Hudson Taylor

TROISIÈME PARTIE
Les années de préparation (Londres et voyage)
1852-1854
(de vingt à vingt et un ans)

CHAPITRE 13
Le Seigneur y pourvoira
octobre-décembre 1852

Enfin il entrait à l'hôpital, près de trois ans après ce jour de décembre où sa vocation s'était précisée de manière définitive ! Les études médicales lui avaient toujours paru la meilleure préparation pour son œuvre. Malgré peu d'appuis, et en dépit de beaucoup d'obstacles, il avait persévéré et fait des progrès considérables du point de vue pratique. Mais maintenant la route s'ouvrait toute grande devant lui : les cours, les salles d'hôpital, et tous les avantages que procure un établissement de grande ville, étaient à sa disposition.

L'établissement de ce temps-là ne peut être comparé à celui qui s'élève, actuellement au même endroit. Toutefois il pouvait accueillir de trois cents à quatre cents malades, et les étudiants avaient, en outre, de nombreuses occasions de service au sein de la population dense de l'Est de Londres. Pour un jeune homme de la campagne du Nord, c'était vraiment un monde nouveau où il fallait du courage pour s'affirmer comme chrétien.

Ce ne sont pas tant ses expériences matérielles durant ce stage à Londres qui nous intéressent, que le développement de sa vie intérieure, la croissance de sa foi et de sa fidélité au milieu des circonstances où il était providentiellement placé.

Ses besoins matériels furent satisfaits, car il put vivre à Soho même après épuisement de ses maigres économies. Bien des exaucements de prières lui furent accordés et, à cet égard, l'hiver fut fécond, quoique sa vie spirituelle n'eût pas été aussi heureuse qu'à Hull. Mais si la joie dans le Seigneur était moins intense et le sentiment de Sa présence moins vif, la merveilleuse réalité ne diminuait pas.

Par suite d'abondantes pluies, la saison fut particulièrement déprimante. Une partie de l'Est de Londres était inondée, ce qui entraînait de fâcheuses conséquences pour ceux qui vivaient près du fleuve ou avaient à parcourir les rues humides et brumeuses. Hudson Taylor était précisément de ceux-là. Logeant à Soho pour rester avec son cousin, il avait près de sept kilomètres à parcourir jusqu'à l'hôpital où la plus grande partie de sa tâche l'appelait, soit plusieurs heures de marche quotidienne. Il n'y avait pas de chemin de fer souterrain en ce temps-là. Le seul moyen de transport à la disposition du public était l'omnibus à la vieille mode, et le prix de la course était de trois pence, qu'Hudson Taylor ne pouvait payer. Ainsi il ne lui restait qu'à aller à pied, car le jeune étudiant en médecine était rigoureusement économe. Il ne nous appartient pas de dire jusqu'à quel point cela était nécessaire ou désirable. Il n'avait encore que peu d'expérience d'une vie de foi et, pour motifs de conscience, il se refusait tout ce qui n'était pas indispensable, en vue d'aider les autres.

Pour diminuer mes dépenses, écrivait-il, je partageai ma chambre avec un cousin, à près de sept kilomètres de l'hôpital, et m'occupai moi-même de mon entretien. Après avoir fait diverses expériences, je trouvai que le moyen le plus économique était de me nourrir exclusivement de pain bis et d'eau. Ainsi je pouvais faire durer le plus longtemps possible les ressources que Dieu m'avait données. Je ne pouvais diminuer certaines de mes dépenses, mais pour ce qui est de la nourriture j'agissais comme je l'entendais. Une miche de pain bis de deux pence, achetée chaque jour en chemin, me suffisait pour le souper et le déjeuner. En y ajoutant quelques pommes à midi, je réussissais à marcher quatorze à quinze kilomètres par jour, sans compter tous les pas que je faisais à l'hôpital.

Il faut se souvenir que c'était l'hiver, la période la plus déprimante de l'année. Comme les restaurants devaient paraître tentants à l'étudiant fatigué et à jeun qui cheminait dans l'obscurité et se passait du repas de midi pendant bien des jours ! Le boulanger qui vendait le pain bis se demandait-il pourquoi son client attendait qu'il eût coupé la miche en deux ? Le soir, il ne fallait pas en manger plus de la moitié. Le reste était la part du lendemain matin, et l'expérience avait prouvé combien il était difficile de partager équitablement. Au début, Hudson Taylor le faisait lui-même, mais le souper était avantagé à un point tel que le jeune homme, après son repas du matin, se mettait en route en ayant faim.

