Contre les hérésies

LIVRE SECOND

CHAPITRE XXXIV

Les âmes, après la vie, conserveront le souvenir de leur existence et de leur union avec les corps, et elles demeureront immortelles, bien qu’elles aient eu un commencement.

Dans le passage de l’Évangile où il est parlé du mauvais Riche et de Lazare qui se reposait dans le sein d’Abraham, notre Seigneur nous a enseigné que les âmes étaient immortelles, qu’elles ne passaient point d’un corps dans un autre corps, mais qu’elles conservaient les mêmes penchants qu’elles avaient eus pendant leur séjour dans le corps, se ressouvenant de toute leur vie passée. Il est dit dans le même passage que le Riche reconnaissait Lazare, après la mort, ainsi qu’Abraham, conservant chacun leur individualité, et le Riche conjurant Lazare de venir le soulager dans ses tourments, lui à qui il avait refusé jusqu’aux miettes qui tombaient de sa table, durant la vie ; on y voit encore, ce qui prouve toujours que les âmes se ressouviennent, qu’Abraham se rappelle, non-seulement les actions qui lui sont personnelles, mais encore de celles du mauvais Riche, puisqu’on l’entend recommander l’accomplissement de la loi de Moïse à ceux qui voudraient éviter un semblable avenir, parce qu’ils seraient jugés par celui qui devait ressusciter d’entre les morts. Le Christ nous a donc hautement annoncé qu’il était certain que les âmes seront immortelles, qu’elles ne subiront point de transmigration d’un corps dans un autre, qu’elles se ressouviendront de ce qu’elles auront fait pendant leur séjour sur la terre, qu’elles conserveront leur individualité, qui les distingue les unes des autres : il nous apprend aussi que l’esprit de prophétie inspire encore Abraham après la mort, et que les âmes des morts, même avant le jour du jugement, resteront dans un séjour heureux ou malheureux, selon qu’elles auront mérité ou démérité.

Mais ici peut-être nous objectera-t-on qu’il ne se peut que les âmes qui ont eu un peu auparavant un commencement vivent pendant un temps indéfini ; que, pour admettre qu’elles soient immortelles, il faut les supposer incréées ; et que si elles ont eu un commencement dans le temps, il faut qu’elles finissent avec le corps. Nous répondrons à ceux qui feraient cette objection, qu’il n’y a que Dieu, Seigneur et maître de toutes choses, qui soit sans commencement ni fin, demeurant toujours le même et sans altération. Tout ce qui a reçu de lui l’être et la vie doit avoir commencé, et être ainsi inférieur à celui qui l’a créé, et qui lui seul est incréé. Les créatures se conservent ensuite, et se développent à travers la durée des siècles, suivant la volonté providentielle de Dieu ; c’est ainsi qu’il peut vouloir, et faire que ce qui a eu un commencement n’ait pas de fin.

Ne voyons-nous pas que le ciel, qui est sur nos têtes, et la lune, et les étoiles, et tous les globes célestes qui n’existaient pas d’abord, ont été créés, et qu’ils durent depuis un grand nombre de siècles, par la force de la volonté de Dieu ; pourquoi ne pourrions-nous croire, sans l’offenser, qu’il en a agi de même à l’égard des âmes, des esprits, et de toutes les autres créations de la même nature, et qu’il a voulu que toutes les choses créées, ayant nécessairement un commencement, chacune eussent leur durée plus ou moins longue, selon son bon plaisir ? C’est ce que l’Esprit saint nous apprend, lorsqu’il dit : « Louez le nom du Seigneur ; il a dit, et tout a été fait ; il a ordonné, et tout a été créé. »

Voici ensuite ce qu’il nous enseigne au sujet du salut de l’homme : « Il vous a demandé la vie, et vous lui avez accordé la longueur des jours dans le temps et dans l’éternité. »

Ces paroles nous apprennent que c’est au Père commun de toutes choses qu’est réservé le pouvoir de donner une vie éternelle aux élus, car la vie ne vient pas de nous ni de la vertu de notre nature, mais de la bonté de Dieu qui nous la mesure. C’est pourquoi celui qui aura usé sagement du don de la vie, rendant grâces sans cesse à celui de qui il la tient, recevra en récompense l’éternité des jours pour les siècles des siècles. Celui, au contraire, qui aura fait un mauvais usage du don de la vie, et se sera par-là montré ingrat envers son créateur, de qui il la tenait, se privera ainsi par sa faute de la participation au bonheur éternel des justes. Aussi notre Seigneur disait-il à ceux qui se montraient ingrats envers lui : « Celui qui est fidèle dans les moindres choses l’est aussi dans les grandes ; et celui qui est injuste dans les petites choses l’est aussi dans les grandes ; » nous enseignant par-là que ceux qui, durant le cours de cette vie passagère, se seront montrés ingrats envers Dieu, leur créateur, seront privés avec justice de la vie du ciel, qui doit durer éternellement.

De même donc que le corps, être purement animal, qui n’est point l’âme, possède une âme autant de temps qu’il plaît à Dieu, ainsi l’âme, qui n’est point la vie, prend part à la vie tant que Dieu le veut ainsi. Aussi l’Esprit saint nous dit-il au sujet de la création de l’homme : « Il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme eut une âme vivante. »

Il nous enseigne par-là comment l’âme a été faite participante de la vie ; ce qui nous fait voir que l’âme, qui a part à la vie, et la vie qui s’unit à l’âme, sont deux choses distinctes et différentes. D’où il suit que Dieu peut donner la vie et l’immortalité aux âmes qui n’étaient pas d’abord, et auxquelles sa volonté donne ensuite une durée infinie. Car la volonté de Dieu doit toujours être au-dessus de tout et dominer toutes choses ; il n’est rien qui ne lui soit soumis et subordonné, rien qui ne soit destiné à le servir. Voilà ce que nous avions à dire au sujet de la création et de l’immortalité des âmes.

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