans de mariage, trois dimanches de suite après le Nouvel-An. Maintenant le grand jour était arrivé, jeudi 1er février. Tout était prêt pour les réjouissances. Il y aurait de la musique, de la danse, de la gaieté, et les jeunes mariés seraient les plus joyeux de tous.

Pourtant, comme James Taylor sortait à l'air vif du matin pour porter ses gerbes à la grange, des pensées toutes nouvelles se présentèrent à son esprit. D'où lui venaient-elles donc ? Du cottage voisin où vivaient Joseph et Elisabeth Shaw, que chacun connaissait dans les environs ? Ou de la musique de quelque hymne que Mme Shaw chantait tout en accomplissant sa besogne matinale ?

Récemment, il s'en souvenait très bien, il y avait eu plus de souffrances que de cantiques dans la vie de cette brave femme. Percluse de rhumatismes, elle avait été clouée dans son lit pendant des mois. Mais, depuis le jour mémorable où, seule au logis, elle s'était « confiée dans le Seigneur », comme on le disait, pour être guérie immédiatement, il y avait eu un changement complet.

Quel n'avait pas été l'étonnement de son mari lorsque, rentrant peu après lui, il avait trouvé sa femme debout, balayant la cuisine, aussi bien portante et heureuse qu'il est possible de l'être. Tout ceci avait eu un grand retentissement dans les alentours, et James Taylor, comme chacun, se perdait en conjectures sur ce qui était arrivé. Les méthodistes, toutefois, avaient l'air de trouver cela simple et assez naturel. Mais cette crédulité pouvait-elle surprendre chez des gens qui avaient des idées si particulières en matière de religion ?

Aussi étrange que cela puisse paraître, ces idées commençaient à pénétrer en lui, ce matin. Il n'avait jusqu'alors jamais eu affaire avec les choses de la religion, il était plutôt à la tête de tout ce qui s'opposait au réveil survenu récemment dans les environs. Assurément, c'était bien suffisant que les Cooper et les Shaw eussent passé au méthodisme et fait venir de Wakefield des prédicateurs des doctrines nouvelles, qui terrifiaient les gens en leur parlant de la « colère à venir ». John Wesley n'était-il pas venu en personne à Mapplewell pour s'adresser avec hardiesse à la foule, sur la place du marché, en pleine foire de la mi-été ? Il avait fallu du courage pour oser cela dans cette ville du Yorkshire où « battre les méthodistes » était le passe-temps favori de ces gens rudes. Mais le prédicateur aux cheveux blancs avait prêché de telle façon ce jour-là que tout le reste avait été oublié et qu'il put se rendre sans être molesté chez les Shaw. Et c'était peut-être de ses lèvres que le jeune James Taylor avait recueilli ces paroles qui lui revenaient à l'esprit d'une manière si incisive tandis qu'il travaillait à l'écart dans sa grange :

« Pour moi et ma maison, nous servirons l'Éternel. » Oui, il savait bien ce que cela signifiait : Servir l'Éternel. Ses voisins vivaient cette vie-là. Mais lui, il n'était pas un de ces méthodistes à l'esprit étroit. D'ailleurs, c'était aujourd'hui le jour de son mariage ! Il battait le blé pour l'arrivée de Betty, et ce n'était pas le moment de songer à la religion.

« Pour moi et ma maison... » Or, il allait justement fonder un foyer. C'était tout de même sérieux, une grande responsabilité. Combien insouciante, irréfléchie, avait été son attitude jusqu'alors ! Et maintenant, ces mots ne le quittaient pas : « Nous servirons l'Éternel. »

Les heures s'écoulaient ; le soleil s'était levé et éclairait le village aux toits couverts de neige où la fiancée attendait. James Taylor devait arriver longtemps avant midi, et il avait encore à mettre ses habits de noce. Mais, dans ce premier contact avec les réalités éternelles, il avait tout oublié. Seul, à genoux sur la paille, le jeune maçon était en tête à tête avec Dieu. Les mots « Pour moi... » revêtaient une nouvelle signification. Le sentiment de sa responsabilité personnelle envers Quelqu'un de vivant, quoique invisible, Amour infini et éternel, justice ou feu consumant, était devenu sensible et pressant comme jamais auparavant. C'était l'heure où l'Esprit luttait avec son âme, l'heure solennelle où il faut céder pour être sauvé. Seul avec Dieu, James Taylor céda. L'amour du Christ le conquit et prit possession de lui ; bientôt la vie nouvelle d'En-haut trouva son expression dans une détermination virile : « Oui, nous servirons l'Éternel. »

