Hudson Taylor

DOUZIÈME PARTIE
La marée montante
1881-1887

CHAPITRE 68
Plus que tout ce que vous demanderez
1883-1884

Paris... et Pâques !... Combien peu M. et Mme Taylor eussent pensé que leur longue séparation se terminerait enfin là. Même le jour passé à Cannes fut long pour le voyageur, lorsqu'il sut qui venait à sa rencontre. Avant de quitter la Chine, il avait été vivement impressionné par la lecture de la prophétie de Sophonie et particulièrement par le dernier chapitre et sa magnifique révélation de l'amour de Dieu : « L'Éternel, ton Dieu, est au milieu de toi, comme un héros qui sauve : il fera de toi sa plus grande joie, il gardera le silence dans son amour, il aura pour toi des transports d'allégresse. »

Tout le passage m'avait été en grande bénédiction, disait-il, mais ce ne fut qu'à mon arrivée à Paris que je compris la pleine signification de ces derniers mots. Là, je fus rejoint par ma bien-aimée femme, après une séparation de quinze mois. Tandis que nous étions assis côte à côte dans la voiture et quoique nous eussions tant de choses à nous dire, je ne pouvais que presser sa main en silence ; la joie était trop forte pour s'exprimer. Alors cette pensée me vint à l'esprit : si l'amour humain est un symbole de l'amour divin, quelle doit être la grandeur de celui-ci puisque, de Dieu même, il est écrit qu'« Il garde le silence dans son amour » ? Notre confiance rend possible la manifestation de cet amour. Quel dommage de lui faire obstacle !

Rentré chez lui à la fin de mars, Hudson Taylor pouvait prendre part aux réunions du printemps et de l'été. Il se rendit compte rapidement de la place nouvelle accordée à la Mission dans l'estime du public chrétien. Les huit années de labeur infatigable de M. Broomhall avaient suscité la confiance et gagné des amis. De plus, le succès des pionniers, hommes et femmes, dans l'intérieur du pays, avait été le sujet d'ardentes actions de grâces. En maints endroits l'on désirait apprendre comment l'impossible s'était réalisé ; comment, sans appel de fonds et sans collectes, l'œuvre avait été maintenue et comment, dans les parties les plus reculées de la Chine, de petits groupes de convertis avaient été formés. Des réunions, de tous côtés, réclamèrent bientôt le chef de la Mission, l'homme modeste si plein d'assurance en son Dieu fort !

La correspondance des deux années de son séjour en Angleterre offre à cet égard le plus vif intérêt.

À lui, qui ne l'avait jamais recherchée, était acquise désormais l'affectueuse estime des riches et des pauvres, des jeunes et des vieux.

Si vous n'êtes pas encore mort, disait la charmante lettre d'un enfant de Cambridge, je désire vous envoyer l'argent que j'ai économisé pour aider les petits garçons et les petites filles de Chine à aimer Jésus.

Lord Radstock écrivait du Continent :

Recevez toute mon affection dans le Seigneur ; vous nous êtes d'un grand secours en Angleterre, car vous fortifiez notre foi.

Andrew Bonar transmit cent livres sterling envoyées par un ami presbytérien inconnu « qui pense au pays de Sinim ». Spurgeon lui adressa une invitation à parler au Tabernacle.

De tout cœur, je me joins à vous pour demander soixante-dix nouveaux ouvriers, écrivait M. Berger en envoyant cinq cents livres sterling, mais ne vous arrêtez pas à ce chiffre ! Nous verrons certainement de plus grandes choses que celles-ci, si nous ne cherchons que la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Des lettres de gentilshommes invitaient Hudson Taylor dans leurs châteaux, et de vieilles domestiques, après son départ, envoyaient leurs dons pour la Chine. Par-dessus tout, d'autres messages parlaient de bénédictions reçues au cours des réunions non seulement grâce à ses discours, mais à sa personnalité et à son esprit.

C'était vers l'homme lui-même que nous étions attirés, écrivait l'un de ses nouveaux amis, M. J. J. Luce. Ce qu'il était donnait une force irrésistible à ce qu'il faisait... Il y avait en lui une telle richesse de foi, de connaissance de Dieu et d'expérience chrétienne que l'on ne se sentait qu'un nain, en comparaison.

Je n'oublierai jamais une réunion tenue dans notre salle d'école ; un groupe de jeunes gens l'entouraient tandis qu'il racontait simplement ses années d'études et sa préparation pour l'œuvre à laquelle Dieu l'appelait en Chine. J'étais comme écrasé ; il me semblait que je n'avais jamais renoncé à rien pour Jésus-Christ, que je n'avais jamais appris à me confier en Lui. Il me fallut demander à M. Taylor de s'arrêter : mon mur se brisait. Nous n'étions que douze. Mais trois d'entre nous partirent pour la Chine comme fruit de cette soirée.

Quand M. Taylor commença à parler, écrivit une darne, une paix profonde m'envahit ; je compris un peu ce que signifiait le mot de consécration et, tandis que je m'abandonnais à Dieu, l'espérance, la lumière, la joie pénétrèrent dans mon âme comme un flot que le temps n'a pas tari.

Quand il parlait, disait M. Luce, vous pouviez être assurés qu'il ne faisait aucun appel de fonds. Souvent, je l'ai entendu répéter que son désir était de ne détourner vers la Chine aucune des ressources des autres Sociétés... Au lieu de désirer recevoir quelque chose de vous, il était toujours prêt à vous donner... Son cœur et son esprit étaient remplis de ce désir.

À la Conférence de Salisbury, le chanoine Thwaites fut surtout impressionné par l'humilité d'Hudson Taylor ou plutôt « par la manière dont Dieu le revêtait d'humilité ». Et cependant, il y avait de la puissance dans ses discours, la puissance du Saint-Esprit, « intense, presque redoutable ». À la réunion de louange qui termina la Conférence, aucune allusion ne fut faite à la Mission à l'Intérieur de la Chine et pourtant des vies furent consacrées à la Chine. Bien qu'il n'y eût pas de collecte, des gens vidèrent leurs bourses, se débarrassèrent de leurs bijoux, donnèrent montres, chaînes, bagues, et leur propre vie pour le service de Dieu.

Son temps et ses forces étaient si complètement absorbés par ces réunions qu'il est surprenant qu'il ait pu poursuivre sa correspondance et sa tache de chef de la Mission. Deux volumes manuscrits nous prouvent à cet égard qu'il ne négligeait cependant rien, ni en Chine, ni au pays. L'un de ces volumes contient une liste de lettres échangées avec la Chine, portant la date de réception, celle de la réponse, ainsi qu'un résumé de leur contenu. L'autre volume, rempli de la même façon, concerne la correspondance relative au travail en Angleterre. On peut calculer par ce moyen qu'en dix mois passés en voyages constants, Hudson Taylor avait personnellement reçu et envoyé deux mille six cents lettres, Mme Taylor ayant été souvent, là encore, sa précieuse collaboratrice.

Beaucoup de ses pensées portaient aussi un problème capital, qui était l'objet de ses prières, celui de l'organisation de la Mission et surtout de son organisation indigène. De tous côtés, Hudson Taylor cherchait à se documenter sur les moyens de préparer son développement prochain et, cinq mois après son arrivée en Angleterre, il envoyait à tous les membres de la Mission un message soigneusement préparé pour leur communiquer ses intentions et solliciter leur avis1.

Pendant ce temps, en Chine, les besoins de renfort devenaient plus pressants. Cinq missionnaires seulement avaient été envoyés dans les trois premiers mois de l'année, mais quinze se mirent en route dans les mois suivants et beaucoup de candidats nouveaux entrèrent en rapport avec la Mission.

Nous attendons avec anxiété des nouvelles des soixante-dix, écrivait du Shansi M. Easton. Nous croyons que des frères qualifiés et au cœur chaud pourront nous rejoindre.

De Taiyüan, la capitale de la province voisine, le Dr Schofield adressait l'appel suivant :

Nous prions tous les jours pour les Soixante-dix et j'espère qu'au moins quatre d'entre eux seront pour notre province. À une ou deux journées de voyage sont trois ou quatre villes où nous avons de vieux malades, trois d'entre eux atteints de double cataracte, mais qui peuvent fort bien recouvrer la vue. Quelques-uns sont non seulement reconnaissants, mais bien disposés pour l'Évangile.

Il ne disait pas combien son cœur était oppressé à la pensée de ce grand pays qui attendait, avec ses millions d'habitants ; combien d'heures il dérobait chaque jour au repos pour les consacrer à la prière, demandant à Dieu d'envoyer des ouvriers ; combien, par un travail excessif, il était devenu non seulement le médecin qui faisait des merveilles, en rendant la vue aux aveugles et presque en ressuscitant les morts, mais l'homme porteur de bonne nouvelle, le prédicateur infatigable, au cœur plein d'amour.

