Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE VI

Il ne se peut pas que les anges et le créateur du monde n’aient pas connu le Dieu suprême.

Nous le demandons : comment se pourrait-il que les anges et ce créateur, qu’on suppose avoir formé le monde, n’eussent pas connu le Dieu souverain, puisqu’ils ont dû être naturellement sous sa dépendance ; qu’ils étaient ses créatures, et étaient contenus en lui ? Nous concevons qu’il pouvait demeurer invisible pour eux, à cause de son immensité ; mais sa providence ne pouvait leur rester inconnue. Quoiqu’ils fussent séparés par d’immenses distances, comme le disent nos adversaires, de cet être suprême, cependant ils étaient sous son empire, et on ne peut supposer qu’ils aient ignoré ce maître souverain qui les avait créés. Sa toute-puissance, tout invisible qu’elle soit, donne à tous les êtres un sentiment profond de son infinité et de son empire sur la nature. C’est dans ce sens que l’Évangile nous dit : « Nul ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils l’aura révélé. » Mais tous les hommes, par l’effet d’une révélation naturelle, ont le sentiment de la toute-puissance unique de Dieu.

C’est ce sentiment universel qui fait que toutes choses sont sous la puissance et l’invocation du Très-Haut. Aussi voyons-nous, par l’histoire, que même avant l’avènement de notre Seigneur sur la terre, les hommes trouvaient un refuge contre les embuches de l’esprit de ténèbres et contre la puissance de l’enfer, dans l’invocation seule de ce nom redoutable : non pas que les hommes et les démons pussent voir Dieu, mais parce qu’ils avaient le sentiment de sa puissance, de sa suprématie sur tous les êtres ; au nom de qui toute créature tremble, et de qui dépend toute force, toute puissance et toute vertu. Croit-on, par comparaison, que tous ceux qui sont sujets de l’empire romain aient besoin d’avoir vu le prince régnant, et dont ils sont souvent séparés par des mers et des montagnes, pour le connaître et pour savoir qu’il règne sur eux ? Comment donc supposer que les anges, qui étaient d’une nature supérieure à la nôtre, ne connussent pas le Dieu suprême, lorsque les animaux, qui sont privés de la parole et de l’intelligence, tremblent au seul bruit de son nom ? Sans avoir vu le Verbe, ils sont sujets du Verbe, et du Dieu tout-puissant qui a créé le monde et qui leur a donné leur nom. Aussi les Juifs, aujourd’hui encore, conjurent-ils les démons, par l’invocation du Très-Haut, redouté de toutes les créatures.

Si donc nos adversaires ne veulent pas supporter cette proposition absurde, d’après laquelle il faudrait dire que les anges étaient plus stupides que les animaux qui sont privés de raison, il faut qu’il reconnaissent avec nous que les anges ont dû nécessairement connaître celui qui était leur auteur et qui était le Dieu souverain. Et, en effet, si les hommes qui habitent sur la terre avouent qu’ils connaissent Dieu, quoiqu’ils ne l’aient jamais vu, comment admettre que les anges, qui habitent les régions supérieures, ne connaissent pas ce maître du monde, dont ils sont plus rapprochés ? Autrement, il faudrait supposer que leur Bythus habite le séjour du Tartare, au-dessous de la terre ; et, de cette manière, les habitants de la terre en seraient plus près que les habitants des cieux ; et par là, plus à portée de le connaître. Voilà donc nos adversaires forcés d’être absurdes pour soutenir leurs systèmes, et forcés d’accuser de folie l’auteur souverain du monde. N’est-ce pas pitié de les entendre dire que ni la mère Achamoth, ni sa progéniture, ni les Æons du Plerum, ni le Propator, n’ont soupçonné l’existence du souverain Créateur, et ne savaient pas qui pouvait les avoir créés ; que toutes les choses créées ne sont que des images de ce qui est dans le Plerum, et que le Sauveur a procédé au moyen de Demiurgos à la création universelle, en cachette et à la dérobée, pour la plus grande gloire du Dieu suprême.

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