Contre les hérésies

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XXV

Que ce monde est gouverné par un Dieu unique dont la providence et la justice sont infinies, qui punit les méchants, récompense les bons et leur accorde le salut éternel.

Dieu prévoit tout ; il est donc l’auteur de toute prudence, et il prête son appui à ceux qui, fidèles à ses inspirations, recherchent la sagesse. Il est donc dans l’ordre que tous les êtres doués de raison, qui sont sous sa dépendance, reconnaissent son autorité et sa providence. