Hudson Taylor

TROISIÈME PARTIE
Les années de préparation (Londres et voyage)
1852-1854
(de vingt à vingt et un ans)

CHAPITRE 15
Je ne te laisserai jamais
septembre 1853 — mars 1854

Hudson Taylor allait s'embarquer comme unique passager sur un petit voilier, le Dumfries. Le 19 septembre, peu avant l'heure du départ, il priait avec sa mère dans la cabine à l'arrière du bateau. Ils avaient peine à se rendre compte que c'était la dernière fois pour bien longtemps. Depuis la décision du Comité ils avaient eu beaucoup de préparatifs à faire, et peu de temps pour réfléchir. Et maintenant, l'heure de la séparation était venue. Après une visite à Barnsley, où il avait pris congé de ses sœurs, après des réunions à Tottenham et à Londres, le jeune missionnaire s'était rendu à Liverpool où sa mère était venue le rejoindre. Son père l'avait accompagné, et M. Pearse était venu représenter la Société, mais un retard dans la date du départ les obligea l'un et l'autre à s'en retourner. Ainsi la mère et le fils restèrent seuls jusqu'à la fin, et le récit qu'elle a laissé de leur séparation est d'un intérêt tout particulier :

Le dimanche 18 septembre, Hudson fut abondamment béni aux différents cultes. Son âme était remplie de l'amour de Dieu et, dans la soirée, il écrivit quelques lettres d'adieux à des parents et à des amis, messages pleins d'affection rendant un beau témoignage à la puissante grâce de Dieu qui l'avait soutenu. On pouvait se rendre compte que, librement et joyeusement, il quittait tout pour apporter la lumière de la connaissance de Dieu à ce pays enténébré qu'il aimait depuis si longtemps et pour lequel il s'était préparé et avait travaillé et prié.

En me voyant pleurer, il dit :

« Oh ! mère, ne t'afflige pas je suis si heureux ! Je pense que la différence qu'il y a en ce moment entre nous deux vient de ce que tu arrêtes tes pensées sur mon départ tandis que je songe surtout à la réunion éternelle. »

Avant de se retirer pour la nuit, il lut à haute voix une partie du chapitre 14 de Jean : « Que votre cœur ne se trouble point », et il pria. Le Trône de la grâce lui était d'un accès facile. Tandis qu'il remerciait Dieu de toutes les grâces reçues et qu'il demandait de nouvelles bénédictions pour lui-même, pour ceux qu'il quittait, pour l'Église et pour le monde, je sentais combien l'intercession était sa vie.

Le lendemain matin, nous nous rencontrâmes vers dix heures dans la cabine du Dumfries où nous fûmes rejoints par M. Plunkett, un pasteur âgé, dont nous avions fait la connaissance pendant notre séjour à Liverpool. Après une courte conversation, on proposa de chanter et de prier et Hudson entonna d'une voix ferme et claire le beau cantique :

Que le nom de Jésus est doux
Pour le cœur du croyant.
Seul il apaise, il guérit tout
Et chasse le tourment.

Après une prière de M. Plunkett, Hudson se mit à prier à son tour et un étranger ne se serait guère aperçu que cette voix décidée, cette attitude calme, ces expressions joyeuses étaient celles d'un jeune homme qui, dans quelques minutes, allait quitter ses parents, ses sœurs, ses amis, sa maison et sa patrie. Mais son cœur était assuré dans le puissant Dieu de Jacob, aussi son courage ne faiblit-il pas. Il n'eut qu'un léger moment de trouble, lorsqu'il recommanda à son Père céleste ceux qu'il aimait une lutte d'un instant, après laquelle tout fut calme. Il n'oubliait cependant pas qu'il entrait dans, une époque d'épreuves, de difficultés et de dangers; mais, considérant tout cela d'avance, il s'écriait : « Aucune de ces choses, ne m'émeut et je compte ma vie pour rien, pourvu que je puisse achever avec joie ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l'Évangile de la grâce de Dieu. » Ce fut une heure mémorable...

Après la prière, Hudson lut un psaume. Peu après, nous nous rendîmes sur le pont, dans l'intention de descendre à terre. À notre surprise, le bateau avait quitté son poste de mouillage et était à peu près hors du dock.

Puis vint pour moi le moment le plus pénible — la bénédiction d'adieu, l'étreinte dernière. Le bateau s'était rapproché du bord ; une main secourable se tendit et je sautai à terre, sans bien savoir ce que je faisais et m'assis sur une poutre qui se trouvait là. Un frisson me prit et je tremblai de la tête aux pieds. Mais aussitôt je sentis ses bras autour de mon cou et il me pressa encore une fois avec amour sur sa poitrine. Voyant ma détresse, il avait couru à moi pour me faire entendre des paroles de consolation.

« Chère maman, disait-il, ne pleure pas. Ce n'est que pour un peu de temps que nous nous séparons, puis nous serons de nouveau réunis. Pense au but glorieux pour lequel je te quitte. Ce n'est pas pour la richesse ou les honneurs, mais pour essayer d'amener les pauvres Chinois à la connaissance de Jésus. »

Comme le vaisseau s'écartait, il dut y retourner, et nous le perdîmes de vue un instant. Il avait couru à sa cabine, et après avoir écrit en toute hâte au crayon sur la page blanche d'une Bible de poche :

« L'amour de Dieu qui surpasse toute intelligence, J. H. T. », il revint et me jeta le livre sur le quai.

Un instant plus tard le navire s'approcha de nouveau pour prendre le second qui nous serra chaudement la main « Soyez courageuse, dit-il, je vous rapporterai de bonnes nouvelles. »

Une fois de plus notre bien-aimé tendit la main et je la saisis avec empressement. Nous échangeâmes un autre : « Bon voyage ! Dieu te bénisse », puis les eaux profondes de la Mersey nous séparèrent.

Tandis que nous agitions nos mouchoirs en suivant des yeux le navire qui s'éloignait, il se plaça à la proue et monta ensuite dans les agrès, brandissant son chapeau et ressemblant plus à un héros victorieux qu'à un tout jeune homme entrant dans la bataille... 1.

Les propres souvenirs d'Hudson Taylor, écrits longtemps après, montrent combien il fut sensible, lui aussi, à cette séparation.

Ma mère bien-aimée m'avait accompagné à Liverpool. je n'oublierai jamais ce jour-là, ni sa visite dans la cabine où je devais passer près de six longs mois. D'une main maternelle, elle caressa le petit lit. Elle s'assit à côté de moi et nous chantâmes ensemble avant de nous séparer; nous nous mîmes à genoux et elle pria — la dernière prière que j'entendis prononcer par ma mère avant mon départ pour la Chine — puis on nous avertit qu'il fallait nous séparer, et nous dûmes nous dire au revoir, ne pensant jamais nous revoir sur la terre.

Par amour pour moi, elle maîtrisait son émotion autant qu'elle le pouvait. Nous nous quittâmes et elle descendit à terre en me donnant sa bénédiction. Je restai seul sur le pont et elle suivit le navire tant qu'il longea le quai. Mais lorsqu'il sortit du bassin et que la séparation commença vraiment, le cri d'angoisse qui s'échappa du cœur de ma mère me transperça comme une lame. Je ne l'oublierai jamais. Je n'avais jamais compris aussi complètement, jusqu'alors, ce que veut dire : Dieu a tant aimé le monde. Et je suis sûr que ma précieuse mère apprit davantage de l'amour de Dieu pour les perdus en cette seule heure que pendant toute sa vie jusqu'à ce moment-là.

Oh ! comme cela doit attrister le cœur de Dieu quand Il voit Ses enfants indifférents aux besoins de ce vaste monde pour lequel souffrit et mourut Son bien-aimé, Son Fils unique.

Le voyage fut un temps de bénédiction pour le passager solitaire à bord du Dumfries. Long et monotone à bien des égards, puisqu'il devait durer cinq mois et demi sans toucher terre, il fut pourtant, d'une façon générale, une expérience fortifiante et bienfaisante après les premières terribles journées.

Jamais peut-être bateau ne dut affronter pires dangers que le petit voilier avant qu'il pût atteindre la haute mer. Il semblait presque que le « prince de l'autorité de l'air », connaissant quelque chose des possibilités incarnées dans le jeune missionnaire à bord, faisait tous ses efforts pour couler le Dumfries. Pendant douze longues journées, il fut ballotté dans le détroit de Saint-Georges, tantôt en vue de l'Irlande, tantôt en vue de la côte dangereuse du Pays de Galles. Durant la première semaine, il fut pris presque continuellement dans la houle de l'équinoxe, à un point tel que, poussé dans la baie de Carnavon, il fut à un doigt d'être brisé sur les rochers. Cette scène en pleine nuit, au milieu des écueils recouverts d'écume, et la façon dont le bateau fut sauvé alors que tout espoir paraissait vain, firent une impression si profonde sur Hudson Taylor qu'il faut relater ici cette partie du voyage d'après ses lettres et son journal.

Avec une immense gratitude, écrivait-il le lundi 26 septembre, je veux faire le récit des bontés de Dieu. Lui et Lui seul nous a arrachés des griffes de la mort. Puissent nos vies épargnées être utilisées entièrement à Son service et pour Sa gloire.

Le baromètre baissa toute la journée samedi et, à la nuit tombante, le vent commença à fraîchir. Les matelots eurent une nuit pénible, si bien que le capitaine ne les appela pas, comme c'était l'habitude, pour le culte du dimanche matin. À midi, le vent soufflait fort et la voilure fut réduite le plus possible; on laissa juste ce qui était nécessaire pour que le navire restât stable. Je distribuai quelques traités, puis retournai dans ma cabine parce que le mouvement plus violent du bateau me rendait malade.

Le baromètre descendait toujours et le vent augmenta pour devenir un véritable ouragan. Le capitaine et le second déclarèrent qu'ils n'avaient jamais vu une mer si furieuse. Entre deux et trois heures, l'après-midi, je réussis à monter sur le pont, quoique le tangage rendît la chose difficile. Je n'oublierai jamais la scène qui se présenta à moi. Elle défiait toute description. La mer, absolument démontée, était blanche d'écume. Derrière nous, il y avait un grand navire ; devant, un deux-mâts. Le premier nous rejoignait, mais il était entraîné à la dérive plus que le nôtre. Les vagues, semblables à des collines de chaque côté de nous, paraissaient devoir nous engloutir d'un instant à l'autre, mais notre voilier résistait vaillamment. Comme la mer était grosse, nous n'avançions que peu ou pas; le vent soufflant de l'Ouest, nous étions portés rapidement, irrésistiblement, vers la côte.

Si Dieu ne nous aide pas, dit le capitaine, il n'y a plus d'espoir.

Je lui demandai à quelle distance nous étions de la terre.

À vingt-cinq kilomètres environ, me répondit-il. Nous ne pouvons faire autre chose que de mettre le plus possible de voile. Plus nous en mettrons, moins nous dériverons. C'est une question de vie ou de mort. Dieu veuille que les mâts résistent !

Il fit mettre alors les deux voiles à chacun des mâts.

Ce fut un moment épouvantable. Nous courions sous le vent qui soufflait d'une façon terrifiante, à une vitesse effroyable — un moment élevés en l'air et ensuite plongeant la tête la première entre les lames comme si nous descendions jusqu'au fond de la mer. Le flanc du navire, du côté du vent, était dangereusement soulevé, et le côté opposé enfoncé d'autant, à un point tel que l'eau passait par-dessus le bastingage.

Le soleil se coucha alors, et je le contemplai avec ferveur.

Demain, tu te lèveras comme d'habitude pensai-je, mais, à moins que le Seigneur n'opère un miracle en notre faveur, il ne restera du navire que quelques poutres brisées.

La nuit fut froide, le vent mordant. Les masses d'eau que nous embarquions sans répit nous trempaient complètement.

Plus tôt dans l'après-midi, il avait ressenti d'une façon remarquable une grande paix et une grande joie, malgré la situation désespérée. Mais, une fois le soleil couché, une impression si pénible de solitude et de désolation s'abattit sur lui, qu'il en fut très éprouvé et fort anxieux. Il songeait à la tristesse de ses bien-aimés si le Dumfries venait à être perdu ; aux frais que la Société avait eus — près de cent livres sterling — pour son équipement et son passage ; à l'état de non-préparation de l'équipage ; à la froideur de l'eau et à la lutte contre la mort. Il n'avait aucun doute quant à son bonheur éternel. Il ne craignait pas la mort elle-même. Mais mourir dans de pareilles circonstances ! Ceux qui n'ont pas vu un naufrage en face ne peuvent en réaliser l'horreur.

Je descendis — poursuit simplement le Journal —, lus un ou deux cantiques, quelques psaumes, et les chapitres 13 à 15 de jean et repris courage, si bien que je m'endormis pour une heure. Après cela, le baromètre monta. Nous avions progressé dans le détroit et je demandai au capitaine si nous pourrions passer au large de la pointe de Holyhead.

Si le vent ne nous entraîne pas, répondit-il, nous le pourrons tout juste. Mais si nous dérivons, que Dieu nous soit en aide !

Or, nous dérivions...

Tout d'abord, le phare de Holyhead était devant nous. Ensuite, nous l'eûmes à notre droite, du côté du vent, alors que nous aurions dû passer en l'ayant à notre gauche. Notre sort semblait donc réglé. je demandai alors si nous avions encore deux heures de vie assurées. Le capitaine ne put me l'affirmer. Le baromètre montait toujours mais trop lentement pour nous donner quelque espoir. Je pensais à mes bien-aimés parents, à mes sœurs et aux amis qui m'étaient particulièrement chers... et les larmes me venaient aux yeux. Le capitaine était calme et courageux. Il se confiait dans le Seigneur pour le salut de son âme. Le quartier-maître déclara qu'il savait n'être rien et que Christ était tout. J'étais reconnaissant pour eux, mais je suppliai Dieu d'avoir pitié de nous et de nous épargner pour l'amour de l'équipage inconverti aussi bien que pour Sa propre gloire, la gloire du Dieu qui écoute et exauce la prière. Ce passage me revint à l'esprit : « Invoque-moi au jour de la détresse ; je te délivrerai, et tu me glorifieras. » Et, avec instance je plaidai en me fondant sur cette promesse, mais en me soumettant à Sa volonté.

Notre situation était vraiment dramatique. La nuit était claire et comme la lune brillait, nous pouvions voir la terre juste devant nous. Je descendis de nouveau. Le baromètre montait toujours, mais le vent ne diminuait pas.

Je pris mon agenda et y inscrivis mon nom et l'adresse de mes parents au cas où mon corps serait retrouvé. J'attachai quelques objets dans un panier qui, pensais-je, flotterait et aiderait peut-être quelqu'un à atteindre la terre ferme. Puis, recommandant mon âme et mes amis à Dieu mon Père, et abandonnant tout à Ses soins avec la requête que, si c'était possible, cette coupe passât loin de nous, je montai sur le pont.

Satan me tenta de nouveau et j'eus une lutte terrible. Mais le Seigneur calma mon esprit qui, depuis cet instant, fut si affermi en Lui que la paix ne me quitta plus.

Je demandai au capitaine si des bateaux de sauvetage pourraient tenir dans une mer pareille. Il me répondit : Non. Je lui demandai si nous ne pourrions pas attacher ensemble des poutres et faire une sorte de radeau. Il répondit que nous n'aurions probablement pas le temps.

L'eau devenait blanche maintenant. La terre était juste devant nous.

Nous devons tenter de tourner le bateau et de virer de bord, dit le capitaine, ou tout est perdu. La mer peut balayer le pont quand nous virerons, et emporter tout ce qui s'y trouve... mais nous devons essayer.

Ce fut un moment à faire trembler le cœur le plus vaillant. Il donna un ordre, et nous essayâmes de tourner en dehors, mais sans succès. Cela nous eût donné de la distance. Il fit virer de l'autre côté et, avec l'aide de Dieu, la manœuvre réussit. Nous frôlâmes les rochers. Juste au même instant, le vent changea légèrement de direction et nous pûmes sortir de la baie.

Si le Seigneur ne nous avait secourus, tous nos efforts eussent été vains. Vraiment, Sa miséricorde est inépuisable 2.

Délivré pour le moment, ce fut avec une reconnaissance inexprimable que l'équipage salua le lever du soleil, le, lundi, et vit la tempête s'apaiser.

Une semaine plus tard, le bateau se trouvait dans le golfe de Gascogne. Le temps fut de nouveau très mauvais. La mer, fort houleuse, arracha le hublot de l'avant et sembla vouloir engloutir le navire. Cependant, trois semaines après le départ de Liverpool, le Dumfries entra dans des eaux plus calmes et les plus grands dangers furent ainsi dépassés. Durant toute cette période, il avait fait froid et humide. Tout, à bord, était mouillé, ce qui était très désagréable.

Aussi la satisfaction fut-elle vive quand les vents favorables poussèrent le bateau vers des latitudes plus chaudes. Mais les premières expériences du voyage n'avaient pas été vaines. Hudson Taylor découvrit dans l'équipage un chrétien de plus, le charpentier, un Suédois. Assuré de son appui, il demanda au capitaine la permission de commencer des services réguliers pour les hommes et, dans les chaudes et calmes journées qui les trouvèrent immobilisés près de l'Équateur, ces services se poursuivirent avec ferveur.

Le jeune missionnaire se consacra de tout son cœur à ce travail. Soixante services eurent lieu pendant le reste du voyage et il s'y prépara avec beaucoup de prières. Ce fut une grande bénédiction pour lui et cela contribua aussi à le préserver du déclin spirituel qu'amène souvent l'inactivité. Pour lui, le voyage fut un temps d'enrichissement évident ; son seul chagrin était de voir peu de changements durables dans la vie des matelots. Ils étaient cependant intéressés et venaient parfois lui parler et prier avec lui. Mais quoique plusieurs parussent très près du royaume de Dieu, aucun ne se rangea pleinement du côté de Christ. Ce lui fut un sensible désappointement. À n'en pas douter, cette expérience fut utile en le préparant à semer en tout temps, même si, apparemment, aucun fruit ne se manifeste.

Si la place le permettait, que de faits pourraient être relatés de ce voyage de plus de cinq mois3. Le journal est plein de détails variés et intéressants. Mais surtout il retrace les expériences intimes, tellement plus importantes que les circonstances extérieures. Non seulement Hudson Taylor priait et travaillait pour le bien de l'équipage, mais encore il recherchait une communion plus intime avec Dieu. On, trouve fréquemment des inscriptions comme celles-ci :

30 octobre. J'ai été richement béni aujourd'hui. Le Seigneur m'est vraiment précieux. Puissé-je l'aimer davantage !

1er novembre. Encore un mois de passé, mais combien peu profitablement ! Combien peu de choses à l'honneur de, Celui en qui nous avons le mouvement et l'être. Que le mois qui vient soit utilisé plus fidèlement à Son service et pour Sa gloire.

26 décembre. J'ai joui d'une douce communion avec le Seigneur Jésus et d'une grande liberté d'accès au Trône de la grâce. Oh ! que je recherche toujours « les choses qui sont en haut », comme uni ressuscité avec Christ, toujours debout sur la tour, prêt à proclamer la joyeuse parole : « Voici, l'Époux vient ! »

31 décembre. En passant en revue les grâces de l'année écoulée et la bonté de Dieu pour moi, je me perds dans l'admiration, l'amour et la louange. Et j'élève mon « Eben-Ezer » : jusqu'ici l'Éternel m'a secouru. Passé les derniers instants de l'année en prière et senti la précieuse présence du Seigneur.

Il y eut des moments, dans son voyage solitaire, où la maison paternelle lui semblait bien éloignée et où il soupirait avec intensité après ses bien-aimés.

Quelle immense distance nous sépare, écrivait-il, nous qui étions si près l'an dernier ! Loué soit Dieu, Il ne change pas, Sa grâce ne fait jamais défaut...

Trouvé, dans un livre que m'a prêté le capitaine Morris, le cantique de la mère israélite. Cela m'a vivement affecté. je n'oublierai jamais la dernière fois que je l'ai entendu; ma bien-aimée mère était là, c'est elle qui le jouait. Arrivée à ces paroles :

Je t'ai donné à ton Dieu
Le Dieu qui te donna à moi,

elle ne put se contenir et, m'étreignant dans ses bras, elle pleura abondamment en pensant à la séparation. Que le Seigneur la bénisse et la réconforte jour après jour.

Jésus EST précieux. Son service est parfaite liberté. Son joug est aisé et Son fardeau léger. Son peuple a vraiment joie et paix, plus que tout. Plus mon cœur désire les revoir, plus l'amour de Christ est fort, pressant.

Cet amour pour les âmes, l'amour de Christ en lui, ne faiblit pas à l'épreuve de la souffrance et du dépouillement. Il devait s'approfondir encore au contact des réalités qu'il ne connaissait que par ouï-dire. Par exemple, les habitants isolés de nombreuses îles entre Java et les Philippines l'émurent de compassion. Pendant bien des jours ils passèrent en vue d'îles magnifiques, fertiles, populeuses, où il n'y avait aucun témoin de l'amour impérissable du Calvaire.

Oh ! quel travail pour le missionnaire ! Île après île, beaucoup presque inconnues, quelques-unes avec beaucoup d'habitants, mais sans lumière, sans Jésus, sans espérance. Mon cœur soupire après elles. Comment est-il possible que des hommes et des femmes chrétiens restent confortablement à la maison et laissent périr des âmes ? Se pourrait-il que la foi n'ait plus le pouvoir de pousser au sacrifice pour l'amour de Celui qui donna Sa vie pour la rédemption du monde ?

Estimerons-nous que nous sommes dégagés de la responsabilité d'obéir au commandement direct : « Allez dans tout le monde, et prêchez l'Évangile à toute créature » ? La parole du Seigneur a-t-elle cessé d'être vraie : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie » ? Oh ! si j'avais mille langues pour proclamer dans chaque pays les richesses de la grâce de Dieu ! Seigneur, suscite des ouvriers, et pousse-les dans Ta moisson !

Mais, malgré toutes les choses intéressantes à découvrir, le voyage commençait à paraître monotone. Il arrivait que certains jours le loch4 marquait une avance de dix kilomètres en vingt-quatre heures. C'était non seulement ennuyeux, mais parfois dangereux.

Jamais, consigne Hudson Taylor dans son journal, un bateau à voiles n'est plus en détresse que lorsque, par calme plat, il est poussé par un fort courant sous-marin dans la direction d'une côte dangereuse. Dans une tempête, le bateau peut jusqu'à un certain point être dirigé, mais quand il n'y a pas de vent, on ne peut rien faire. Le Seigneur doit tout faire...

C'est ce qu'il arriva à proximité de la côte nord de la Nouvelle Guinée. Le samedi soir, le bateau était à cinquante kilomètres environ de la terre, mais, pendant le service du dimanche matin, le capitaine paraissait inquiet. En effet, un courant assez fort entraînait le Dumfries vers des récifs cachés sous l'eau. Tous les efforts pour détourner le bateau ayant été inutiles, le capitaine déclara : Nous avons fait ce que nous pouvions; il ne reste qu'à attendre les événements.

Une pensée me vint à l'esprit et je répondis :

Non, il y a une chose que nous n'avons pas encore faite.

Laquelle ? demanda-t-il.

Nous sommes quatre chrétiens à bord. Retirons-nous dans notre cabine et, d'un commun accord, demandons au Seigneur de nous donner du vent. Il peut nous le donner aussi facilement maintenant qu'au coucher du soleil.

Le capitaine fut d'accord. je parlai aux deux autres chrétiens et nous nous retirâmes pour intercéder.

J'eus un moment de prière très court et je me sentis heureux, avec l'assurance de voir notre requête exaucée, au point que je ne pus pas continuer de demander et revins très vite sur le pont. Le premier officier, qui ne croyait pas en Dieu, était de quart. je m'approchai et lui demandai de faire descendre la grande voile que l'on avait carguée.

À quoi bon ! me répondit-il durement.

Je lui dis que nous avions prié Dieu de nous accorder du vent, qu'il allait souffler, et qu'étant si près de l'écueil il n'y avait pas une minute à perdre.

Avec un juron et un air de dédain, il me répondit qu'il aimerait mieux sentir le vent que d'en entendre parler.

Mais tandis qu'il bougonnait, j'observais son regard qui se dirigeait vers le cacatois; sans aucun doute, le sommet de la plus haute voile commençait à frissonner sous la brise.

Ne voyez-vous pas que le vent arrive ? Regardez le cacatois ! m'écriai-je.

Ce n'est qu'un coup de vent ! répliqua-t-il.

Coup de vent ou non, repris-je, je vous en prie, faites descendre la voile et profitons-en !

Il ne se fit plus prier. L'instant d'après, la lourde manœuvre des hommes sur le pont fit sortir le capitaine de sa cabine. La brise était venue. Quelques instants plus tard, nous fendions l'eau à dix ou douze kilomètres à l'heure.

C'est ainsi qu'avant mon arrivée en Chine, Dieu m'encouragea à Lui présenter par la prière mes besoins les plus variés et à croire qu'Il ferait honneur au nom du Seigneur Jésus et donnerait chaque fois le secours que demanderaient les circonstances.


1 Le départ d'Hudson Taylor pour la Chine fut mentionné dans Le Gleaner par le simple avis que voici :

« Vendredi 9 septembre, une réunion a eu lieu à 7 heures du soir dans les locaux de la Chinese Evangelisation Society pour recommander à la protection et à la bénédiction de Dieu M. James Hudson Taylor, qui part pour la Chine comme missionnaire. M. James Hudson Taylor s'est embarqué sur le Dumfries, capitaine A. Morris, pour Shanghaï. Le bateau a quitté Liverpool le 19 septembre. »

Il est intéressant de relever que le même jour partirent pour la Chine M. J.-L. Nevius (de l'American Presbyterian Mission) avec sa jeune épouse. Ils quittèrent Boston dans un petit navire qui pouvait à peine tenir la mer et arrivèrent à Shanghaï trois semaines plus tard qu'Hudson Taylor, après un voyage éprouvant par le Cap Horn. Ces missionnaires devinrent des amis dévoués d'Hudson Taylor.

Mais le 19 septembre est mémorable surtout parce que ce jour-là, la Société Biblique Britannique et Étrangère prit la résolution d'imprimer dans le plus bref délai un million d'exemplaires du Nouveau Testament chinois.

2 Hudson Taylor devait écrire plus tard : « Une chose me troubla beaucoup durant cette nuit. J'étais un tout jeune chrétien, et n'avais pas une foi suffisante en Dieu pour Le voir dans et au travers de l'emploi des moyens. J'avais senti qu'il était de mon devoir de me conformer au désir de ma bien-aimée et vénérée mère et de me procurer, à cause d'elle, une ceinture de sauvetage. Mais dans mon for intérieur je sentis un, empêchement à me confier tout simplement en Dieu aussi longtemps que j'aurais cette ceinture. Et mon cœur n'eut pas de repos jusqu'à ce que, cette nuit-là, après que tout espoir de salut se fût évanoui, je l'eusse mise de côté. je réalisai alors une paix parfaite et, chose étrange, je fis un paquet avec plusieurs objets légers, dans l'idée qu'il flotterait si le navire venait à être brisé, et cela sans penser être inconséquent et sans avoir de scrupules.

Plus tard, je vis clairement la faute que j'avais commise. C'est une erreur qui est fréquente ces temps-ci où des enseignements tronqués sur la guérison par la foi font tant de mal, interprétant maladroitement les plans de Dieu, ébranlant la foi des autres, et troublant l'âme de beaucoup. L'emploi des moyens mis à notre disposition ne doit pas diminuer notre foi en Dieu, et notre foi en Dieu ne doit pas nous empêcher d'user de tous les moyens qu'Il nous a donnés pour l'accomplissement de Ses propres desseins.

Pendant nombre d'années après cette expérience, j'ai toujours pris une ceinture de sauvetage et n'ai jamais été troublé à ce propos. En effet, lorsque la tempête fut passée, cette question fut réglée pour moi par la lecture de la Parole de Dieu faite avec prière. Dieu me donna alors de voir mon erreur, probablement pour me délivrer des perplexités dans les problèmes de ce genre qui sont si fréquemment soulevés aujourd'hui. Quand je soigne des malades je ne néglige jamais de demander à Dieu de me diriger et de me bénir dans l'emploi des moyens appropriés, et je n'oublie pas de Le remercier de l'exaucement et de la restauration de santé. Mais il me semble présomptueux et mauvais de négliger l'emploi des ressources que Lui-même à mises à notre portée, comme de négliger de prendre de la nourriture chaque jour et de penser que la vie et la santé peuvent être maintenues uniquement par la prière. » (Extrait du Retrospect d'Hudson Taylor.)

3 Ils passèrent au large du Cap de Bonne-Espérance au début de décembre et, peu après Noël, commencèrent à se diriger vers le Nord, après avoir parcouru 24'000 km depuis Liverpool. Le 5 janvier, ils atteignirent le point le plus proche de l'Australie occidentale, distante de 200 km environ. De cet endroit, ils firent un trajet dangereux au milieu des Indes néerlandaises pour atteindre l'Océan Pacifique et la Mer de Chine. Ils jetèrent l'ancre enfin à Woosung, à l'embouchure de la rivière de Shanghaï, le 1er mars 1854.

4 Loch : instrument servant à mesurer la vitesse d'un navire.

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