Quelques jours après avoir écrit ce message, il mourait de la diphtérie contractée en soignant un malade : il mourut pendant qu'il priait. Les derniers mois de son court ministère de trois ans — les trois plus belles années de sa vie, comme il le disait souvent — avaient été, malgré ses travaux absorbants, hantés par le besoin de la prière. La demande qu'il adressait à Dieu était qu'Il touchât le cœur des étudiants de nos universités et qu'Il suscitât, pour Son œuvre parmi les païens, des hommes instruits et dévoués. Il n'y avait alors aucune fédération d'étudiants chrétiens. Mais, étudiant distingué, ayant obtenu de brillants succès en de nombreux concours, il savait la valeur d'une instruction complète. Il lui fut souvent reproché de sacrifier à la mission un bel avenir ; aussi, il demandait particulièrement pour ses frères les intellectuels l'effusion d'un esprit nouveau plus en harmonie avec Celui qui s'était abaissé Lui-même afin que les hommes qui périssent puissent vivre.

Ce fut le 1er août que le Dr Schofield mourut pour l'œuvre qu'il avait tant aimée, mais les prières de ses derniers mois ne furent point inutiles. Le jour même de sa mort, Hudson Taylor, qui l'ignorait, reçut une lettre d'un jeune officier d'artillerie qui, depuis quelque temps disait-il, songeait à s'offrir pour la Chine. Il demandait une entrevue et signait sa lettre : D. E. Hoste. Il ne se doutait pas que, bien des années plus tard, il remplacerait Hudson Taylor à la tête de la Mission. La lettre de M. Hoste, la venue de Stanley P. Smith, étudiant au Collège de la Trinité, célèbre par ses exploits de rameur, la vocation de ses camarades qui formèrent la fameuse équipe des « sept de Cambridge » et furent le moyen d'un réveil au sein des universités en Angleterre et aux Etats-Unis, tout cela n'était-il pas la réponse de Dieu aux saintes intercessions d'un cœur plein de foi, en communion étroite avec Lui ?

J'ai quelquefois pensé, écrit l'auteur du livre L'Évangélisation du monde, que ces prières étaient la plus grande œuvre de la vie de Schofield et, qu'ayant ainsi prié, il avait achevé ce que Dieu lui demandait avant de lui accorder Son éternelle récompense.

Mais si l'année 1883 fut mémorable, que dire de 1884 et du mouvement dans lequel ces jeunes hommes entrèrent ? Ce fut un flot montant de puissance spirituelle et de bénédictions ; une année d'activité intense pendant laquelle Hudson Taylor sembla remplir la tâche de dix. Une année où la sympathie et les dons affluèrent plus que jamais ; une année de moisson, du point de vue des amis nouveaux et des collaborateurs, et, par-dessus tout, une année d'étroite et constante dépendance de Dieu. Ce fut la dernière des trois années au cours desquelles les soixante-dix devaient être donnés, suivant la mesure de la foi qui les recevrait de la main du Seigneur. Et ils furent donnés, avec une magnificence royale, car la plupart de ceux qui s'embarquèrent à la fin d'octobre furent en surplus. Quarante-six partirent pendant les douze mois et la qualité des ouvriers fut aussi remarquable que leur nombre.

Ici, nous pouvons attirer l'attention sur quelques-unes des influences extérieures qui contribuèrent aux résultats de cette merveilleuse période et de celles qui suivirent. Au premier rang il faut placer la seconde visite de Moody et de Sankey en Grande-Bretagne. Les fondations de la Mission à l'Intérieur de la Chine furent posées, nous l'avons vu, en un temps où la vie spirituelle des Églises avait été admirablement stimulée par le grand réveil de 1859. La première visite de Moody en 1873 avait mis en relief le devoir suprême de gagner des âmes, préparant ainsi la voie à plusieurs mouvements progressifs, y compris l'appel des Dix-huit et l'ouverture de l'intérieur de la Chine. Et maintenant qu'un nouveau stade allait être franchi par l'œuvre missionnaire, le cœur de l'Angleterre chrétienne était remué jusque dans ses profondeurs par une démonstration pratique et irrésistible de la puissance de l'Évangile. Qui dira ce que la mission en terre païenne doit à ces évangélistes consacrés ?

Puis ce fut un simple livre, qui glorifiait Dieu. Publié plusieurs années auparavant, sous ce titre : Les besoins spirituels et les droits de la Chine, il était doué d'une puissance vivifiante. Plusieurs éditions successives s'écoulèrent et toujours la même influence profonde jaillissait de ses pages. Dieu l'avait employé pour appeler à Son service de nombreux ouvriers et, maintenant, soigneusement révisé et augmenté, il allait parcourir une nouvelle carrière dans son attrayante édition de 1884.

Ce livre eut un grand retentissement, écrivait M. Stevenson, qui venait de rentrer de Birmanie... Beaucoup de nouveaux amis furent gagnés à la Mission par son moyen, et les dons arrivèrent sans interruption.

Ce fut un temps de développement remarquable. Partout des occasions magnifiques s'offraient à nous... C'était chose si nouvelle que de pouvoir parler d'une Chine ouverte d'un bout à l'autre, et la grande carte que nous avions toujours avec nous était si éloquente ! Le voyage de McCarthy tout au travers de la Chine suscitait un intérêt exceptionnel. Pour ce qui me concerne, j'avais traversé la Chine de Bhamo à Shanghaï. Personne d'autre n'a semblable histoire à raconter, car aucune mission ne possède des stations dans l'intérieur.

Cependant, ce fut dans la prière que l'œuvre s'accomplit en réalité. Sans bruit, la vie spirituelle était entretenue au cœur de la Mission. Jamais les réunions de prières n'eurent plus de puissance. Quand la petite troupe de Mlle Murray arriva de Glasgow, se rendant en Chine, ce ne fut pas une petite affaire que de recevoir tous ceux qui se réunirent un samedi après-midi. Beaucoup de vieux amis se trouvèrent là, en particulier Reginald Radcliffe, brûlant d'une sainte ardeur. M. McCarthy vint d'Écosse, enthousiasmé par les scènes qu'il avait vues. MM. Hoste et Stanley Smith l'accompagnaient. Mais il n'y eut aucune agitation ; la présence de Dieu était trop réelle et le sentiment des responsabilités trop profond pour cela.

Au milieu de ces circonstances mémorables, M. et Mme Taylor eurent à envisager encore une longue séparation. La répartition de tant de nouveaux ouvriers réclamait la présence du directeur de la Mission en Chine, tandis que sa femme ne pouvait quitter son foyer. Lui-même semblait nécessaire en Angleterre où des portes s'ouvraient de tous côtés ; mais c'était en Chine que devait se livrer le combat et qu'il fallait initier les recrues au service qui les attendait. Aussi, à nouveau, la séparation eut lieu. Hudson Taylor partit dans les dispositions dans lesquelles se trouvait Livingstone lorsqu'il traçait ces mots dans son journal, notant l'un de ses derniers anniversaires solitaires en Afrique :

« Jésus, mon Roi, ma Vie, mon Tout, je me consacre tout entier à Toi. »

Il se préparait à partir avec un groupe de jeunes hommes parmi lesquels étaient MM. Hoste, Stanley Smith et Cassels, quand un revirement inattendu se produisit qui renversa tous ces plans si bien établis.

Dans son Histoire de la Church Missionary Society, M. Eugène Stock parle de « l'extraordinaire intérêt qu'éveilla la nouvelle du départ, pour la mission, du capitaine des Onze et du premier rameur de l'équipe de Cambridge ». Lorsqu'elle parvint à Édimbourg, elle émut profondément un groupe d'étudiants en médecine qui, durant des mois, avaient souffert de l'indifférence de leurs condisciples envers la question religieuse. Une série de réunions à Oxford et à Cambridge venaient de gagner à Hudson Taylor et à ses compagnons les sympathies des étudiants, mais les missionnaires, tout à leurs préparatifs de départ, ne pouvaient suivre ce mouvement. Ce fut alors que, providentiellement, entra en scène Reginald Radcliffe, le fervent évangéliste dont la paroisse était le monde et qui avait soif de voir l'Évangile prêché à toute créature.

Aimant l'Écosse d'un amour particulier, il désirait mettre les missionnaires en contact avec le monde des étudiants et, avec l'assentiment d'Hudson Taylor, il écrivit au professeur Simpson pour lui proposer la visite à Édimbourg de Studd et de Stanley Smith2.

La proposition fut accueillie avec reconnaissance, en un moment où des étudiants en médecine cherchaient à plaider, devant leurs camarades, la cause de Jésus-Christ.

Beaucoup avaient entendu parler de Stanley Smith, écrivait le professeur Charteris et le nom de Studd était familier à quiconque savait quelque chose du criket. Aussi le mot d'ordre fit-il le tour de nos salles de cours : « Allons saluer les athlètes missionnaires ! » Ceux-ci s'adressèrent à un millier d'hommes. Partout Smith eût été remarqué comme orateur — il avait une puissance extraordinaire de pensée, d'imagination et de parole ; d'ailleurs, tout homme, même moins ardent que lui, eût été électrisé par l'auditoire auquel il racontait comment l'amour du Christ l'avait contraint à abandonner tous ses projets d'avenir pour partir au loin, en Chine, prêcher l'Évangile. Studd, lui, n'avait pas les dons d'un orateur, mais jamais, sur le terrain, il n'atteignit mieux son but que dans le viril récit de la manière dont Dieu l'avait conduit, pendant des années, de degré en degré, jusqu'à ce qu'il fût prêt à quitter père et mère, famille et amis, pour l'amour de son Sauveur.

Les étudiants furent bouleversés. Les deux orateurs à l'énergique attitude étaient si heureux, parlaient avec tant de naturel que, lorsqu'ils eurent achevé, des centaines de jeunes gens les entourèrent pour serrer leurs mains, les suivirent jusqu'au train qui devait les conduire à Londres et se tinrent sur le quai, criant, au moment du départ : « Que Dieu vous protège ! »

Ce ne devait pas être tout. Des invitations pressantes à retourner en Écosse affluaient, provenant en particulier des étudiants d'Édimbourg ; elles exprimaient l'espoir qu'Hudson Taylor accompagnerait les nouveaux missionnaires. Il comprit que la main de Dieu était dans ce mouvement. Il avait senti la puissance du Saint-Esprit chez ceux qui l'avaient aidé au cours des réunions, il avait été témoin de l'influence qu'exerçait leur consécration, non seulement sur des étudiants, mais sur des maîtres de la pensée et de la vie chrétienne3. L'occasion était unique et le dessein de Dieu évident d'utiliser ces collaborateurs de choix pour approfondir la vie spirituelle de Son peuple et susciter de nouveaux ouvriers en vue de la moisson.

Hudson Taylor se fût réjoui de rester et d'offrir son concours, mais le devoir l'appelait ailleurs.

Son projet était de partir pour régler des affaires importantes qui le réclamaient à Shanghaï et de laisser M. Radcliffe entreprendre, avec M. Broomhall et d'autres, la campagne qui devait avoir de si grandes conséquences.

Une réunion eut lieu à Exeter Hall, à laquelle assistèrent tous les missionnaires partants.

L'influence d'une telle troupe d'hommes sur le point de partir pour la Chine fut irrésistible. Rien de pareil ne s'était jamais vu et, dans le siècle entier, rien n'avait éveillé, à un si haut degré, dans l'esprit des chrétiens, le sentiment de l'immensité des besoins du monde païen et de la noblesse de la vocation missionnaire4.

Toutefois, ce n'était pas dans des assemblées publiques que ces hommes devaient s'attacher étroitement à leur chef et à la Mission.

Le travail s'accomplissait dans des heures calmes, en particulier dans des moments de prière à la rue de Pyrland, comme ceux du dernier jour de 1884. On ne leur avait pas caché la pauvreté matérielle de la Mission qui avait clos ses comptes avec dix livres sterling en caisse. Dix livres sterling et toutes les promesses de Dieu. Mais qu'était-ce que cela, quand la présence du Seigneur se faisait si fortement sentir ! Hudson Taylor n'avait jamais cherché à dissimuler les difficultés qui attendaient les jeunes missionnaires en Chine.

M. Taylor, dit l'un d'entre eux, lui exposa le vrai caractère de la vie et de l'œuvre en Chine, en lui montrant qu'elle entraînait l'isolement, les privations, la haine des indigènes, le mépris des Européens, ainsi que beaucoup d'épreuves de foi et de patience. M. Hoste, ajouta-t-il — et c'est de lui-même qu'il parlait — s'éloigna, profondément impressionné par le caractère de l'homme avec lequel il s'était entretenu et plus que jamais résolu, dans son cœur, à devenir missionnaire en Chine.

La veille de la nouvelle année, consacrée, dans un tel esprit, à la prière et au jeûne, fut mémorable. Quand Hudson Taylor quitta Londres, trois semaines plus tard, quelques-uns de ses compagnons étaient de nouveau en Écosse où ils disaient avec joie toutes les richesses qu'ils trouvaient dans la communion intime de Christ, richesses si supérieures à tous les avantages terrestres qu'ils abandonnaient. Et, tandis qu'il traversait seul la France, dans une tempête de neige, le voyageur était plein de louanges en son cœur pour les nouvelles reçues, le matin même, de la capitale du Nord : « Deux mille étudiants hier soir, heures merveilleuses ! C'est le Seigneur ! »


1 « Il est important de s'assurer qu'aucune circonstance imprévue ne vienne modifier le caractère de notre Mission ou nous écarter du chemin que Dieu a béni d'une manière si évidente dès le commencement. Mais le système que nous avons en Angleterre, qui consiste à assister le directeur par un comité, pourrait être introduit dans l'œuvre en Chine. Les membres de ce comité pourraient être les surintendants de districts et, à ce dernier titre, ils pourraient être aidés également par un comité local formé de quelques membres de la Mission. En tout ceci, aucun principe nouveau n'est introduit et cependant notre Mission pourra se développer d'une manière indéfinie en maintenant le caractère du début. De cette manière, bien des affaires locales pourront être examinées et réglées sans retard, ce qui ne peut que faciliter le développement de l'œuvre.

Jusqu'à présent, je n'ai pu m'entretenir qu'avec les membres de notre Mission qu'il m'était possible d'atteindre, et cela à des intervalles irréguliers. Mais le projet que je forme maintenant me permettrait, grâce aux surintendants de districts, d'être en contact avec les missionnaires d'expérience et assurerait ainsi une surveillance plus effective de l'ensemble de l'œuvre. »

2 M.M. Hoste, Stanley Smith (rameur dans l'équipe de l'Université de Cambridge deux ans auparavant) et W. W. Cassels (qui devait être plus tard évêque de l'Église d'Angleterre en Chine occidentale), avaient été rejoints par M. C. T. Studd, ancien capitaine de l'équipe de Cambridge. Un peu plus tard, M. Montagu Beauchamp, neveu de Lord Radstock, rameur universitaire également, et M.M. C. P. et A. T. Polhill, célèbres joueurs de cricket d'Eton et de Cambridge, complétèrent le groupe des sept. Une solide équipe, et considérée du point de vue universitaire !

3 La visite de MM. Stanley Smith et Studd à Leicester fit époque dans ma vie, écrivit plus tard F. B. Meyer. jusqu'à ce moment-là, ma vie chrétienne avait été spasmodique et vacillante. Tantôt j'étais débordant d'enthousiasme, et tantôt je me traînais dans la poussière. Je remarquai que ces jeunes gens possédaient quelque chose qui me manquait et qui était en eux une source constante de repos, de force et de joie. Jamais je n'oublierai une certaine scène, un matin de novembre, à sept heures. La lumière commençait à pénétrer dans la chambre à coucher et faisait pâlir la flamme des bougies qui éclairaient depuis longtemps déjà, les pages de la Parole de Dieu. Je n'oublierai jamais ces hommes, penchés sur leur Bible, portant les vieux habits qu'ils mettaient autrefois pour jouer au cricket ou pour ramer. L'entretien que j'eus alors avec eux eut une influence décisive sur ma vie.

4 Le don d'une telle équipe d'hommes à la Mission à l'Intérieur de la Chine, un vrai don de Dieu, écrivait le secrétaire de la Church Missionary Society, était une juste récompense du désintéressement véritable avec lequel M. Hudson Taylor et ses collègues avaient toujours plaidé la cause de la Chine et du monde, et non leur cause propre, et de la profonde spiritualité qui, toujours, caractérisa leurs réunions. Et cette spiritualité se manifesta d'une façon particulièrement sensible à ces immenses assemblées qui, en diverses villes, eurent lieu à l'occasion du départ de ces sept hommes. Ils racontèrent avec humilité, mais avec force, les bontés du Seigneur à leur égard et la joie qu'ils éprouvaient à Le servir. Et ils firent appel aux jeunes, non pour leur propre Mission, mais pour le Divin Maître.

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