Contre les hérésies

LIVRE PREMIER

CHAPITRE II

Parmi tous les Æons, un seul, Unigenitus, autrement encore appelé Nus, engendré par le Propator, peut le connaître, le voir, le comprendre.

Seul donc Nus se délectait dans la contemplation de l’incommensurable grandeur du Propator, et il méditait de communiquer, de révéler au reste des Æons toute la plénitude, cette grandeur qui était sans commencement, qui n’était visible ni à l’œil, ni à l’esprit. Pour complaire au père, Sigé l’arrêta, voulant les amener à les connaître ; les autres Æons brûlaient du désir secret de contempler leur producteur, celui qui, sans avoir jamais commencé, leur avait donné naissance : à ce désir se laissa emporter plus passionnément Sophia, le dernier et le plus jeune des douze Æons nés d’Anthropos et d’Ecclesia : une passion s’empara de lui, passion adultère dont Thélétus son époux n’était point l’objet. Cette passion, qui d’abord avait troublé les Æons nés de Nus et d’Aletheia, finit par s’emparer de Sophia, Æon dépravé, plus coupable de témérité que d’amour, quoique l’amour en eût été le prétexte. Père parfait, il était jaloux de n’avoir pas été admis, comme Nus, à contempler la perfection du Père : cette passion n’était donc autre chose qu’un désir violent de connaître le Père. Sophia voulut, comme le disent les valentiniens, avoir la compréhension de la grandeur du Père, chose impossible, dont l’inutile entreprise le précipita dans une épouvantable crise : d’une part, la grandeur profonde et l’incompréhensibilité du Père le tourmentaient ; de l’autre, c’était l’extension toujours croissante et toujours plus extrême d’un amour dont la douceur l’eût infailliblement absorbé en l’identifiant à l’essence du Propator, s’il n’eût trouvé un appui hors de cette grandeur inénarrable, dans cette puissance pour qui tout s’affermit et tout se conserve ; cette puissance, ils la nomment Horos. Horos donc vint sauver Sophia, il lui servit de soutien jusqu’au jour où, revenu enfin à lui-même, et reconnaissant l’incompréhensibilité du Père, il renonça à l’effort coupable, à la passion funeste où l’avait précipité l’ardeur d’une indicible admiration.

Voici maintenant une autre version sur la passion et le retour de Sophia ; un grand nombre de valentiniens l’ont adoptée : ceux-ci disent que de cet effort incompréhensible et irréalisable, sortit une substance sans forme, de même sexe que celui qui l’avait engendrée : à peine Sophia s’en fut-il aperçu, qu’affligé du fruit imparfait de sa maternité, il trembla que tel qu’il existait, ce fruit ne fût encore incomplet ; puis dans son imprévoyante anxiété, il rechercha la cause ignorée de son malheur et la raison qui l’empêchait de la découvrir. Las enfin du misérable état où l’avaient plongé longtemps l’affliction et la crainte, il tâcha de remonter vers le Père ; mais la force lui manqua, et il implora son aide : à ces supplications vinrent s’unir celles de tous les autres Æons, et plus particulièrement de Nus. C’est de là, suivant les valentiniens, c’est-à-dire de l’ignorance, de l’affliction, de l’ennui, de la perplexité et de la stupeur, qu’avait procédé toute l’essence primitive de la matière. Alors, seulement par le ministère de l’Unigenitus, le Père, sans compagne, et résumant en soi les deux sexes, produisit à son image Horos, dont nous venons de parler ; ainsi, le Père est tantôt marié à Sigé, tantôt il résume en soi les deux sexes. Quant à Horos, il prend les noms de Stauros, de Lithroté, de Carpisté, de Slorothète et de Methagogée ; ils en font le sauveur et le défenseur de Sophia ; c’est par lui que l’Æon disgracié rentre dans le Plerum et retrouve son époux, affranchi désormais de toute inclination vicieuse et de toute passion dépravée. Horos, suivant eux, en arrachant à Sophia sa passion et son amour, le crucifia, laissant en dehors du Plerum une essence toute spirituelle comme le mouvement physique dans l’agitation ; mais les valentiniens ne lui donnent ni forme ni apparence, incapable qu’elle est d’en revêtir aucune. C’est pour cela, disent-ils, que la production de Sophia fut incomplète, efféminée et sans vigueur. Ce nouvel être une fois exilé du Plerum des Æons, Sophia sa mère, une fois revenue aux bras de son époux, Unigenitus cédant à l’impulsion providentielle de son Père, voulut produire encore, pour les offrir au Père, le Christ et l’Esprit saint ; c’est par là qu’il compléta le nombre des Æons ; son but était d’empêcher parmi eux de semblables passions, de semblables écarts. Le Plerum se trouva ainsi renforcé. Le Christ leur donna la connaissance du mariage ; car auparavant ils pouvaient se suffire à eux-mêmes par la compréhension de l’incréé. Seul il pouvait leur rendre son père percevable, compréhensible, visible à l’œil et à l’ouïe ; il le fit, il enseigna aux autres Æons que la principale raison de leur essence éternelle résidait dans l’incompréhensibilité du Père, et que dans la manifestation de la seule partie compréhensible de son être, qui était son fils, résidait la cause de leur origine et de leur formation. Telle fut auprès d’eux la mission du nouveau Christ.

Ils apprirent de l’Esprit saint, qui les rendit tous égaux, l’action de grâce et le repos parfait. Ainsi, formes et sentiments étant détenus unanimes et semblables, parmi les Æons, tous devinrent pensées, tous devinrent Verbes, tous devinrent hommes et Christs ; et les Æons, femelles à leur tour, devinrent toutes Vérité, Vie, Esprit et Église. Arrivés enfin à ce point universel de solide et de parfaite union, leur joie devint un hymne à la louange du Propator, qui en ressentit une vive allégresse. Alors, encore en reconnaissance de ce bienfait, toutes les volontés, toutes les pensées, tous les efforts des Æons se résolvant en un effort unanime auquel s’allièrent à la fois les volontés, les pensées, les efforts du Christ et de l’Esprit, et l’approbation du Père, les Æons mirent en commun la partie de leur être la plus belle et la plus parfaite ; de ce mélange bien fait et bien préparé ne tarda pas à naître, pour honorer et glorifier Bythus, une beauté parfaite, l’astre du Plerum la plus accomplie des productions, Jésus, connu sous le nom de Sauveur et de Christ, et encore sous le nom patronique de Logos, sous celui de Tout, parce que tous avaient contribué à le produire ; enfin, pour l’honorer eux-mêmes, ils l’entourèrent, ils lui donnèrent pour gardes des anges de la même nature que lui, nés tous en même temps.

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