Ainsi arrivent les crises de la vie, sans grands avertissements, souvent sans faire plus de bruit que le soleil qui se lève, mettant en évidence des choses que l'on ne voyait point. Soudain, un jour, nos yeux s'ouvrent, le devoir devient clair à la lumière de l'éternité. C'est le moment critique ; tout dépend alors de la réponse que donne l'âme aux exigences et aux promesses de Dieu. Si la décision de James Taylor avait été différente, en ce matin d'hiver, combien différentes aussi eussent été les suites ! C'était l'humble commencement, la toute petite source d'où allait couler la bénédiction, sur un cercle de plus en plus vaste en Angleterre, en Chine et sur tout le peuple de Dieu. Une telle crise peut survenir pour nous aujourd'hui, grosse de conséquences infinies. Quelle sera alors notre réponse ? &ld; Parle, Seigneur, ton serviteur écoute.

Les cloches sonnaient-elles dans la vallée quand James Taylor reprit conscience des choses matérielles ? Il était près de midi. Les amis de noce devaient se demander ce qui lui était advenu. Jamais, bien sûr, les trois kilomètres qui le séparaient de Royston ne lui parurent plus interminables que lorsque, craignant d'arriver en retard, il dévala en courant de la colline, homme nouveau dans un monde nouveau.

Au carrefour, au milieu du village, il aperçut enfin l'église. jetant un coup d'œil inquiet sur l'horloge, quelle ne fut pas sa surprise de constater qu'elle était arrêtée, comme si elle avait compris son retard ! La fiancée et les invités attendaient. Le moment n'était pas aux explications. Ils se rendirent aussi vite que possible à l'église. Le vicaire ne posa pas de questions car il ne s'était sans doute pas aperçu de la ruse que les sonneurs avaient employée pour tirer d'embarras leur camarade favori. Le service se déroula selon l'usage, puis le registre fut signé dans la sacristie. James Taylor et Betty Johnson étaient unis.

Dès le premier moment, il n'y eut plus de compromis avec l'ancien James Taylor. Jusqu'au jour de son mariage, il avait été aussi éloigné des choses religieuses que le plus insouciant de ses camarades. Mais maintenant, en quittant l'église, il n'hésita pas à confesser le changement qui était survenu dans sa vie. Simplement et avec sérieux, sa jeune épouse appuyée à son bras, il expliqua qu'il s'était enrôlé au service d'un nouveau Maître. Cela signifiait, entre autres choses, qu'il n'y aurait ni danse ni réjouissances inconvenantes à la noce. Entendant cela, son épouse, consternée, s'écria : « J'espère bien que je n'ai pas épousé un de ces méthodistes ! »

C'était précisément ce qu'elle venait de faire. En effet, l'amour si chaud et la foi vivante des amis de Staincross attirèrent bientôt James Taylor, qui ne tarda pas à se joindre à eux. Par le moyen des Shaw, des Cooper, et d'autres encore, il apprit ce que signifie réellement « servir le Seigneur ». Sa voix et son violon, fort recherchés autrefois pour des fêtes partout dans la région, furent mis à la seule disposition de son nouveau Maître. Peu après, James Taylor pouvait témoigner avec bonheur des grandes choses que Dieu avait faites pour son âme.

Que devenait Betty pendant ce temps ? Eh bien, elle était loin d'être heureuse. Son cœur lui disait que James avait raison, mais elle n'était pas du tout décidée à porter sa part de l'opprobre de Christ. Elle murmurait, cherchait querelle et rendait la vie désagréable à son mari. Dès le premier jour, James avait commencé le culte de famille, mais Betty refusait de s'y associer et s'occupait ostensiblement d'autres choses. Finalement, un soir, comme elle était plus contrariante que d'habitude et plus déraisonnable dans ses reproches, James, à bout de patience, emporta sa femme dans ses grands bras et, avant qu'elle pût réaliser ce qu'il lui arrivait, il la déposa à l'étage, dans la chambre à coucher. Puis il s'agenouilla et, la maintenant près de lui, il répandit toute sa tristesse et sa perplexité dans la prière. Betty n'avait pas compris jusqu'à cette heure combien son mari était angoissé. Son sérieux l'impressionna et, bien qu'elle ne voulût pas l'avouer, elle commença à être troublée par le sentiment du péché. Le lendemain, sa détresse augmenta ; combien elle eût voulu ressembler à James ! Le soir, la Bible fut ouverte comme d'habitude et Betty fut heureuse d'en entendre la lecture. La prière qui suivit correspondait à ses besoins et alors, tandis que James était encore à genoux, elle fut en paix avec Dieu.

