Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XV

Les hérétiques ne donnent aucune raison des créations successives de leurs Æons.

Revenons un moment aux questions relatives à la création des Æons, et que nos adversaires nous disent d’abord pourquoi les créations des Æons avaient été faites dans l’ordre tel qu’ils le disent ; et comment ils se trouvent indépendants du reste de la création ; car ils veulent que la création ait été faite pour eux, bien qu’ils aient été créés pour l’ornement de la création ; en sorte que les Æons ne seraient point les symboles des choses créées, mais les choses créées seraient les symboles des Æons. Et en effet, nos adversaires croient-ils avoir donné une explication suffisante de ces symboles en disant que le mois a trente jours à cause des trente Æons ; que le jour est divisé en douze heures, l’année en douze mois, à cause des douze Æons qui habitent au centre du Plerum ! Ce sont là de vains mots. Mais qu’ils nous disent donc la raison pour laquelle les Æons ont été créés dans un tel ordre ? pourquoi cette création a été faite ainsi et non autrement ; pourquoi les premières créations des êtres supérieurs ont eu lieu au nombre de huit plutôt qu’au nombre de cinq, de trois ou de sept, ou de tout autre nombre ? Pourquoi les Æons provenus de Logos et de Zoé sont au nombre de dix plutôt que de tout autre nombre ; pourquoi ceux provenus d’Anthropos et d’Ecclesia sont au nombre de douze, ni plus ni moins ?

Nous leur demanderons aussi la raison de ce mode de division de tout le Plerum : pourquoi en font-ils trois divisions, l’une de huit parties, la seconde de dix, et la troisième de douze ? Quelle est la raison de ces nombres, et pourquoi cette division elle-même est-elle triple, au lieu d’être quadruple, ou quintuple, ou sextuple, ou de toute autre collection de nombres ? Nous leur ferons grâce d’une autre question, qui serait celle de savoir comment ces nombres dont ils se servent, et qui s’appliquent d’ordinaire aux choses créées, coïncident avec les nombres divins, seuls en rapport avec l’idée de ces êtres supérieurs : (car les nombres divins devant être préexistants aux nombres créés, comment ceux-ci enchaîneraient-ils ceux-là), en les assujettissant à leurs propres progressions.

Quant à nous, nous ne craignons pas de dire que la manière dont nous expliquons la création est parfaitement en rapport avec cette création même. Bien différents des hérétiques, qui, ne voulant pas reconnaître quelque chose d’incréé et de parfait par lui-même, sont obligés de se jeter dans d’effroyables contradictions. Leur demande-t-on quelques explications au sujet du Plerum, qui est le séjour de leurs dieux, ils vous répondent par des considérations purement en rapport avec les choses humaines ; ils vous parleront sans cesse des créatures au lieu du créateur, nous entretenant mal-à-propos des effets. Quand nous les interrogeons sur les causes, ils nous répondent sur autre chose que sur quoi nous les questionnons. Mais ils ne peuvent nous dire pourquoi le Plerum, dont les choses créées ne sont que les images, est octiforme, déciforme et duodéciforme, plutôt que de toute autre proportion ; en avouant leur ignorance sur ce point, ils accusent leur Dieu en même temps d’imprévoyance, d’ignorance et de maladresse, comme ayant fait les choses sans savoir pourquoi. Peut-être ils nous diront que le Père, dans sa sagesse, a construit le Plerum dans l’intérêt des choses créées, et afin qu’il leur servît comme de mesure, de règle et de proportion. Mais, dans cette hypothèse, il n’aurait pas créé le Plerum pour lui-même, mais pour qu’il servît de type à la créature, qui n’en serait plus elle-même que l’image ; à peu près, comme si l’on disait qu’une statue que l’on fait n’a pas pour but de représenter un objet, mais qu’elle a pour fin et pour but l’airain, l’or ou l’argent qui doit servir à sa forme. D’où il faudrait conclure que les créatures inférieures auraient plus de valeur que le Plerum, puisque le Plerum aurait été fait pour elles et à cause d’elles.

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