Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XXIII

Combien sont fausses et chimériques les inductions que les hérétiques prétendent tirer des nombres, des lettres et des syllabes.

Nos adversaires laissent voir à nu toute la pauvreté de leurs systèmes dans les vains et stériles efforts qu’ils font pour tirer des inductions en faveur de leurs théories, tantôt des nombres, tantôt des syllabes dont se composent certains noms, tantôt des lettres qui forment certaines syllabes, tantôt encore des chiffres représentés par les lettres de l’alphabet, suivant le système des Grecs. Ainsi, leur science se trouve convaincue de fausseté, d’inconstance et de contradiction. Et, en effet, ils transportent dans la langue grecque le nom de Jésus, pour y trouver les chiffres fournis par les lettres qui le composent ; tantôt ils veulent que ce mot ait six lettres, et tantôt ils veulent qu’il contienne le nombre total des ogdoades, qui est de huit cent quatre-vingt-huit. Quant à ce même nom, qui est en grec Sôter, c’est-à-dire Sauveur, comme il ne va plus à leurs calculs, ils n’en disent mot. Il faut qu’ils reconnaissent que si, dans les vues providentielles du Créateur, les noms qui expriment des puissances devaient, par les nombres qu’ils représentent et par les lettres dont ils sont composés, être le symbole de nombres semblables dans le Plerum, le nom de Sôter, dans la langue grecque, devrait, comme celui de Jésus, en hébreu, être le signe de quelque mystère d’en haut : ce qu’ils ne peuvent soutenir, puisque le nom en grec n’a que cinq lettres, et que le nombre du Plerum mystérieux est de quatorze cent huit. Ainsi, ils ne peuvent donc, avec les nombres, rendre compte de rien de ce qui est relatif à l’Æon qui aurait souffert.

Le nom de Jésus, en hébreu, se compose, selon les érudits, de deux lettres et demie, et signifie le Seigneur, qui contient le ciel et la terre ; Jésus, dans la langue primitive des Hébreux, signifiait le ciel, et le mot User signifiait la terre : le nom de Jésus signifie donc à la fois ces deux choses. Ainsi l’explication de nos adversaires est fausse de tous points, et leur calcul de nombre ne signifie rien. Car le même nom qui dans le grec donne cinq lettres n’en donne que deux et demie en hébreu. Ainsi s’évanouit leur calcul du nombre des ogdoades, qui est de huit cent quatre-vingt-huit. Enfin, les supputations des lettres de l’hébreu ne concordent en aucune façon avec le système des chiffres grecs ; et cependant les supputations, pour être justes, devraient être établies d’abord sur l’alphabet hébreu, à raison de sa plus grande antiquité. En effet, les lettres et les mots consacrés pour signifier Dieu, dans la langue hébraïque primitive, n’ont jamais varié, malgré les changements survenus dans la langue elle-même : ces lettres représentent le nombre de quinze et s’écrivent par ce même nombre de quinze. Parmi ces lettres, quelques-unes s’écrivent de suite de gauche à droite, comme le grec, et quelques autres au contraire de droite à gauche. Ainsi, d’après ce qu’on nous dit, il est évident que le Christ, par cela même qu’il a été créé pour achever et perfectionner le Plerum, devait offrir, dans le nombre fourni par son nom, celui de tous les Æons du Plerum ; par la même raison, le Père devait avoir dans le sien le nombre de tous les Æons qu’il a produits. Il devrait en être de même de Bythus ; de même d’Unigenitus, et il devrait en être de même à plus forte raison du Dieu souverain être, dont le nom Baruch, en hébreu, a deux lettres et demie. Ainsi nous avons démontré que tout leur système de prétendue concordance des nombres est vain et chimérique, tant sous le rapport des deux idiomes, hébreu et grec, que sous le rapport des nombres signifiés par les lettres.

