Contre les hérésies

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XIX

Que Jésus-Christ n’est point un homme né de Joseph ; comme Dieu, il a été engendré par le Père céleste, et comme homme, il est né de la sainte Vierge.

Nous n’hésitons point à dire que ceux qui soutiennent que le Christ, comme homme, a été engendré par Joseph, s’exposent à mourir en état de damnation, en persévérant dans ce blasphème ; car ils renoncent par là à faire alliance avec le verbe de Dieu, et à recevoir de lui le bienfait de leur affranchissement, selon ces paroles : « Le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres. » Par leur obstination à ne pas reconnaître Emmanuel né de la Vierge, ils renoncent au bienfait de sa grâce, qui est la vie éternelle ; ne pouvant participer ainsi à l’incorruptibilité du Verbe, ils restent plongés dans le péché, et demeurent débiteurs de la mort. C’est à eux que s’adresse le Verbe, lorsque, parlant du bienfait de sa grâce, il dit : « Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ; mais vous mourrez comme des hommes. » Dieu a voulu, sans aucun doute, parler ici de ceux qui se refusent au bienfait de l’adoption, méprisent l’incarnation divine du verbe de Dieu, voudraient déshériter l’humanité du don de la vie éternelle, et témoignent, par cette conduite, leur ingratitude envers le Verbe qui s’est incarné pour leur salut ; car le verbe de Dieu, le fils de Dieu, s’est fait homme, afin que l’homme, par l’influence du Verbe, devînt le fils de Dieu et l’enfant de l’adoption.

Pouvions-nous, en effet, prétendre à l’incorruptibilité et à l’immortalité, sans avoir été auparavant doués de la faculté d’être incorruptibles et immortels ? Mais nous ne pouvions être doués de cette faculté sans qu’elle fût devenue une partie de nous-mêmes ; afin que ce qui en nous était corruptible fût corrigé par ce qui était incorruptible, et ce qui est mortel par ce qui est immortel. C’est ainsi seulement que nous pouvions devenir des enfants d’adoption.

C’est là ce qui fait dire à Isaïe, en parlant du Christ : « Qui racontera sa génération ? » et à Jérémie : « Le Verbe fait homme est impénétrable, qui le connaîtra ? » Celui-là seul le connaîtra, à qui le Père qui est dans les cieux l’a révélé, afin qu’il comprenne que ce Fils de l’homme, qui est le Christ, Fils du Dieu vivant, n’est pas né de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair. Nous avons déjà démontré qu’on ne trouve point dans les Écritures qu’aucun homme soit jamais appelé Dieu Seigneur : il n’est pas nécessaire d’avoir une intelligence bien relevée pour comprendre dès lors que celui qui est annoncé par les prophètes, prêché par les apôtres, et déclaré par le Saint-Esprit pour être Dieu (bien qu’ayant pris la forme humaine), pour être le Seigneur, le Roi éternel, le fils unique de Dieu et le Verbe incarné, le soit bien réellement. Pourquoi lirions-nous dans les Écritures tant de choses extraordinaires à son sujet, s’il n’eût été qu’un homme semblable aux autres hommes ? Comme il était le fils unique de Dieu, par le mystère d’une paternité toute divine, il fallait que son incarnation dans la Vierge participât de cette génération merveilleuse. Les Écritures parlent sans cesse de ce double miracle : aussi, quand il est question de son humanité, elles nous le peignent comme un homme obscur, accablé de maux ; il est monté sur le fils de l’ânesse, il boit le vinaigre et le fiel, il est un objet de mépris pour le peuple, et il est livré à la mort. Parlent-elles au contraire de sa divinité ? elles nous le représentent comme le Dieu saint, le Conseiller céleste, le Roi de la beauté, le Dieu fort, qui doit venir sur les nuées pour juger les vivants et les morts.

Le Christ fut homme, parce qu’il devait être soumis à la tentation ; il fut Dieu, parce qu’il devait faire éclater sa gloire : mais sa divinité demeurait en quelque sorte inactive, pendant qu’il fut tenté par le démon, pendant qu’il fut injurié, qu’il fut crucifié, et qu’il mourut ; l’humanité disparaît ensuite pour faire place à l’action divine, lorsqu’il triomphe du péché, lorsqu’il répand les trésors de sa divine bonté, lorsqu’il ressuscite, lorsqu’il remonte dans les cieux.

Ainsi notre Seigneur, pendant son séjour sur la terre, a été en même temps et le verbe de Dieu et le Fils de l’homme : il était le Fils de l’homme, étant né de Marie, qui était de l’espèce humaine. Mais, pour que ce miracle s’accomplît, il fallait ce prodige dont parle Isaïe, demandé au plus profond de l’abîme ou au plus haut des cieux ; ce prodige que l’homme ne pouvait espérer, parce qu’il ne pouvait comprendre comment un enfant pourrait naître du sein d’une Vierge ; que cet enfant serait un Dieu, qui s’abaisserait jusqu’à se mêler parmi nous, qui descend sur la terre pour chercher cette brebis qui s’était égarée ; cet homme fait à l’image de Dieu, qui ensuite remonte dans les cieux pour offrir à Dieu le Père, et pour placer sous sa protection divine cette humanité qu’il vient de sauver, et qui doit, à son exemple, ressusciter dans la vie éternelle. Car, de même que le Christ, lors de sa descente aux enfers, a retiré des limbes les justes de l’ancienne loi, qui étaient comme les chefs du genre humain, ainsi ressuscitera-t-il par sa même vertu toute l’humanité qui, sous la loi du nouveau Testament, aura suivi ses commandements, ou qui aura fait pénitence de ses péchés. C’est ainsi qu’il réunira tous les élus pour chanter les louanges du Très-Haut, chacun d’eux conservant cependant dans cette vie nouvelle tous les caractères particuliers qui distinguaient son individualité ; car il nous a dit qu’il y avait un grand nombre de demeures dans la maison de son père, pour que chaque élu eût la sienne.

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