Du pain bis, des pommes et de l'eau, pour trois pence par jour — un régime digne d'un Bédouin, moins le café. Ce n'était pas du tout celui qu'il fallait à un jeune homme délicat, au milieu de l'agitation de la grande ville. Mais qu'étaient la faim et la fatigue physique, en comparaison des aspirations de son âme ? Le but avant tout : la Chine, dans sa détresse immense, et le remède qu'il pourrait y apporter ; Dieu toujours prêt à bénir et dont il faut saisir la grâce par la prière et par la foi.

Son travail à l'hôpital allait bien :

Non, écrivait-il, en réponse aux questions de sa mère, ma santé n'en souffre pas. Au contraire, tout le monde admire ma bonne mine, et il y a même des gens qui trouvent que j'engraisse ! Il faut, je crois, un peu d'imagination pour cela. Mes trajets ne me fatiguent pas comme ils le faisaient les premiers temps. Mais la conversation profane de certains étudiants est vraiment navrante, et j'ai besoin de toutes vos prières.

Comme il est précieux de connaître Sa bonté. Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, Il les aima jusqu'à la fin ! » Il n'oublie jamais, Il ne se lasse jamais... L'avenir, comme tu le dis, est tout entier entre Ses mains, et que pourrions-nous souhaiter d'autre ?

Et pourtant, alors qu'il écrivait ces lignes, il était dans une situation qui aurait pu lui donner de l'anxiété. Il entrait dans une période d'épreuves plus sévères que toutes celles qu'il avait connues. À l'arrière-plan de l'expérience qui marqua la fin de l'année et qu'il va raconter lui-même, combien cette assurance était précieuse : « Il n'oublie pas, Il ne se lasse jamais. »

Je ne puis passer sous silence une expérience que je fis à peu près à cette époque. Le mari de ma maîtresse de pension à Hull était capitaine d'un bateau dont le port d'attache était Londres. En touchant le demi-salaire mensuel et en l'adressant à sa femme, je lui épargnais le coût de la commission. J'avais fait cela deux ou trois fois lorsque je reçus d'elle une lettre me priant de toucher la mensualité suivante le plus tôt possible parce que l'échéance de son loyer approchait et qu'elle avait besoin de cet argent pour l'acquitter. Cette demande arrivait à un mauvais moment. je travaillais fort et ferme pour un examen et j'estimais n'avoir guère le temps d'aller toucher ces fonds dans les heures les plus remplies de la journée. J'avais suffisamment d'argent en main pour envoyer la somme demandée et je fis donc l'envoi tout en me proposant, une fois l'examen passé, d'aller encaisser le salaire et me couvrir de mon avance.

Avant l'examen, il y eut un jour de congé à l'occasion des funérailles du duc de Wellington et je pus ainsi aller tout de suite au bureau de la Compagnie de Navigation à Cheapside, pour encaisser la somme habituelle. À ma consternation, l'employé me dit qu'il ne pouvait me faire aucun paiement, car le capitaine en question avait abandonné son navire pour aller travailler dans les mines d'or.

Eh bien ! remarquai-je, c'est fort désagréable pour moi, car j'ai déjà fait l'avance de ces fonds et je sais que la femme du capitaine ne pourra me rembourser. L'employé me répondit qu'il regrettait beaucoup, mais qu'il ne pouvait que se conformer aux ordres qu'il avait reçus. Ainsi, il n'y avait pas d'espoir pour moi dans cette direction. Mais, après un moment de réflexion, je me sentis cependant encouragé en pensant que je dépendais du Seigneur pour toutes choses, que Ses moyens n'étaient pas limités et que c'était de peu d'importance d'être amené, un peu plus tôt ou plus tard, à recevoir de nouvelles ressources de Lui. Ma joie et ma paix ne furent donc pas longtemps interrompues.

Tout de suite après cela, le même soir peut-être, je me piquai à la main droite en cousant des feuilles de papier destinées à des notes, mais oubliai aussitôt cet incident. Le lendemain, à l'hôpital, je continuai à faire de la dissection comme auparavant. Le corps était celui d'une personne morte de la fièvre, et le travail était plus désagréable et plus dangereux que de coutume. J'ai à peine besoin de dire que tous ceux d'entre nous qui travaillions à cette dissection étions extrêmement prudents, sachant que la plus légère égratignure pouvait coûter la vie. Au début de la matinée, je commençai à me sentir las et, tandis que je parcourais les salles à midi, je dus sortir, me sentant très malade. Cela ne m'était jamais arrivé, car je ne prenais que fort peu de nourriture et rien qui eût pu ne pas me convenir. Je me sentis épuisé pendant un moment. Puis un verre d'eau fraîche me remit et je pus rejoindre les étudiants. Cependant je me sentis de moins en moins bien et, pendant le cours de l'après-midi, je ne pus continuer à tenir mon crayon et à prendre des notes. Au moment où la leçon s'achevait, tout mon bras et mon côté droit me faisaient souffrir et je me sentais très mal.

Voyant que je ne pouvais reprendre mon travail, je me rendis à la salle de dissection pour serrer mes affaires et dis au professeur, qui était un habile chirurgien :

Je ne sais pas ce qu'il m'arrive; et je lui décrivis les symptômes de mon mal.

Pourquoi, dit-il ? C'est assez clair : vous vous êtes coupé à la dissection, et vous savez qu'il s'agit d'un cas de fièvre maligne.

Je lui répondis que j'avais travaillé avec beaucoup de prudence et que j'étais sûr de ne pas m'être blessé.

Vous devez certainement avoir une égratignure, répondit-il. Et il examina attentivement ma main, sans rien trouver.

Tout à coup, je me souvins que je m'étais piqué la veille. je lui demandai s'il était, possible qu'une piqûre d'aiguille faite à ce moment-là fût encore ouverte. Il fut d'avis que c'était là la cause du mal et il m'exhorta à prendre une voiture, à rentrer chez moi aussi rapidement que possible et à mettre mes affaires en ordre tout de suite car, me dit-il, vous êtes un homme mort.

Ma première pensée fut un vif chagrin de ne pouvoir aller en Chine. Mais très vite me vint cette certitude : « A moins que je me sois grandement trompé, j'ai une œuvre à faire en Chine, et je ne mourrai pas. » J'étais heureux pourtant de saisir cette occasion de parler à cet ami, qui était un sceptique déclaré, de la joie que me donnait la perspective d'être bientôt auprès de mon Maître. Mais je lui dis en même temps que je ne croyais pas mourir maintenant, puisque j'avais un travail à accomplir en Chine.

« Tout cela est très bien, répondit-il, mais prenez une voiture, et rentrez chez vous au plus vite. Vous n'avez pas une minute à perdre, car vous serez bientôt hors d'état de vous occuper de vos affaires. »

L'idée de rentrer chez moi en voiture me fit sourire, car l'état de ma bourse ne me permettait pas cette dépense. J'essayai donc de rentrer à pied. Mais au bout de peu de temps ma force m'abandonna, et je m'aperçus que je ne pourrais pas marcher jusque chez moi. Grâce à deux omnibus, je pus arriver jusqu'à ma pension, au milieu des plus grandes souffrances. En rentrant, je demandai de l'eau chaude à une servante que j'exhortai de manière très pressante — j'étais mourant — à accepter la vie éternelle comme le don de Dieu en Jésus-Christ. Je baignai ma main et donnai un coup de lancette à mon doigt, pour essayer de faire sortir un peu du sang empoisonné. La douleur était extrême; je m'évanouis, et lorsque je repris conscience, je me trouvai dans mon lit.

Un de mes oncles, qui vivait tout près de là, était venu et envoya chercher son propre médecin, chirurgien-assistant à l'hôpital de Westminster. J'assurai à mon oncle que le secours d'un médecin était superflu et que je ne désirais pas faire cette dépense. Il me tranquillisa cependant en me disant qu'il prenait à sa charge tous les frais. Quand le chirurgien arriva et apprit ce qui s'était passé, il déclara :

« Eh bien ! si vous avez toujours été sobre, vous pourrez vous en sortir. Mais si vous êtes adonné à la boisson il n'y a pas d'espoir pour vous. »

Je pensai aussitôt que si une vie sobre y pouvait quelque chose, bien peu avaient de meilleures chances que moi, car mon régime, depuis un temps assez long, ne comportait presque que du pain et de l'eau. Je lui dis donc que j'avais vécu frugalement et trouvais que cela m'aidait pour l'étude.

« Mais maintenant, me dit-il, vous devez reprendre des forces, car ce sera une lutte passablement dure. » Et il m'ordonna une bouteille de porto par jour et autant de côtelettes que je pouvais manger.

Je souris intérieurement, car je n'avais pas les moyens d'acheter de pareils extras. Cette difficulté fut cependant résolue aussi par mon brave oncle qui me fit envoyer tout ce qui m'était nécessaire.

Malgré l'agonie que j'endurais, j'étais en grand souci, désirant que mes chers parents ne soient pas mis au courant de mon état. La réflexion et la prière m'avaient amené à la certitude que je n'allais pas mourir, mais que j'avais une œuvre à faire en Chine. Si mes parents venaient et me trouvaient ainsi, ils tiendraient à me venir en aide et je perdrais l'occasion de voir comment Dieu agirait pour moi, maintenant que mon argent était presque épuisé. Aussi, après avoir prié Dieu de me diriger, j'obtins de mon oncle et de mon cousin la promesse qu'ils ne leur écriraient pas, mais me laisseraient le faire moi-même. L'assurance qu'ils m'en donnèrent me parut un exaucement très net de ma prière et j'eus soin de différer toute correspondance avec Barnsley jusqu'au moment d'un mieux décisif. Mes parents savaient que je travaillais dur pour un examen et ne s'étonneraient pas de mon silence.

Des jours et des nuits de souffrance s'écoulèrent lentement ; puis, au bout de plusieurs semaines, je fus assez bien pour quitter la chambre. J'appris alors que deux étudiants, d'un autre hôpital, qui avaient eu en même temps que moi un empoisonnement de sang à la suite d'une dissection, venaient de mourir tous les deux, tandis qu'en réponse à mes prières j'étais épargné pour travailler à l'œuvre de Dieu en Chine.

Un jour le docteur me trouva sur le sofa, et fut surpris d'apprendre qu'avec un peu d'aide j'avais pu descendre l'escalier.

« Maintenant, me dit-il, le mieux que vous puissiez faire est de partir pour la campagne aussitôt que vous pourrez supporter le voyage. Il vous faut reprendre des forces au grand air, car si vous vous mettiez trop tôt au travail, cela pourrait avoir des suites très graves. »

Quand il fut parti, comme j'étais étendu, épuisé, sur le canapé, j'apportai toutes ces choses au Seigneur et Lui dis que je m'abstiendrais de faire connaître mes circonstances à ceux qui ne demanderaient pas mieux que de m'aider, afin que ma foi pût être fortifiée en recevant le secours de Lui-même, en réponse à la prière seule. Qu'allais-je faire ? J'attendis Sa réponse.

Et il me sembla qu'Il m'amenait à la conclusion d'aller de nouveau au bureau de la Compagnie de Navigation et de me renseigner sur le salaire que je n'avais pas pu encaisser. Je rappelai au Seigneur que je ne pouvais me payer un moyen de transport, et qu'il n'était pas du tout certain que je réussisse à obtenir cet argent. Je Lui demandai de me montrer si, en y allant, je ne me raccrochais pas à un fétu de paille et si ce n'était pas un raisonnement personnel plutôt que Sa direction et Son enseignement. Ayant prié de nouveau, je fus confirmé dans la pensée que Lui-même me poussait à faire cette démarche.

Alors la question se posa : Comment y aller ? J'avais dû quérir de l'aide pour descendre l'escalier, et l'endroit où je devais me rendre était éloigné de près de quatre kilomètres Mais l'assurance me fut donnée d'une manière très nette que tout ce que je demanderais au Père au nom de Christ serait accordé afin que le Père fût glorifié dans le Fils ; ce que j'avais à faire était de rechercher la force pour cette longue marche, de la recevoir par la foi et de me mettre en route. Sans hésiter, je dis au Seigneur que j'étais prêt à faire cela et Lui demandait au nom de Christ que la force me fût donnée immédiatement. J'envoyai donc le domestique chercher dans ma chambre mon chapeau et ma canne. Puis je me mis en route, non pour « essayer d'aller » mais pour aller à Cheapside.

Bien que soutenu d'une façon indiscutable par la foi, je ne portai jamais autant d'intérêt aux vitrines que pendant ce trajet. À maintes reprises je fus heureux de m'appuyer un peu contre les glaces et de prendre du temps pour examiner les étalages avant de continuer mon chemin. Dieu m'aida merveilleusement, surtout lorsque je dus monter une rue assez raide, et, ainsi, j'arrivai à Cheapside, devant la porte du bureau de la Compagnie, je m'assis sur une marche de l'escalier menant au premier étage où je devais précisément me rendre. Après un moment de repos et de prière, je réussis à le gravir et, à mon grand soulagement, trouvai l'employé auquel j'avais eu affaire précédemment. Me voyant pâle et épuisé, il cuit la bonté de s'informer de ma santé. Je lui répondis que j'avais été sérieusement malade et que je devais aller à la campagne, mais que j'avais jugé à propos de venir auparavant prendre ides informations au cas où il y aurait eu quelque erreur commise à mon détriment.