Il faut ajouter que ces hérétiques sont à la recherche de ce qui, dans l’ancien Testament, pourrait offrir un appui apparent, ou quelque vraisemblance à leurs systèmes. Il ne faut pas douter que s’ils eussent pu découvrir dans l’Écriture quelque figure propre à être adaptée à leur mère Achamoth, ou à leur Sauveur, ils ne s’en fussent audacieusement emparés, sans respect pour ce qu’il y a de plus saint : ils n’eussent pas manqué de chercher dans les proportions de la construction de l’arche d’alliance des concordances de nombres qui pourraient leur être favorables. On sait que l’arche devait avoir en longueur deux coudées et demie, une coudée et demie en largeur, et également une coudée et demie en hauteur. Or, aucun de ces nombres de coudées ne peut offrir aucun rapport avec leur système, relativement à la coïncidence des nombres ; c’était là cependant qu’ils devaient démontrer que se trouvait les symboles de leur Plerum. Les proportions du propitiatoire ne peuvent pas davantage se prêter à leurs supputations. Il en est de même de la table de proposition, longue de deux coudées, large d’une coudée, et haute d’une coudée et demie : il n’y a rien là qui puisse concorder, soit avec leur quaternation ou leur octonation, ou avec quelque autre combinaison du Plerum. Il en est de même quant au chandelier qui devait avoir six branches et sept lampes ; et quant aux sept lampes, il aurait fallu que ce nombre de branches du chandelier et des lampes eût été de huit, afin de pouvoir correspondre avec leur première octonation, qui, à les entendre, remplit de sa splendeur le Plerum tout entier. Ils ont compté minutieusement le nombre des draperies du tabernacle, disant que ce nombre est de dix, pour le faire correspondre à leurs dix principaux Æons ; mais ils n’ont pas dit que ce nombre de draperies est de onze, d’après l’Exode ; mais ils n’ont pas dit combien de coudées de longueur doivent avoir ces draperies, laquelle longueur est de vingt-huit. Ils ont donné gratuitement dix coudées de hauteur aux colonnes du tabernacle, pour correspondre à leur décade d’Æons, ce qui n’est nullement conforme à l’Exode ; mais ils ne parlent ni du nombre de ces colonnes, ni de leurs angles, parce que cela ne va pas à leur système. Ils passent également sous silence l’huile pour les onctions. Qui sait ! peut-être pendant que la mère Achamoth était endormie, Demiurgos a-t-il caché tout cela au Salvator, pour s’en réserver à lui seul le secret. Ainsi, ni les cinq cents sicles de myrrhe, dont il est parlé, ni les deux cent cinquante sicles de cinnamome et de roseau aromatique, et toutes les préparations pour faire l’huile sainte, rien ne cadre avec leur système des nombres. Il faut en dire autant des aromates, du staclé, de l’onyx, du galbanum odoriférant, et de l’encens le plus pur, dont il est également parlé dans le chapitre xxx de l’Exode. C’est donc agir tout à fait contre le sens commun et contre la raison, dès lors que ne trouvant pas à établir des rapports de nombres dans les passages fondamentaux des Écritures, ils vont cherchant à faire des rapprochements au sujet de quelques passages sans importance : chacun, de cette manière, pourrait, suivant le caprice de son imagination, et par des rapprochements purement arbitraires, y voir les types de l’octonation, de la décade et de la duodécade des Æons ; et même y trouver, en outre, toute espèce d’autres nombres.

Mais il y a plus, le nombre cinq, le nombre sacré par excellence, le nombre typique, se trouve sans application à leur système, et n’a aucune coïncidence avec les nombres du Plerum ; ce qui met de plus en plus à nu la faiblesse de leurs raisonnements. Or, le nombre cinq se trouve dans Sôter, qui a cinq lettres, ainsi que dans Pater, qui en a un égal nombre : le mot Agape en a aussi cinq. Nous lisons dans l’Évangile que notre Seigneur a béni cinq pains, avec lesquels il a rassasié cinq mille personnes ; les vierges sages sont au nombre de cinq ; et les vierges folles, de même nombre ; on compte également cinq personnages célèbres, qui ont rendu témoignage du Père, en attestant le Fils, ce sont : saint Pierre, saint Jacques, saint Jean, Moïse et Élie ; ils étaient au nombre de cinq, quand il ressuscita la jeune fille dont il est parlé dans l’Évangile, où il est dit : « Et quand il fut entré en la maison, il ne permit à personne d’entrer, sinon à Pierre, à Jacques, à Jean, et au père et à la mère de la fille. » De plus, le riche qui est tombé dans les enfers avait laissé cinq frères sur la terre. On arrivait à la piscine où le Seigneur guérit le paralytique, par cinq portiques. La configuration de la croix offre également cinq parties ou cinq points principaux, savoir : les quatre pointes des deux branches, et le point médial de la branche où le corps du Christ a été cloué. Nous avons cinq doigts à chaque main ; nous avons cinq sens. Les organes de l’intérieur du corps sont aussi au nombre de cinq, le cœur, le foie, les poumons, la rate et les reins. L’homme est encore composé de cinq parties principales, la tête, la poitrine, le ventre, les cuisses, les pieds. La vie de l’homme a cinq âges, la première enfance, la puberté, la jeunesse, la virilité et la vieillesse. Moïse donna la loi au peuple de la part de Dieu, en cinq livres. Chaque table que Moïse rapportait du mont Sinaï contenait cinq commandements. Le sanctuaire qui recouvrait le Saint des saints avait cinq colonnes. L’autel des holocaustes avait cinq coudées de haut. Les personnages qui furent désignés sur la montagne pour exercer le sacerdoce étaient au nombre de cinq, savoir : Aaron, Nadab, Abiu, Éléazar et Ithamar. Ce qui composait l’ornement du grand-prêtre formait cinq parties ; c’étaient l’or, l’hyacinthe, la pourpre, l’écarlate, et le lin : il y a ensuite les cinq rois des Amorrhéens, que l’armée de Josué poursuivait, et qui se cachèrent dans une caverne et dont les têtes furent livrées au peuple. Le nombre de cinq se trouve ainsi reproduit dans une foule d’objets, ainsi que chacun peut s’en convaincre par une étude particulière. Cette prédominance du nombre cinq n’est pas une raison cependant pour que nous le divinisions et que nous en fassions un être au-dessus de Dieu même ; nous ne devons point y poursuivre des rapprochements forcés, afin d’en former un système chimérique, dans lequel on méconnaîtrait les œuvres admirables de Dieu pour rechercher ce qui n’existe pas ; ni enfin mettre en avant des dogmes impies et ridicules dont, avec un peu de bon sens, on découvre tout le néant.

À qui feront-ils croire, par exemple, que l’année a été composée de douze mois, chacun de trente jours, afin de figurer les douze Æons ? En effet, aucun rapport n’existe entre ces choses. Car chaque Æon est la trentième partie du Plerum, tandis que chaque mois est la douzième partie de l’année. Certes, ni l’année ne se divise en trente parties, ni le mois en douze ; cependant il faudrait que la division fût ainsi faite pour être l’image du Plerum. C’est donc sans raison, et contrairement à la réalité, que le Salvator veut que chaque mois soit l’image du Plerum, et l’année, celle de la duodécade. Il aurait bien mieux fait de diviser l’année en trente parties comme le Plerum, et le mois en douze, suivant la répartition des Æons dans le Plerum. D’ailleurs, selon ce qu’on nous dit, le Plerum serait divisé en trois parties principales, qui sont l’octonation, la décade et la duodécade, tandis que l’année se divise en quatre parties, le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Et encore les mois dont ils font la représentation des trente Æons ne se divisent pas exactement en trente parties, puisque les uns ont plus de trente jours et les autres moins, et ensuite on y ajoute cinq jours complémentaires. Tous les jours n’ont pas non plus invariablement douze heures, mais leur longueur varie depuis huit jusqu’à quinze. On toit donc que ni l’année, ni les mois, ni les jours, n’ont été formés, ainsi qu’ils sont, pour être l’image de trente Æons, puisqu’il n’existe aucune concordance de nombres entre les uns et les autres.

Il en est de même de leurs supputations relativement à la droite et à la gauche ; elles ne sont pas mieux fondées, et ne reposent sur rien.

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