Histoire de la Théologie Protestante

1.3. Les Églises réformées en dehors de l’Allemagne

L’observateur le plus superficiel ne peut s’empêcher de constater le rapprochement sensible, qui s’est accompli entre les diverses Églises nées du mouvement du seizième siècle, à la suite de la grande révolution spirituelle et morale, qui, dans le cours du dix-huitième siècle, ébranla si profondément les esprits, d’abord en Angleterre, ensuite en Allemagne. Le même phénomène se reproduit au sein des Églises réformées en dehors de l’Allemagne. Il a commencé dans le sein des Églises de la Suisse réformée allemande, dont les théologiens prennent, à partir de 1750, une attitude de plus en plus conciliante à l’égard de l’Église luthérienne. Nous en avons la preuve dans les traités dogmatiques de J.-C. Stapfer et Wyttenbach. La prédestination calviniste cesse pour la plupart d’être un article de foi ; la philosophie de Leibnitz, de Wolff et de Kant trouve des disciples parmi les théologiens réformés, bien qu’ils soient presque tous demeurés fidèles au supranaturalisme biblique.

[Le fait est sensible chez Endemann de Hanau (Institutiones theologiæ dogmaticæ, 2 vol., 1777). S. Mursinna, de Halle (Compendium theologise dogmaticæ. Hal., 1777), et Stosch, de Francfort (Introductio in theologiam dogmaticam, et Institutiones theologiæ dogmaticæ, 1779. Muntinghe de Harderwijk dans sa Pars theologiæ christianæ theoretica, 2 vol., 1800, et Heringa d’Utrecht déploient le même esprit de conciliation sur le terrain du supranaturalisme biblique. Stapfer, Grundlegung zur wahren Religion. Zurich, 1746-53. Wyttenbach de Berne, professeur à Marbourg : Tentamen theologiæ dogmaticæ methodo scientifica pertractatæ, 3 vol. Berne, 1741. Compendium theologiæ dogmaticæ et moralis. Francof., 1745. De même Bernsau (Theologia dogmatica methodo scientifica pertractata, P. 1. Hal., 1745. P. II, Lugd., 1747, 4°. Il fut plus tard appelé à Franeker ; il professait les opinions de Wolff. La polémique de Stapfer (5 vol., 1744) et de Wyttenbach (2 vol., 1763) envisage la doctrine luthérienne comme conforme à la doctrine réformée sur les points essentiels. Stapfer, Wyttenbach et Endemana ont également traité la morale.]

A partir de 1750, les lignes de démarcation entre la théologie luthérienne et la théologie réformée sont déjà tellement effacées, qu’il est bien difficile de les distinguer l’une de l’autre, surtout en Allemagne. Le même fait réjouissant se reproduit dans les relations affectueuses, qui s’établissent entre les Églises d’Allemagne, d’Angleterre et de Hollande.

On ne saurait assigner exclusivement cet affaiblissement des luttes et des rivalités confessionnelles aux progrès de l’indifférence et aux terribles orages spirituels et politiques, que la société fut appelée à traverser dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. On voit les théologiens les plus sages et les hommes, dont la piété est la plus vivante, affirmer, sous l’influence d’une foi active et sérieuse et avec une netteté toujours plus grande, la nécessité de distinguer entre la religion des confessions de foi et la foi de la théologie, et de ne pas assigner à tous les dogmes une importance égale, sous peine de fausser le principe même de la vérité. Aussi vit-on, à partir de 1750, les deux grandes Églises évangéliques se rapprocher et se soutenir réciproquement. V. Haller, Euler, Lavater et Hess ont exercé une influence aussi profonde et aussi bénie sur l’Allemagne que sur la Suisse, et ont continué l’œuvre commencée par l’école des poètes zurichois Breitinger et Gessner.

Par contre, le génie de Herder a trouvé en Suisse des admirateurs nombreux et fervents. Nous voyons s’établir au commencement de ce siècle un échange de relations intimes et sérieuses entre le Wurtemberg et Bâle, sans que les divergences des formules symboliques viennent y arrêter l’essor de la foi jointe à la charité. L’action exercée par la société chrétienne, que S. Urlsperger avait fondée, fut continuée dans le même esprit et sous l’influence puissante du réveil de 1820. La société des missions de Bâle, soutenue par le Wurtemberg, succéda à la société de Halle, trop étroitement dépendante de l’Angleterre et du Danemark, et dont le zèle commençait d’ailleurs à languir, et imprima à l’œuvre des missions parmi les païens et les juifs le double caractère de l’esprit apostolique et d’un devoir national.

L’Angleterre donna, vers la même époque, une vive impulsion à l’œuvre des sociétés bibliques, appelées à servir de base au principe matériel de la Réforme et à la piété personnelle et d’expérience, remise en honneur par les hommes du réveil. Cette œuvre nouvelle, bien qu’issue d’une Église réformée, trouva en Allemagne un accueil d’autant plus favorable, que la théologie luthérienne portait elle-même à cette époque l’empreinte d’un supranaturalisme biblique prononcé, qui se distinguait à peine sur quelques points de détail des tendances positives de l’Église réformée. De nos jours, par contre, la théologie évangélique allemande exerce sur toutes les Églises étrangères une influence d’autant plus marquée, que le mouvement scientifique s’y est à peu près arrêté depuis 1750, et qu’elles n’en sont que plus exposées à subir, au bout de quelques années, le contrecoup de chacune des évolutions nouvelles de la pensée germanique.

[La plupart des grands ouvrages historiques, dogmatiques et historiques de la théologie allemande (Dorner, Hase, Hengstenberg, Gieseler, Neander, Schaff, Hofmann, Lange, Ebrard, Tholuck, Millier, Hagenbach, Delitzsch, Keil, Kurz, etc.) ont été traduits et publiés dans Clarks foreign theological library. L’influence de l’Allemagne, qui s’est fait sentir d’abord aux États-Unis, s’est étendue ensuite de l’Angleterre à l’Écosse et à l’Irlande. A mesure que les tendances négatives de la théologie allemande ont pénétré en Angleterre, les théologiens anglais ont compris la nécessité d’étudier les ouvrages évangéliques, par lesquels ces tendances avaient été combattues et réfutées.]

Ce rapprochement, accompli entre les Églises de la Réforme par le réveil religieux, n’est pas le seul fait commun à relever ici. Nous les voyons toutes, à mesure que la vie religieuse renaît parmi leurs membres, relever le drapeau des vieilles confessions de foi, pour assurer au réveil plus de solidité et de durée, et lui donner en même temps une véritable base historique et ecclésiastique. Le réveil ne pénétra pas également toutes les classes de la société et tous les membres de l’Église, et fut accompagné chez ses plus fervents disciples d’une absence complète de discernement critique, de préparation scientifique, d’intelligence de la situation et d’impatience fiévreuse, qui leur fit adopter sans réserves tous les vieux errements du culte, de la discipline, des formules dogmatiques, et jusqu’au double décret de prédestination. Le désir de reconstituer une Église évangélique vraiment libre et vivante l’emporta sur le tact historique, et l’on se sépara de ses frères, avant de s’être donné le temps de les gagner à sa cause. Il en résulta des discussions et même des schismes, entre les meilleurs amis de l’Église sur la meilleure méthode à employer pour régénérer et pour relever l’Église.

Nous voyons cette double tendance donner naissance aux schismes des Églises de France et de Genève, du canton de Vaud et d’Écosse, aussi bien qu’aux violentes discussions, qui déchirèrent les Églises d’Angleterre et de Hollande. On doit constater dès à présent le fait que, dans les Églises protestantes que nous venons de nommer, et en dehors de l’Angleterre, les hommes qui avaient le plus de droits à se considérer comme la partie vivante de l’Église, ont cédé à leur impatience et ont donné naissance au sein de leurs Églises respectives à des schismes, qui ne pouvaient que paralyser les progrès de la vie religieuse, et apporter dans les esprits un trouble à jamais regrettable. Remarquons toutefois, pour être juste, qu’une large part de responsabilité retombe sur l’endurcissement et sur la langueur spirituelle de l’autre partie de l’Église. Ces erreurs ont révélé les dangers de l’absence d’une science théologique sérieuse, qui aurait été appelée à jeter une vive lumière sur les questions controversées, à prévenir les résolutions précipitées, et surtout à répandre dans les esprits des idées plus saines et plus réfléchies, qui auraient pu réveiller les âmes engourdies et contribuer au rapprochement des esprits.

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