Contre les hérésies

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE V

Que le Christ et ses apôtres ont professé ouvertement, sans restriction, sans arrière-pensée, et sans craindre de blesser les opinions qui régnaient alors, le dogme d’un Dieu unique, créateur de toutes choses.

Puisque le dépôt de la tradition a été remis à la garde de l’Église par les apôtres, puisque ce dépôt reste au milieu de nous, rapportons-nous-en donc à cette tradition, qui n’est elle-même que la vivante explication des saintes Écritures, consignée comme la pensée de Dieu même dans l’Évangile par les apôtres ; d’où résulte cette démonstration que notre Seigneur Jésus-Christ est la vérité même, et qu’en lui il ne peut y avoir aucun mensonge. Ce qui est conforme à cette prophétie de David, qui prédisant à la fois et l’incarnation du Christ dans le sein de la Vierge, et sa résurrection du sein des morts, a dit : « La vérité est sortie du sein de la terre. » Les apôtres étant les disciples du Christ ou de la vérité, sont en dehors de tout mensonge ; car le mensonge ne saurait avoir aucun rapport avec la vérité, de même que les ténèbres ne peuvent en avoir aucun avec la lumière : ce sont des choses qui s’excluent réciproquement ; notre Seigneur étant la vérité même, il est inaccessible à l’erreur. Comment celui qui connaissait les funestes conséquences de l’erreur serait-il tombé volontairement dans l’erreur, en refusant de reconnaître Dieu son père pour le Dieu unique et tout-puissant ; comment lui, qui était parfait, aurait-il prêché un Dieu imparfait ; lui qui est le roi des esprits, aurait-il préféré ce qui est du domaine des corps ; enfin, comment celui qui habite dans le sein de Dieu aurait-il pu chercher Dieu hors de Dieu même ? Peut-on supposer d’ailleurs que ses disciples aient reconnu un autre Dieu, ou un autre maître que lui, le Christ, qui était véritablement le seul Dieu et le seul tout-puissant ? Cependant quelques sophistes, égarés par leur orgueil, ont imaginé une pareille objection, en ajoutant que les apôtres, s’accommodant aux circonstances, auraient conformé leurs doctrines à la capacité de leurs auditeurs, et leurs réponses à la disposition d’esprit de ceux qui les interrogeaient ; distribuant ainsi les ténèbres à ceux qui étaient dans les ténèbres, la langueur à ceux qui étaient languissants, et l’erreur à ceux qui étaient dans l’erreur ; annonçant le vrai Dieu à ceux-là qui y croyaient, et noyant dans les obscurités d’un mystère incompréhensible le dogme d’un Dieu sans nom pour s’accommoder à ceux qui aiment ces obscurités : en sorte que le maître et les disciples, au mépris de la vérité, et agissant d’après un vaste système d’hypocrisie, auraient prêché autant de doctrines qu’il y a de différentes intelligences.

En agir ainsi, ce ne serait pas apporter la santé et la vie, mais bien plutôt aggraver la maladie et l’ignorance chez ceux qui sont malades ; et ne mériteraient-ils pas l’exécration générale, ceux qui, au lieu de remettre les aveugles dans le bon chemin, les conduiraient vers les précipices ? Mais les apôtres étaient envoyés pour ramener à la vérité ceux qui étaient dans l’erreur, pour rendre la vue à ceux qui ne voyaient pas, et la santé à ceux qui étaient malades ; ils ne pouvaient donc parvenir à ce résultat que par la manifestation entière de la vérité, et non point en flattant les erreurs particulières de chacun. Que dirait-on de gens qui, voyant des malheureux privés de la vue et engagés déjà dans un chemin plein de dangers, les exhorteraient à persévérer dans la même route, comme étant la bonne voie ? Quel est le médecin qui, pour opérer une guérison, prendrait plutôt pour règle les fantaisies de son malade que les principes de la médecine ? Notre Seigneur n’est-il pas venu pour guérir ceux qui souffrent, ainsi qu’il nous le dit lui-même par la bouche de saint Luc : « Le médecin est pour les malades, et non pour ceux qui sont en santé ; je suis venu pour appeler les pécheurs, et non pas les justes, à la pénitence. » Or, comment ceux qui sont malades seront-ils guéris, et comment les pécheurs consentiront-ils à faire pénitence ? Sera-ce en persévérant dans leur état de maladie ou de péché, ou, au contraire, en suivant un régime tout opposé à celui qui les avait fait tomber dans la maladie et dans le péché ? Ce n’est que la connaissance de la vérité qui peut dissiper l’ignorance, mère du mal et du péché. C’est donc cette vérité, par la vertu de laquelle il guérissait ceux qui étaient malades et retirait les pécheurs du péché, que notre Seigneur communiquait à ses disciples ; et lorsqu’il leur parlait, ou lorsqu’il répondait à leurs questions, il n’avait égard ni à leurs idées particulières ni à leurs préventions, mais il leur annonçait la vérité tout entière, sans restriction et sans acception de personnes.

C’est ce qui résulte de tous ses discours. C’est ainsi qu’en parlant aux Juifs il leur démontrait la venue du Christ, fils de Dieu, annoncé par les prophéties ; c’est-à-dire qu’il se manifestait lui-même, comme étant venu sur la terre pour rendre la liberté aux hommes et leur procurer l’immortalité pour héritage. Quant aux apôtres, ils prêchaient les nations, les faisant renoncer au culte de leurs idoles, faites de pierre et de bois, pour adorer le vrai Dieu, créateur de l’humanité, qu’il conserve et multiplie par des lois particulières et immuables ; ils prêchaient la croyance au Christ, fils de Dieu, qui nous a rachetés du péché par son sang, pour faire de nous un peuple sanctifié ; à ce Christ qui doit descendre du haut des cieux, investi de la puissance du Père, pour juger le monde, et pour récompenser ceux qui auront gardé ses commandements. Il apparaîtra donc à la fin des temps, et il sera comme la pierre angulaire sur laquelle doit être édifiée la cité céleste ; il réunira en un seul faisceau tous les fidèles, qu’ils aient vécu dans les temps anciens ou dans les temps nouveaux ; sous l’ancienne loi ou sous la nouvelle, donnant la victoire à la postérité de Japhet et la faisant régner sur la maison de Sem.

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