Contre les hérésies

LIVRE PREMIER

CHAPITRE XXVII

Cerdon et Marcion.

Cerdon, l’un des adeptes de Simon, vint à Rome, sous Iginus, le neuvième évêque dans la succession apostolique ; il enseigna que le Dieu révélé par les prophètes n’était pas le père de notre Seigneur Jésus-Christ. L’un s’était révélé, l’autre restait ignoré ; l’un était juste, et l’autre bon.

Marcion lui succéda, développa sa doctrine, vomit les blasphèmes les plus audacieux contre le Dieu annoncé par les Écritures et par les prophètes ; il le traita de malfaiteur, de fauteur de troubles, l’accusa de se contredire dans ses desseins. Jésus, dit-il, envoyé par le Dieu créateur du monde, son père, s’arrêta en Judée, au temps de Ponce-Pilate, gouverneur au nom de Tibère César ; il s’y arrêta sous la forme humaine : on put le voir en Judée, prêcher contre les prophéties et contre l’ancienne loi, et combattre l’œuvre du Dieu qui a fait le monde, que Marcion appelle encore Cosmocrator. Cet hérésiarque se plaît à mutiler l’évangile selon saint Luc, et surtout ce qui est relatif à la généalogie de Jésus-Christ, altère les paroles où le Seigneur se dit le Fils du Créateur universel ; il se donne pour être lui-même plus véridique que les apôtres qui nous ont transmis l’Évangile, qu’il donne par lambeaux à ses disciples. Il ne traite pas plus respectueusement les épîtres de saint Paul, dont il retranche tout ce qui établit manifestement la divinité de notre Seigneur, le Fils de ce Dieu qui a fait le monde, et tout ce que l’apôtre rapporte des prophéties qui annonçaient l’avénement du Fils de Dieu.

Point de salut hors des doctrines de Marcion, point de participation à l’immortalité pour les corps, puisque le corps est fait avec le limon de la terre. Voici encore une de ses fables blasphématrices, une de celles que sa bouche infernale se plaisait à répandre, pour insulter à la vérité :

Caïn, et tous ceux qui lui ressemblent, les Sodomites, les Égyptiens, toutes les nations enfin qui se sont souillées de crimes, auraient été sauvées par le Seigneur, au moment de sa descente aux enfers, lorsqu’elles vinrent à sa rencontre. Elles ont part maintenant à son royaume. Abel, Énoch, Noé, et tous les justes, tous les patriarches, avant et après Abraham ; tous les prophètes, tous ceux qui ont été agréables à Dieu, n’ont point été admis à la participation du salut prêché par celui que Marcion déteste. Comme ils n’ignoraient pas que leur Dieu les éprouvait sans cesse et que l’arrivée de Jésus était peut-être une nouvelle épreuve, ils ne vinrent pas à lui et ne crurent point à sa prédication ; aussi l’enfer les retint-il dans son sein ténébreux. Nul imposteur n’a osé altérer, mutiler avec tant d’impudence la parole sainte, s’attaquer à Dieu d’une manière plus audacieuse ; nous le réfuterons ailleurs, avec l’aide de Dieu, lui opposant ses propres écrits, et les paroles du Seigneur et des apôtres dont il se sert pour donner quelque vraisemblance à sa coupable doctrine.

Nous en avons parlé ici, c’était une nécessité, afin de vous faire connaître que tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, souillent et faussent la vérité, altèrent l’enseignement de l’Église, sont tous les disciples et les continuateurs de Simon le magicien. Si, pour séduire, ils n’invoquent pas le nom de leur maître, ils emploient du moins ses pensées. Ils se servent du nom de Jésus comme d’un moyen pour faire passer plus facilement l’impiété de Simon : le nom le plus saint sert ainsi d’auxiliaire à la plus dangereuse des erreurs ; il leur faut la douceur et la gloire de ce nom sacré pour déguiser l’amertume de leurs poisons, que distille par eux le serpent de l’apostasie.

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