Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XXV

Qu’il vaut mieux être ignorant et simple, pourvu qu’on ait l’amour de Dieu, que d’être enflé d’une vaine science. Que l’on doit, dans les matières de religion, s’abstenir de questions inutiles ou qui ne sont propres qu’à satisfaire la curiosité.

Nous disons qu’il vaut beaucoup mieux, dans l’intérêt du salut, être privé de science et d’esprit, et en même temps se rapprocher de Dieu par l’amour, que, tout en ayant la prétention de beaucoup savoir, manquer du respect qu’on doit à Dieu, et outrager son saint nom, en supposant qu’il existe un autre Dieu que lui. C’est ce qui a fait dire à saint Paul : « La science enfle, et la charité édifie. » Il ne veut pas pour cela blâmer la science véritable qui vient de Dieu, car, en parlant ainsi, il s’accuserait lui-même, mais il veut parler de ceux qui s’enflent d’orgueil au sujet d’une vaine science, qui s’éloignent ainsi de l’amour de Dieu, se croyant plus parfaits que Dieu même ; c’est de ceux-là dont parle l’apôtre quand il dit : « que la science enfle, et que la charité édifie. » Car il n’y a pas d’orgueil plus condamnable que celui qui nous persuade que nous sommes meilleurs et plus parfaits que Dieu même, qui nous a donné l’être, la vie, et qui soutient notre existence. Nous le répétons, il vaudrait mieux rester dans une profonde ignorance sur toutes choses, pourvu que l’on croie en Dieu et que l’on persévère dans son amour, qui est la vie spirituelle de l’homme, que de s’éloigner de lui dans le délire d’un fol orgueil ; il vaut mieux se borner à connaître Jésus-Christ, fils de Dieu, qui est mort pour nous sur la croix, que de chercher à satisfaire une stérile curiosité par des questions subtiles et par des discours artificieux qui ne sont propres qu’à conduire à l’impiété.

Voici un exemple de ce désordre de l’esprit : de ce qu’il est dit dans l’Évangile, « Tous les cheveux de votre tête sont comptés, » un homme se mettra dans l’idée de vouloir compter le nombre des cheveux de tous ceux qu’il connaît, rechercher pourquoi l’un en a un tel nombre, un autre un tel autre nombre ; car les uns en ont beaucoup, tandis que les autres en ont peu ; ceux-ci les ont longs ; ceux-ci les ont courts, etc. Si ensuite, croyant avoir établi le calcul du nombre des cheveux, ce même homme voulait établir là-dessus des preuves de l’excellence de sa théorie, ne passerait-il pas à bon droit pour un fou ? Supposons encore qu’un autre prenne occasion de ce passage de l’Évangile, où il est dit : « Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole ? l’un deux ne tombera pas sur la terre sans la volonté de votre Père. » Pour vouloir supputer le nombre des passereaux pris dans tous les pays, ou bien dans chaque pays en particulier ; et ensuite, vouloir dire la raison pour laquelle tant ont été pris avant-hier, tant hier, tant aujourd’hui, et rattacher ce calcul sur les passereaux à quelque système de religion, n’est-il pas évident que cet homme s’abuse d’abord lui-même, et qu’il conseille d’embrasser une insigne folie à ceux qui l’écoutent et qui ne manqueront pas de renchérir encore sur leur maître pour paraître plus savant que lui ?

Autre exemple : qu’on nous demande si nous pensons que Dieu connaît le nombre de toutes les choses créées, et le nombre dont chacune de ces choses est composée, et que nous répondions que nous croyons qu’il en doit être ainsi, parce que rien de ce qui a été, de ce qui est, ou de ce qui sera ne saurait échapper à la prescience de Dieu ; car tout ce qu’il fait, il le fait avec dessein, avec mesure, avec une raison admirable qui apprécie tout et qui connaît tout. Eh bien ! partirait-on de notre aveu et de la réponse que nous avons faite à la question qui nous a été adressée, pour prétendre aller compter le nombre des grains de sable couvrant les rivages, le nombre des graviers répandus sur la surface de la terre, le nombre des flots de la mer, des étoiles du ciel, et ensuite vouloir dire la cause de tous ces nombres ! Celui qui se conduirait ainsi ne passerait-il pas à bon droit pour un insensé aux yeux de tous les gens qui ont le sens commun ? Et plus il occupe son esprit de semblables questions, plus il s’enfonce dans sa folie et regarde en pitié les autres hommes, les traitant d’ignorants et d’idiots, parce qu’ils ne partagent pas ses idées folles. Dès lors il arrive au comble du délire ; il est frappé par la foudre, et dans son néant il veut s’égaler à Dieu ; il fait à son gré un nouvel auteur de l’univers, et lui dicte insolemment des lois.

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