Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE X

Insigne fausseté des hérétiques dans leur manière d’expliquer l’Écriture. – Que Dieu a tiré toutes choses du néant, sans aucune préexistence de la matière.

C’est agir d’une manière toute contraire aux inspirations de la raison, que d’aller chercher Dieu où il n’est pas, et ne pas vouloir le voir où il est, et de supposer un autre Dieu supérieur à lui, qui n’existe pas, et qui n’a jamais été soupçonné par personne. Ceux qui proclament aujourd’hui cette divinité inconnue avouent eux-mêmes que personne n’en avait jamais parlé avant eux. Il n’est pas moins évident qu’ils donnent aux passages des Écritures qu’ils invoquent une explication forcée et un sens détourné, afin d’y trouver quelque chose qui ait rapport à ce Dieu chimérique qui est de leur invention. Leur dessein était, en fabriquant un Dieu de leur façon, de faire considérer les Écritures comme remplies d’absurdités (dans tous les cas elles ne présentent rien de douteux en ce qui regarde le vrai Dieu) ; ce sont des gens qui cherchent des difficultés là où il n’en existe pas, et qui veulent résoudre une grande question par une question minime. Faisons remarquer à cet égard que nulle question ne peut jamais trouver sa solution dans des rapports qui lui sont tout à fait étrangers ; qu’aux yeux des gens raisonnables, les ambiguïtés ne s’éclaircissent pas par d’autres ambiguïtés ; que les énigmes ne résolvent pas les énigmes ; mais que les choses obscures s’éclaircissent par les rapports qu’elles ont avec des choses évidentes, lorsqu’on a soin de découvrir ces rapports.

Tout en ayant l’air de vouloir expliquer les Écritures et le sens parabolique qui s’y rencontre, les gnostiques soulèvent une question grave et en même temps pleine d’impiété ; nous disons une question, si toutefois c’en est une de savoir s’il y a un autre Dieu que celui que nous connaissons. Quoi qu’il en soit, ils mettent en avant de nouvelles questions qu’ils ne résolvent pas (et à quoi bon !) ; ils se contentent de soulever une grande question à propos d’une petite, et de rendre ainsi impossible une solution quelconque. Par exemple, en parlant du Christ, ils croiront étaler leur savoir, en disant qu’il a reçu le baptême de saint Jean à l’âge de trente ans, et ce sera pour parler avec mépris de celui qui l’a envoyé sur la terre : ou pour faire croire qu’ils connaissent l’origine de la matière, ils nieront que Dieu ait pu, par sa volonté et par sa puissance, tirer toutes choses du néant, et ils débiteront mille phrases vides de sens à cette occasion. En cela se dévoile toute leur apostasie ; ne voulant pas croire à ce qui est, ils en viennent à croire à ce qui n’est pas.

Comment entendre, sans sourire de pitié, l’histoire de celle qu’ils nomment la mère Achamoth ; celle dont les larmes ont formé les substances liquides, dont le sourire a créé la lumière, dont la tristesse a créé les corps solides, et dont la crainte a créé le mouvement ? Comment imaginer qu’ils sont tout fiers de pareilles inventions ? Eux qui ne connaissent pas les bornes de la puissance de Dieu, qui ignorent les lois de la matière, refusent de reconnaître Dieu pour le créateur du monde ; et il ne leur répugne pas de reconnaître, pour l’auteur de toutes les créations, cette mère Achamoth, espèce d’hermaphrodite, qui aurait ainsi, au moyen des divers mouvements qu’elle éprouvait, donné à la matière toutes les propriétés qu’elle possède ! Ils demandent où le souverain créateur a trouvé le secret de toutes ses créations ; et ils ne s’inquiètent pas de savoir comment les larmes, ou les sueurs, ou les tristesses d’Achamoth, auraient été capables d’avoir un résultat aussi inouï que celui de la création de la matière !

Si nous écoutons la voix de la raison, elle nous dit qu’il est naturel d’attribuer à la toute puissance et à la volonté de Dieu l’origine et l’essence même des choses qu’il a créées ; aussi l’Évangile nous apprend-il « que ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » L’homme, il est vrai, ne peut rien faire sans une matière préexistante ; mais c’est une raison pour croire que Dieu, qui est beaucoup plus puissant que l’homme, a pu trouver et créer la matière avec laquelle il a produit ses créations. Mais dire que la matière a été produite par l’enthymèse d’un Æon errant dans le vide ; que cet Æon s’est ensuite séparé de son enthymèse par une grande distance, et qu’ainsi ses sentiments se seraient trouvés dès lors distincts de la matière, c’est dire des folies, des choses incroyables, et que repousse le sens commun.

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