Ce fut ainsi que, bien loin dans le Yorkshire, James et Betty Taylor participèrent à un magnifique mouvement de ]'Esprit de Dieu. Partout, en Grande-Bretagne et en Irlande, il y avait des conversions comme celle-là. Perçant les ténèbres du XVIIIe siècle, un réveil glorieux balayait le pays et le sauvait d'une ruine imminente. Dieu suscita des hommes puissants, tels que Whitfield, les Wesley, d'autres encore. Avec eux, une quantité d'évangélistes, souvent peu instruits, proclamaient dans leurs humbles milieux le salut par la grâce de Dieu.

Mais avant que cette œuvre commençât, dans quel état navrant se trouvait le peuple ! L'immoralité s'étalait partout, avec le débordement des passions les plus viles. Le clergé officiel restait indifférent.

Ces hommes de Dieu, devant la tâche à accomplir, avaient besoin d'un revêtement du Saint-Esprit égal à celui des apôtres qui mirent le monde sens dessus dessous. Comme eux aussi, ils devaient être prêts à « mourir chaque jour », afin de « compléter ce qui manquait aux afflictions de Christ ». Car ce n'est que par des vies mises sur l'autel qu'un pareil travail de régénération peut être accompli.

Cela est vrai, non seulement pour les chefs de file, mais pour chacun, dans ces armées d'hommes et de femmes méconnus qui, partout, prennent avec joie leur part des travaux, des souffrances et des victoires du serviteur de Dieu.

Au nombre de ces ouvriers, on put compter James et Betty Taylor, dans cette partie de l'Angleterre si déshéritée alors. Certainement leur courage, leur fermeté, leur dépendance de Dieu, fortifiés par les circonstances qu'ils eurent à affronter, furent à la base de bien des expériences racontées dans ces pages.

Quelques années après son mariage, James Taylor fut obligé, à la suite d'un accident sérieux, d'abandonner son métier de maçon et de chercher un autre gagne-pain. La seule solution était de quitter la petite maison et d'obtenir à la ville un emploi moins pénible dans une fabrique ou dans un atelier.

Barnsley était la ville la plus proche. Mais c'était une localité dont les habitants étaient réputés pour leur ivrognerie, leur licence, leur passion pour le jeu et leur haine des méthodistes. Les églises étaient désertées, mais les cabarets florissaient.

Ce dut être bien dur, pour James et Betty Taylor, d'amener leurs enfants dans un tel milieu. Mais un emploi avant été offert à James Taylor dans le magasin de tissus de Joseph Beckett, un magistrat de la ville, avec un salaire de treize shillings et six pence par semaine, il n'y avait pas à hésiter.

James Taylor s'installa donc à Barnsley avec sa famille. Le dépaysement fut sensible. La vie était plus chère qu'à la campagne et, bien que le père eût un salaire convenable pour l'époque, il était bien difficile de nouer les deux bouts. En effet, il y avait deux garçons et trois petites filles à élever, et tous devaient vivre avec douze shillings et six pence par semaine. Où donc passait le treizième shilling ? Était-il mis de côté pour de petits extra, ou pour l'achat de vêtements d'hiver ou pour des imprévus ? Non, il était donné en offrande pour l'amour de Quelqu'un de plus cher à leur cœur que leurs propres enfants. Pauvres en biens terrestres, ils avaient appris à être riches pour Dieu.

En arrivant à Barnsley, les Taylor ressentirent surtout vivement l'absence de communion chrétienne. Cela devint un fardeau toujours plus lourd pour eux. Ils désiraient ardemment la venue d'un prédicateur de la Bonne Nouvelle par laquelle eux-mêmes avaient trouvé l'affranchissement. Mais les évangélistes passaient fort rarement à Barnsley. S'ils venaient, ils y trouvaient un bien triste accueil.

Or, il arriva que peu à peu des voisins purent être groupés pour de petites réunions privées dans la cuisine de Betty. Le chant était sans doute un attrait, et tant James Taylor que sa femme étaient de ceux qui, connaissant Dieu, peuvent venir en aide aux autres. Plusieurs reçurent une bénédiction évidente puisque avec le temps une classe biblique, comptant sept membres pour commencer, se réunit régulièrement dans le petit cottage. Dans la suite un groupe méthodiste fut régulièrement constitué et James Taylor put y exercer un ministère que l'on peut qualifier d'apostolique. Il fut en danger plus d'une fois alors qu'il prêchait en plein air. Assailli un jour à coups de pierres et couvert d'ordures, terrassé et traîné dans la boue, il fut secouru au dernier moment — mais pour recommencer à prêcher.

Un jour, rentrant d'une réunion, il fut accosté par deux individus, apparemment bien disposés. Conversant avec l'un d'eux, il ne prêta pas attention aux gestes de l'autre qui, soudain, lui jeta dans les yeux un mélange de verre en poudre et de boue destiné à l'aveugler définitivement. N'y voyant plus, souffrant beaucoup, James Taylor était entièrement à la discrétion de ses adversaires. L'on ne sait ce qu'il serait advenu si, à ce moment précis, Joseph Beckett, qui passait dans la rue, ne s'était hâté de lui porter secours. Voyant le magistrat, les scélérats prirent la fuite, non sans que l'un d'eux, incrédule notoire et ennemi des méthodistes de Barnsley, eût pu être identifié par M. Beckett. Le pauvre Taylor fut ramené à son domicile dans un piteux état. Il ne put reprendre son travail que trois mois plus tard. Son patron insistait pour qu'il recourût à la justice, puisque lui-même avait été témoin de la scène, mais James ne voulut rien entendre. « Non, disait-il, le Seigneur s'occupera de ces gens. Je préfère les abandonner entre Ses mains. » Le magistrat, non satisfait de cette réponse, fit un procès en son propre nom. Au tribunal, le prévenu nia, prenant Dieu à témoin et demandant d'être frappé de cécité si vraiment il avait trempé dans cette affaire. Peu après, tout Barnsley apprenait que cet homme avait perdu la vue. Pour le reste de ses jours, on le vit dans les rues de la ville, conduit par un chien. Finalement il tomba dans la misère la plus noire. Son complice dut avouer que rien ne lui avait réussi depuis le jour de cette attaque sauvage.

James Taylor fit un jour une prédication, courte, mais combien éloquente ! Une femme furieuse courait après lui dans la rue, une poêle à frire à la main. Elle avait remarqué que le brave évangéliste portait un pardessus de couleur claire et y trouva l'occasion de lui chercher querelle. Se plaçant derrière lui, elle appliqua d'un geste énergique la poêle à frire toute graisseuse et noire de suie sur le dos de James Taylor, joignant à l'acte la moquerie pour l'amusement des passants. Mais ce fut bientôt à son tour d'être déconfite, car James Taylor, se retournant avec un sourire, lui proposa de lui graisser aussi le visage, si cela pouvait lui faire plaisir. Toute confuse, la femme s'en alla ; mais l'incident ne fut pas oublié.

Rien n'ébranlait James Taylor. Il réalisait combien c'était chose sûre et bénie que de se confier dans le Dieu vivant. La petite maison au haut d'Old Mill Lane était de plus en plus heureuse et devenait une source de bénédictions pour d'autres. Betty, à côté de ses devoirs domestiques, trouvait le temps de diriger une classe biblique pour femmes. Les enfants grandissaient et faisaient leur joie et leur consolation. Les tentatives malveillantes furent déjouées d'une manière si manifeste qu'elles contribuèrent à augmenter plutôt qu'à contrecarrer leur influence. L'on n'est pas étonné de constater qu'avec le temps « ces méthodistes de la première heure, par leur douceur, leur droiture et leur conduite irréprochables, vainquirent l'opposition et furent comptés au nombre des habitants les plus respectés de la ville ».

Un changement analogue se remarquait dans toute l'Angleterre. La fin du siècle voyait, grâce au Réveil, une transformation paisible de la vie et du caractère de la nation. Dépassant sa propre génération, Wesley, arrivé à l'âge de quatre-vingt-trois ans, pouvait contempler une église vivifiée, conduisant le peuple dans le chemin de la justice, de la liberté et de l'instruction. Il saluait aussi l'aurore des missions modernes qui allaient porter ces bénédictions à un monde dans l'attente. Ses tournées d'évangélisation étaient triomphales et lui-même, l'homme le plus connu de toute l'Angleterre, était honoré et aimé à cause de son œuvre là où, si longtemps, il avait été haï et méprisé1.

