Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE III

L’idée du Bythus et du Plerum des valentiniens, ainsi que du Dieu de Marcion, répugne naturellement à l’esprit. Celui qui a fait le monde est celui que notre esprit conçoit ; il est absurde de vouloir faire naître ce Dieu souverain de l’ignorance ou du péché.

Ainsi, nos adversaires ne peuvent s’entendre entre eux sur le Créateur : pour les uns, c’est le Bythus ; pour les autres, le Plerum ; et pour Marcion, c’est un autre dieu particulier, connu sous le nom du dieu de Marcion. Mais il est vrai que tous reconnaissent qu’il y a, en dehors de leur dieu, quelque chose que les uns appellent le vide, et les autres les ténèbres ; mais ce vide et ces ténèbres sont encore plus absurdes que leur Plerum. N’est-il pas, en effet, contradictoire de dire que celui qui contient en lui toutes choses a été créé par quelque autre puissance ? et dans cette hypothèse, il faudra bien supposer un vide, un chaos quelconque, au milieu duquel aurait été créé le Dieu universel. Mais ce vide, ce chaos, ont-ils été laissés par le Créateur souverain en dehors de lui, même volontairement ou seulement par ignorance de sa part ? Si c’est par ignorance, ce Dieu ne possédait donc pas la science parfaite. Mais d’ailleurs, comment nous expliqueront-ils la cause de cette longue inertie dans laquelle serait resté leur Dieu pendant un si long espace de temps ? Et quand même il aurait eu la prescience et la vision intellectuelle d’un état futur de la nature, cet état futur ne serait-il pas toujours l’œuvre d’un autre, qui aurait placé en lui, dès le commencement, cette puissance de création ?

Qu’ils cessent donc d’attribuer la création à un autre Dieu que celui que nous adorons : c’est lui à qui il a suffi de vouloir, pour qu’une chose fût. Et d’ailleurs nous ne pouvons comprendre comment il eût été possible que l’œuvre de la création eût été produite par un autre que par celui qui en avait conçu la pensée ; mais nos adversaires mettent en avant une singulière distinction : Dieu, disent-ils, a voulu dans sa pensée que le monde fût éternel, ou qu’il n’eût qu’une durée limitée. Cette distinction n’est pas soutenable. En effet, si la pensée de Dieu avait voulu que le monde fût éternel, soit pour les choses invisibles et les choses visibles qui le composent, le monde eût été tel et conforme à la pensée de Dieu. Mais, au contraire, s’il est tel que nous le voyons, c’est une preuve que Dieu a voulu qu’il fût ainsi fait. Et puisque la puissance du Verbe a fait ce monde changeant et passager, cela nous prouve que le monde avait été ainsi conçu dans la prescience du Père. Or, s’il a été créé conforme en tout à la conception du Père, c’est une preuve que l’œuvre a été digne de lui et qu’il l’a en tout point approuvée. Mais venir dire ensuite que l’œuvre conçue dans la pensée de Dieu le père, et exécutée ensuite conformément à cette pensée divine, ne serait cependant en résultat que le produit de l’ignorance et de l’imperfection, c’est un énorme blasphème. À en croire ceux qui le prononcent, la pensée du Dieu souverain de toutes choses ne serait donc capable de produire que l’ignorance, l’erreur et l’imperfection ; car il faut que ce qu’il conçoit se fasse tel qu’il l’a conçu.

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