« Eh bien ! dit-il, je suis heureux que vous soyez venu, car il se trouve que c'est un marin du même nom que le capitaine qui s'est enfui. Votre homme est toujours à bord; son navire vient de toucher Gravesend et ne tardera pas à arriver. Je suis heureux de vous remettre la moitié de sa solde jusqu'à ce jour, car il est certain qu'elle parviendra bien mieux à sa femme par votre intermédiaire. Nous savons tous à quelles tentations sont exposés les marins lorsqu'ils débarquent. »

Mais avant de me donner l'argent, il me pressa d'entrer et de partager son repas. Je sentis qu'en vérité c'était le Seigneur qui prenait soin de moi et acceptai son offre avec reconnaissance. Quand je fus restauré et reposé, il me donna de quoi écrire à Mme Finch, pour la mettre au courant de l'affaire. En rentrant, je pris à Cheapside un mandat pour le solde que je lui devais et le lui envoyai. Pour regagner ma demeure, je trouvai que j'avais bien le droit maintenant de prendre l'omnibus.

En bien meilleure santé le lendemain matin, je me rendis à la clinique du docteur qui m'avait soigné. Quoique mon oncle eût l'intention d'acquitter la note, je pensais qu'il était juste de la régler moi-même, maintenant que j'avais de l'argent. L'excellent chirurgien ne voulut rien recevoir pour ses soins parce que j'étais étudiant en médecine, mais il m'avait fourni de la quinine pour une somme de huit shillings qu'il me laissa payer. Cela fait, je vis qu'il me restait juste assez d'argent pour rentrer à la maison; tout cela me parut une miraculeuse intervention de Dieu en ma faveur.

Je savais que ce chirurgien était sceptique et lui dis que j'aimerais beaucoup lui parler librement si je pouvais le faire sans l'offenser, que j'avais le sentiment qu'après Dieu, je devais la vie à ses soins, et que j'avais le plus sérieux désir de le voir participer lui aussi à la même précieuse foi. Je lui expliquai donc pourquoi j'étais à Londres, lui exposant les circonstances de mon séjour, et comment j'avais refusé à la fois le secours de mon père et de la Société pour laquelle je partirais probablement pour la Chine. Je lui parlai des récentes voies de Dieu à mon sujet et lui montrai combien ma situation paraissait désespérée le jour précédent lorsqu'il m'avait ordonné d'aller à la campagne : ma seule ressource aurait été de révéler mes besoins, ce que j'avais décidé de ne pas faire. je lui retraçai les préoccupations intérieures que j'avais eues; mais lorsque j'ajoutai que j'avais alors quitté mon canapé et marché jusqu'à Cheapside, il me jeta un regard de doute et dit :

« Impossible ! Comment ? je vous ai laissé couché, et plus semblable à un fantôme qu'à un homme ! »

Et je dus lui certifier, à plusieurs reprises, que, soutenu par la foi, j'avais réellement fait ce trajet. Je lui dis aussi ce que j'avais eu à payer, et lui montrai qu'il me restait juste assez d'argent pour aller à la maison dans le Yorkshire, y compris les provisions de route et le parcours final en omnibus.

Cet excellent ami était complètement brisé et me dit, les larmes aux yeux :

« Je donnerais le monde entier en échange d'une foi comme la vôtre. »

Sur quoi j'eus la joie de lui répondre qu'il pouvait l'obtenir sans argent, sans rien payer.

Nous ne nous sommes jamais revus. Lorsque je revins dans la capitale, complètement rétabli, j'appris qu'il avait eu une attaque et était parti pour la campagne, et j'ai su par la suite qu'il ne s'était jamais remis. On n'a pas pu me dire dans quelles dispositions d'esprit il était parti, mais j'ai toujours été reconnaissant d'avoir eu et d'avoir saisi l'occasion de rendre ce témoignage à Dieu. Je ne peux pas m'empêcher d'espérer que le Seigneur lui aura parlé et que je le reverrai au Ciel. Ce ne serait pas une petite joie que d'y être accueilli par lui lorsque j'aurai achevé ma tâche.

Le jour suivant, je me retrouvai dans la maison paternelle. Ma joie du secours et de la délivrance du Seigneur était si grande que je ne pus la garder pour moi et, avant mon retour à Londres, ma chère mère fut au courant du secret de mon existence. Je n'ai pas besoin de dire qu'une fois revenu en ville on ne me permit plus de vivre aussi économiquement qu'avant ma maladie. Je n'aurais plus pu supporter ce genre de vie ; il me fallait davantage maintenant et le Seigneur y pourvut.

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