Ce fut à ce moment-là que Wesley fit sa seule visite à Barnsley. La joie de James Taylor et des siens dut être bien grande de recevoir ce père en la foi. Wesley venait d'Epsworth, où il avait passé son enfance, et il avait fêté son quatre-vingt-troisième anniversaire. Son extraordinaire vigueur spirituelle et physique peut être jugée d'après l'inscription qu'il fit dans son journal, deux jours avant d'arriver à Barnsley :

Mercredi 28 juin 1786. — Je suis un sujet d'étonnement pour moi-même. Il y a maintenant douze ans que je n'ai pas ressenti de fatigue. Je n'éprouve jamais de lassitude, par la grande bonté de Dieu, à prêcher, écrire et voyager.

Cette visite, en juin 1786, a laissé des souvenirs à Barnsley. L'arrivée de Wesley, la noblesse du vénérable prédicateur, la manière puissante avec laquelle il présenta les choses éternelles, tout cela et bien d'autres faits encore sont consignés dans les livres et dans le cœur chaud des habitants de cette ville du Yorkshire. Le soir de cette mémorable journée trouva Wesley au foyer de ses humbles amis, gagnant le cœur de chacun, jeunes et vieux. Peut-être entendit-il le récit de la conversion de James Taylor au matin de son mariage et de la consternation de l'épouse en apprenant qu'elle avait épousé « un de ces méthodistes ! » Et l'on se représente le sérieux avec lequel Wesley cherchait à encourager et à fortifier ceux que sans doute il ne reverrait plus ici-bas. Il nous semble l'entendre dire :

Souvenez-vous que votre devoir, plus important que tous les autres, est de sauver des âmes. Donnez-vous entièrement à cette tâche. Il ne s'agit pas de prêcher tant et tant de fois par semaine ou de vous occuper de tel ou tel groupe. Il s'agit de sauver le plus d'âmes possible, d'amener le plus de pécheurs possible à la repentance et, de toutes vos forces, de les édifier dans la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur.

Nous ne serons nets du sang des hommes que si nous travaillons avec persévérance, sans nous lasser. Allez de maison en maison, enseignez les adultes et les enfants et, s'ils sont convertis, exhortez-les à être des chrétiens au dedans et au dehors. Faites-leur comprendre exactement chaque point, fixez-le dans leur mémoire, gravez-le dans leur cœur.

Oh ! pourquoi ne sommes-nous pas plus saints ? Pourquoi ne vivons-nous pas dans l'éternité et ne marchons-nous pas tout le jour avec Dieu ? Pourquoi ne sommes-nous pas entièrement consacrés à Dieu et remplis de l'esprit missionnaire ?

Hélas ! Nous avons de l'enthousiasme, nous voulons les résultats sans être fidèles dans les moyens de les obtenir. Nous levons-nous à quatre ou cinq heures du matin pour être seuls avec Dieu ? Jeûnons-nous une fois par semaine, une fois par mois ? En sentons-nous la nécessité ou l'utilité ? Savons-nous réserver des heures fixes pour notre prière personnelle ? Les observons-nous ?

Ranimons le don de Dieu qui est en nous. Ne dormons plus comme les autres. Prenons garde au service que nous avons reçu du Seigneur, et accomplissons-le.

Ce fut dans de tels entretiens que les heures s'écoulèrent. Ce soir-là Wesley consigna dans son journal ces mots si à propos :

Vendredi 30 juin 1786. — J'ai fait un détour à Barnsley, autrefois réputé pour la dépravation de ses habitants qui étaient toujours prêts à malmener un prédicateur méthodiste. Aujourd'hui personne n'a remué la langue. J'ai prêché près de la place du marché à un grand auditoire, et je crois que la vérité a pénétré dans plus d'un cœur. On semblait boire chaque parole. Dieu aura certainement un peuple dans cette ville.


1 Wesley peut être appelé à juste titre l'homme le plus connu en Angleterre. Son œuvre, qui s'étend sur plus de cinquante années, a été prodigieuse. Faisant à cheval ou en voiture six à huit mille kilomètres par année, il avait organisé en Grande-Bretagne seulement, plus de cent itinéraires où trois cents ministres et plus de mille prédicateurs locaux faisaient connaître Jésus. Il prêcha en tout quarante-deux mille sermons depuis son retour de Géorgie en 1738 jusqu'à sa mort en 1791, soit en moyenne plus de quinze par semaine, pendant cinquante-trois ans. Ses dernières paroles furent : Le meilleur de tout, c'est : Dieu avec nous.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant