Hudson Taylor

HUITIÈME PARTIE
En avant sur les grandes eaux
1866-1868

CHAPITRE 50
Oh ! si Tu voulais me bénir !
1866-1867

À la faveur de la nuit, toute la compagnie était entrée à Hangchow sans attirer l'attention publique, et s'était établie chez M. Kreyer. Mais cet abri n'était que provisoire. M. Kreyer allait revenir et la nécessité de trouver une maison à soi était toujours aussi urgente. Comment découvrir dans la grande ville, encore meurtrie par la révolte des Taï-ping, un logement assez spacieux pour eux tous et pour l'œuvre qu'ils espéraient accomplir ? Cependant Dieu, une fois de plus, allait montrer qu'Il marchait devant Ses messagers pour les conduire vers « un lieu de repos ».

Hudson Taylor découvrit un vaste bâtiment, jadis résidence d'un mandarin, aujourd'hui tombant en ruines et envahi par la végétation. La situation était excellente, dans un coin tranquille, près des murailles de la ville en même temps que des rues commerçantes. La maison avait deux étages, et un rez-de-chaussée où l'on pouvait aménager une salle de réception, une chapelle, un dispensaire, une imprimerie, une salle à manger et le logement des domestiques.

Le propriétaire demandait un prix très supérieur à celui qu'Hudson Taylor était disposé à offrir et il espérait, en prolongeant les négociations, parvenir à ses fins. Le dimanche arriva et suspendit naturellement les tractations. Le propriétaire, ne comprenant pas cet arrêt, crut que d'autres propositions étaient faites d'un autre côté. Aussi, craignant de voir un marché avantageux lui échapper, vint-il le lundi matin de bonne heure faire des offres beaucoup plus modérées, qui furent immédiatement acceptées. Le bail fut dûment conclu et signé et. à l'aube du mercredi 28 novembre, jour du retour de M. Kreyer, la petite troupe se dirigeait à travers les rues silencieuses de la ville encore endormie vers la demeure où elle allait enfin trouver un peu de repos après six mois de voyage et d'agitation.

Le plan d'Hudson Taylor était de faire aussi peu de bruit que possible jusqu'à ce que ses jeunes compagnons fussent assez maîtres de la langue pour commencer leur travail. On espérait qu'alors la population se serait habituée à la présence d'étrangers paisibles et que l'établissement dans la capitale faciliterait l'accès de villes moins importantes.

Car déjà l'on pensait à étendre le champ d'activité. Hudson Taylor, dès le premier dimanche, se rendit dans une cité voisine nommée Siaoshan. MM. Meadows et Crombie étaient venus de Ningpo pour offrir leurs services, et il fut heureux de bénéficier de leur aide. Ils trouvèrent un accueil si favorable dans cette ville, où ils passèrent deux journées, qu'ils louèrent une petite maison en vue d'y établir un des nouveaux venus aussi vite que possible.

Avec joie il annonça à M. Berger que les communications entre l'intérieur du pays et les villes de la côte s'étaient considérablement améliorées. On pouvait maintenant envoyer par la poste indigène des lettres et même de l'argent. Le service n'était pas rapide, mais il était suffisamment sûr.

En attendant, le travail ne manquait pas. Le nettoyage de la maison exigeait de vigoureux efforts ; il fallait enlever de véritables couches d'ordures des étages supérieurs, qui étaient cependant propres en comparaison du rez-de-chaussée.

Il fait froid dans notre demeure, écrivait-il, le 4 décembre. Nous n'avons pas de plafonds et les vitres sont rares. Le mur de ma propre chambre présente une brèche de deux mètres sur trois ; nous la fermons avec un drap, ce qui donne à tous les vents un libre passage. Mais nous ne faisons guère attention à ces petites misères. Autour de nous sont de pauvres païens enténébrés ; des villes et des villages innombrables sans aucun missionnaire et sans aucun moyen de grâce. Je plaindrais ceux qui pourraient les oublier et les laisser périr, par crainte de manquer d'un peu de confort.

Assainie peu à peu, la maison n'en conservait pas moins son caractère chinois. On avait laissé à Shanghaï les couteaux et les fourchettes, ainsi que la vaisselle et les ustensiles de cuisine, pour se contenter des bols et des bâtonnets des indigènes. Il y avait dans la salle de réception des chaises et des tables destinées aux visiteurs ; mais nos amis, pour eux-mêmes, utilisaient le plus simple mobilier du pays : tables faites de planches montées sur des tréteaux, bancs de bois et lits consistant en de simples cadres de bois garnis de fibres de cacaoyer. Pour les repas, un menu qui ne pouvait choquer les regards curieux des voisins. C'est probablement ce qui désarma leurs préjugés et favorisa un contact amical avec eux. « Ces gens sont comme nous », disaient-ils ; « ils mangent notre riz, ils portent nos vêtements et nous comprenons leur langage ».

Et peu à peu les voisins, attirés l'un après l'autre par les cantiques, venaient assister aux prières faites en chinois. La première semaine n'était pas encore écoulée qu'une femme manifestait un sérieux intérêt pour l'Évangile. Mlle Faulding, qui avait fait de notables progrès dans la langue, la visita ainsi que quelques autres dont les récits, circulant au dehors, rassurèrent leurs parents et leurs amis.

Cette femme cessa bientôt de brûler de l'encens devant les idoles et commença à prier Dieu.

Tous nos voisins, écrit Mlle Faulding, sont occupés à fabriquer, avec du papier argenté, une sorte de monnaie que l'on envoie aux parents décédés, en la brûlant sur leur tombeau. Cela donne lieu ici à un grand commerce. Pendant que je leur fais la lecture, tous ces gens, hommes et femmes, fument leur pipe, ce qui m'ôte parfois la respiration. Je me garde bien de leur faire aucune observation à ce sujet. Ils me posent toutes sortes de questions sur nous-mêmes et d'autres du genre de celles-ci : « Où faut-il aller pour adorer Dieu ? » Hier nous eûmes un auditoire de dix personnes, amenées par la femme désignée ci-dessus, outre nos domestiques.

L'œuvre commencée marcha si bien qu'avant Noël il y avait cinquante ou soixante personnes au service du dimanche. C'était amusant de voir un homme caresser son gros chien pendant la prédication, une femme raccommoder un soulier d'homme et une autre peigner son enfant avec ses doigts effilés.

L'attention des auditeurs et les remarques intéressantes qu'ils faisaient souvent furent pour les missionnaires un précieux encouragement.

Un soldat dit, après avoir lu un Évangile et le livre des Actes : « Quelle différence entre Judas et Paul ! Le premier, un disciple qui trahit son maître ; le second, un persécuteur qui devient le plus dévoué de ses serviteurs ! »

Un prêtre bouddhiste, ayant entendu Hudson Taylor prêcher dans un carrefour, réjouit l'évangéliste Tsiu en venant chaque jour lui poser des questions pleines de bon sens. Un homme cria un jour, dans la rue, à M. Sell : « Je viendrai demain adorer le vrai Dieu. »

Lorsque vint le Nouvel-An chinois, au début de février 1867, de nouvelles et précieuses occasions d'évangéliser furent données aux missionnaires. Un dispensaire fut ouvert, pour commencer l'œuvre médicale qui devait rendre si célèbre la ville de Hangchow. Pour trouver un médecin, il fallait alors aller jusqu'à Ningpo ou à Shanghaï. Aussi, bien que déjà accablé de travail, Hudson Taylor ne put rester indifférent aux appels des multitudes de malades qui venaient à lui de toutes parts.

Comme j'eus aimé que quelqu'un de nos amis d'Angleterre fût présent aujourd'hui à notre culte, écrivait Mlle Faulding. Nous eûmes au moins deux cents auditeurs, aussi attentifs que chez nous, et la Vérité leur fut annoncé, avec puissance. L'après-midi, beaucoup durent s'en aller, faute de place. Je crois que nous serons obligés d'avoir une plus grande salle. Une femme, qui avait entendu parler de nous par une de ses voisines, avait fait cinq kilomètres pour assister au service. Plusieurs ont cessé d'offrir de l'encens aux idoles et nous demandent de les baptiser. L'œuvre médicale nous aide beaucoup et je ne saurais dire quel tressaillement de joie nous saisit en voyant tant de païens écouter l'Évangile, que M. Taylor leur annonce avec une clarté, une force et une variété d'excellentes illustrations qui étonneraient si l'on ne savait que beaucoup d'amis prient pour lui et pour son œuvre. Il vient chaque jour plus de deux cents malades. De petits commerçants étalent leurs marchandises près de notre porte, dans l'espoir de trouver là plus de clients qu'ailleurs. Des chaises à porteurs se tiennent prêtes aussi à emporter ceux qui ne peuvent Marcher. L'évangéliste Tsiu passe la plus grande partie de son temps à parler avec les malades et M. Taylor prononce généralement une allocution. Plusieurs cherchent sérieusement la Vérité.

Les premiers renforts arrivèrent d'Angleterre, le 23 février. Ils trouvèrent Hudson Taylor debout sur une table prêchant à une foule de malades réunis dans la cour. Il était si occupé qu'il put tout juste leur crier un mot de bienvenue à leur entrée dans la maison sous la conduite de M. Meadows. Parmi eux, se trouvait John McCarthy qui devint son principal collaborateur dans l'œuvre médicale. Le don d'ubiquité eut été nécessaire à Hudson Taylor car, alors qu'il projetait de visiter les principales villes de la province pour choisir les endroits propices à l'établissement d'une station, on le réclamait à Ningpo et à Shaohing, la station de M. Stevenson. Avec cela, il était si calme, s'appuyant sur Dieu et s'oubliant pour autrui, que c'était une bénédiction pour ses jeunes collègues d'être les témoins de sa vie. « Aimable, aimant, plein de sollicitude pour tous excepté pour lui-même, une force et un réconfort pour tous ceux avec lesquels il entrait en contact... un exemple constant de ce que doit être un missionnaire. »

Les rapides succès et le développement de la Mission étaient, cela va sans dire, un sujet de grande joie pour M. Berger et les amis d'Angleterre. La tâche de M. et de Mme Berger était presque aussi absorbante que celle d'Hudson Taylor. Déjà d'un certain âge, ce devait être pour eux une fatigue constante d'avoir leur paisible demeure transformée en centre missionnaire. Bureaux pour la Mission, magasin rempli de caisses et de paquets, table ouverte pour les candidats missionnaires et leurs amis, rédaction et expédition de la Feuille occasionnelle, correspondance considérable, tenue des livres, envois d'argent, négociations pour le départ de nouveaux ouvriers, préparation de leurs cabines, voyages d'adieux aux différents ports, soit de jour, soit de nuit, tout cela, ils le faisaient avec de vrais cœurs de père et de mère. Un secrétaire dévoué se trouva en la personne de M. Aveline.

M. Aveline et moi, écrivait M. Berger, avons à peine une demi-heure de détente par jour. C'est trop peu pour notre santé. Mais nous sommes très heureux, et notre travail nous procure beaucoup de joie.

Comment, au milieu de tant de travaux et de préoccupations, M. Berger trouvait-il le temps d'écrire à Hudson Taylor avec une surprenante régularité ? Pas un courrier sans doute ne partait pour la Chine sans emporter une de ces lettres écrites dans les jours de joie comme dans les heures de tristesse et qui, conservées avec soin et renfermées dans une couverture de cuir composent un volume qui est un vrai trésor de sagesse, d'encouragements et d'affectueux conseils.

Il n'y avait pas, en effet, que des satisfactions à Saint-Hill, pas plus qu'à Hangchow. Quelques-uns des compagnons d'Hudson Taylor furent pour lui une source d'ennuis déjà pendant le voyage. À leur arrivée en Chine, ils écrivirent à leurs familles des lettres pleines de critiques et de plaintes, contraste frappant avec les récits enthousiastes de la plupart de leurs collègues. Ces mécontents n'étaient point disposés à se faire à tout en adoptant le costume et la manière de vivre des Chinois. Leurs plaintes, de plus en plus amères, affligèrent M. Berger et trouvèrent un écho chez plusieurs, surtout lorsqu'on vit un missionnaire en faire la base d'une opposition décidée à l'œuvre d'Hudson Taylor. Ce missionnaire, qui exerçait une grande influence, fut si fortement prévenu contre la Mission à l'Intérieur de la Chine et son chef, qu'il ne prit pas la peine de contrôler par une enquête impartiale ce qui était dit contre l'une et l'autre. Il lança inconsidérément dans le public anglais des accusations violentes contre l'ouvrier, qu'il déclarait impropre à sa tâche, et contre l'œuvre dont il critiquait les méthodes.

Ces accusations tombèrent comme un coup de foudre sur les amis de Saint-Hill. Hudson Taylor avait toujours évité de mentionner dans ses lettres ces sujets pénibles, et avait résolu de chercher à triompher de ces difficultés par la prière et la patience, en évitant autant que possible de nuire aux récalcitrants. Mme Taylor y avait fait quelque allusion en écrivant à Mme Berger, mais elle avait dû céder aux instances de son mari désireux d'éviter des plaintes directes contre ses détracteurs.

Satan nous crible comme on crible le blé, et cela n'a rien d'étonnant... mais je dois me taire et obéir au précepte  : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » Je crois pourtant pouvoir dire que nous sommes, pour le moment, chassés de Siaoshan.

En dépit des recommandations d'Hudson Taylor, les missionnaires en question étaient revenus au costume et aux habitudes d'Angleterre, ce qui leur procura de sérieux désagréments dans cette ville de l'intérieur. Le mandarin, qui les avait laisses tranquilles jusque-là, résolut de les chasser. Le soir du 28 janvier, il envahit leur maison avec ses soldats et ses subordonnés, et leur enjoignit de partir avant le jour. Pour les effrayer, il fit saisir l'évangéliste Tsiu et le fit battre cruellement de six cents coups d'une lanière de cuir sur le dos et de cent coups sur le visage. Tout meurtri et brisé, Tsiu revint comme il le put à la capitale, bientôt suivi du personnel de la Mission, qui fut reçu à Hangchow jusqu'à ce que l'affaire pût être réglée.

Hudson Taylor fit tous ses efforts pour convaincre les missionnaires ainsi expulsés des causes de leur infortune. Ce fut en vain. Les mécontents portaient toujours ouvertement le costume anglais, n'assistaient pas aux réunions et essayaient même de fomenter parmi leurs collègues la résistance à l'autorité et aux arrangements de leur chef. Ils étaient malheureusement poussés dans cette voie par le missionnaire mentionné plus haut, qui partait en congé pour l'Europe et qui, persuadé de la réalité des griefs formulés, estima de son devoir de discréditer les nouvelles méthodes de la Mission à l'Intérieur de la Chine auprès de ceux qui la soutenaient.

Il se peut que quelque faute ou des imprudences commises aient fourni le prétexte à ces plaintes. Un homme de trente-quatre ans n'a pas l'expérience d'un vieillard et tous les collaborateurs d'Hudson Taylor étaient encore plus jeunes que lui. Comme le disait Spurgeon : « L'homme qui ne fait jamais aucune faute est celui qui ne fait jamais rien. » Mais comment ne pas voir qu'ils étaient tous des hommes entièrement consacrés à Dieu, souhaitant du plus profond de leur cœur de marcher devant Sa face et de Lui être agréables ? Des conseils donnés dans un esprit fraternel eussent été les bienvenus et eussent pu empêcher plus d'un faux pas ; mais en agissant comme le fit le missionnaire en question, il s'en fallut de peu qu'il ne détruisit l'œuvre de fond en comble.

M. Berger mit naturellement Hudson Taylor au courant de tout ce qui se passait, et lui écrivit des lettres d'une affection et d'une sagesse vraiment touchantes.

Mon instante prière, disait-il, est que ma lettre ne vous émeuve pas plus que le Seigneur ne voudrait que vous en soyez ému. Puisse-t-Il nous donner à l'un et à l'autre l'esprit de sagesse qui nous fera faire exactement ce qui Lui plaira... Les difficultés ici sont nombreuses et grandes, mais celles que vous rencontrez là-bas sont de vraies montagnes. Mon cher frère, malgré tout ce que M. X... a écrit, vous occupez toujours dans nos cœurs la même place... Tout ce que Dieu nous demande, c'est de renoncer à tout ce qui est faux ou mauvais et d'augmenter toujours notre capital de sagesse et d'amour. Oh ! oui, confions tout cela au Seigneur, qui sait que nous faisons toujours de notre mieux. Il est plein de miséricorde et ne nous abandonnera jamais au jour de l'épreuve.

Si nous n'étions pas assurés que Dieu nous a donné Lui-même cette œuvre à faire, il y aurait de quoi se demander si nous devons la continuer ; mais étant sûrs que nous avons répondu à Son appel, nous pouvons Le supplier de nous donner le secours nécessaire.

Examinons-nous solennellement devant Dieu pour voir en quoi nous pouvons nous être trompés, et fortifions-nous en Lui... Ma prière ardente est que vous puissiez confier à Dieu entièrement toute cette affaire. Je suis sûr qu'Il interviendra en notre faveur au moment convenable.

Le total des dons de l'année s'éleva à deux mille huit cents livres sterling, ce qui fut considéré comme une preuve évidente de la bienveillance de Dieu et de Sa volonté que les missionnaires allassent de l'avant avec prudence et dans un esprit de prière. D'ailleurs les accusations portées par M. X. n'eurent pas d'autre écho. Dieu ne pouvait manquer d'intervenir pour rendre justice à Ses serviteurs calomniés en faisant un jour éclater la vérité.

Il est à regretter que les lettres d'Hudson Taylor relatives à cette affaire n'aient pas été conservées. On peut juger de l'esprit qui dût les animer par les messages de Mme Taylor à M. Berger, dont beaucoup subsistent encore. Cinq jours après la naissance de la petite fille attendue, elle écrivait de son lit :

J'entendais tout à l'heure mon bien-aimé mari et quelques autres jouer et chanter plusieurs de nos hymnes de prédilection. Cela me faisait penser aux beaux moments que nous avons passés dans votre chère maison de Saint-Hill, et j'aurais presque souhaité revenir à ces temps heureux ; mais le soldat qui est sur le champ de bataille, quoique étroitement pressé ou blessé, ne doit pas songer à sa sécurité ou à son repos. C'est plus tard que nous arriverons dans le pays où l'on ne souffre plus et où l'on ne pleure plus.

Oh ! priez pour nous, bien-aimée sœur, pour que le Seigneur nous accorde la grâce de la persévérance en ce temps-ci. Nous sommes venus attaquer Satan dans sa plus redoutable forteresse. Il n'est pas étonnant qu'il emploie contre nous toutes ses armes. Quelle folie serait la nôtre, si nous étions venus ici avec notre propre force ! Mais Celui qui est pour nous est plus grand que ceux qui sont contre nous. — Nous serions tentés d'adresser à Dieu bien des Pourquoi... Pourquoi a-t-il permis que M. X... vînt ici ? Peut-être pour nous pousser à établir notre Mission sur une bonne base dès le début. Dieu peut, dans Sa sage providence, réduire à néant tous les efforts de notre grand adversaire pour déshonorer et nous et notre œuvre.

Et, pendant ce temps, des âmes étaient sauvées et Dieu exauçait la prière que les passagers du Lammermuir avaient faite au début de l'année : « Oh ! si tu me bénissais et si tu étendais mes limites ; si ta main était avec moi et si tu me préservais du mal, en sorte que je ne sois pas dans la souffrance ! » I Chron. 4 : 10. Avant la fin de mars, il y avait douze candidats au baptême. Une réunion hebdomadaire pour ceux qui s'y intéressaient fut instituée, en dépit d'un mouvement populaire hostile et persécuteur qui les mit en danger. Plusieurs des nouveaux convertis donnèrent des preuves manifestes du changement accompli en eux. Les premiers baptêmes eurent lieu en mai, au milieu d'une joie telle que Mme Taylor écrivait :

Peut-être notre Seigneur voit-Il que nous avons besoin de causes de tristesse pour nous empêcher de nous élever par suite des riches bénédictions qu'Il fait reposer sur notre travail.

Pendant ce temps, le malheureux esprit manifesté à Siaoshan sembla prendre de nouvelles forces, et les difficultés de M. Berger en Angleterre atteignirent leur apogée. Ces complications étaient un grand obstacle aux projets de voyage d'Hudson Taylor visant à l'extension de l'œuvre missionnaire. Tout autour d'eux, dans cette seule province côtière du Chekiang, de nombreux millions d'êtres vivaient sans jamais avoir entendu parler du Sauveur. Il n'y avait pas moins de soixante villes qui ne possédaient aucun messager de l'Évangile, étranger ou indigène. Neuf d'entre elles étaient des chefs-lieux de préfectures, dont il se proposait de faire autant de centres d'action.

Deux de ses collaborateurs les plus expérimentés, MM. Meadows et Scott, s'étant déclaré prêts à s'établir dans des localités nouvelles, deux importantes préfectures de l'Est et du Sud, Taichow et Wenchow leur furent assignées. M. Jackson, un des passagers du Lammermuir, s'offrit à accompagner M. Meadows. Leurs autres collègues de Hangchow, dont plusieurs soupiraient après un champ de travail particulier qui leur permettrait de se mêler davantage au peuple et de faire plus de progrès dans la langue, pouvaient s'établir dans le Nord et l'Ouest. Accompagné d'un robuste montagnard écossais, Duncan, Hudson Taylor put, vers la fin d'avril, faire une exploration vers le Nord dans la région du Grand Lac où, en collaboration avec M. William Burns, il avait fait autrefois de mémorables expériences. Il trouva dans la préfecture de Huchow un terrain si bien préparé que, quelques mois plus tard, il conçut le projet d'en faire son quartier général. En attendant, il fit visiter cette ville de temps à autre par quelques-uns de ses compagnons qui, à leur grande joie, découvrirent dans un nouveau converti un précieux auxiliaire pour gagner des âmes.

Dans le large estuaire du fleuve de Hangchow se jette la belle rivière Tsientang qui prend sa source dans les montagnes de l'Ouest de la province. C'est de ce côté qu'Hudson Taylor dirigea ses pas quand, au mois de juin, la fermeture du dispensaire médical lui donna un peu de répit. Duncan, qui se révélait un pionnier remarquable, l'accompagna encore, ainsi que M. McCarthy, l'évangéliste Tsiu et deux chrétiens de Hangchow.

Leur voyage dans un bateau où ils n'avaient pour abri pendant leur sommeil que des nattes de bambou, ne laissa rien à désirer en fait de pittoresque. Leurs compagnons de route, installés autour de petites lampes à la flamme vacillante, mangeaient, fumaient, babillaient et faisaient d'amusantes remarques sur ces étrangers habillés en Chinois. Tôt le matin, le petit groupe missionnaire, réuni à l'avant du bateau, célébrait son culte habituel. Tous les voyageurs écoutaient avec curiosité et intérêt le chant du cantique Une belle patrie, la prière, la lecture d'un fragment de la Bible et les explications qui étaient données.

Utilisant ensuite un bateau plus petit, dont le chargement était plus que complet, ils eurent pour compagnons de voyage un malheureux prisonnier chargé de chaînes, expulsé de la province à la suite d'un meurtre, quelques soldats, cinq ou six courriers de mandarins et des fumeurs d'opium ; tout cela formait un curieux amalgame de têtes et de queues étrangement mêlées pendant leur sommeil.

Au matin, quand ils avaient roulé les nattes qui leur servaient de lits, la célébration de leur culte procurait aux missionnaires l'occasion de nombreux et intéressants entretiens. À la préfecture de Yenchow, a cent soixante kilomètres en amont de Hangchow, il y eut un arrêt de plusieurs jours. M. McCarthy s'y établit avec un des auxiliaires chinois, tandis qu'Hudson Taylor et les autres continuaient leur voyage. Le pays était magnifique, de nombreuses villes, petites et grandes, attestaient l'extrême densité de la population. Duncan fut laissé dans un faubourg de Lanchi où un homme de Ningpo, rencontré dans une maison de thé et heureux de trouver quelqu'un parlant son dialecte, l'aida à se procurer un logement. C'était un pauvre logis ouvert à tous les vents, construit avec des planches et des tréteaux de bambou. Le mobilier consistait en une couverture de voyage, un oreiller, une moustiquaire, et une chaise pour laquelle Duncan avait dépensé prodigalement la somme de six pence ; mais la bonne humeur de ce jeune pionnier de l'Évangile n'était nullement altérée par cette austérité toute spartiate.

Parlant à sa mère de ce voyage et des occasions qu'il avait eues de proclamer la Bonne Nouvelle, Hudson Taylor montrait ses compagnons de route rangés autour de lui dans leur bateau, et tellement captivés par la prédication qu'il devait recommencer plusieurs fois et répondre à beaucoup de questions. Enfin, épuisé de fatigue, il congédiait ses auditeurs, en leur faisant observer qu'il était tard et qu'il fallait aller au lit. Il y avait là de quoi consoler le missionnaire de bien des ennuis.

Il y a plus d'un an, écrivait-il le 30 mai à M. Berger, que nous nous disions adieu sur le pont du Lammermuir. Mais vous et moi pouvons toujours dire, quant au passé : Eben-Ezer ; quant au présent : Jehovanissi (l'Éternel mon étendard), et quant à l'avenir : Jehova-jireh (l'Éternel pourvoira), grâces Lui en soient rendues ! J'ai eu à supporter pendant cette année des fardeaux plus lourds que je n'en avais jamais connus, des responsabilités telles que je n'en avais jamais encourues, et des tristesses en comparaison desquelles toutes mes tristesses passées étaient bien légères. Mais j'ai l'assurance d'avoir appris, dans une faible mesure au moins, à dire : C'est un rempart que notre Dieu, une invincible armure.

J'ai depuis longtemps le sentiment que notre Mission doit passer par un baptême. Peut-être est-il encore à venir et peut-être sera-t-il plus redoutable que nous ne pouvons le prévoir. Mais si Dieu nous fait la grâce de demeurer fidèles, à la fin tout sera bien.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant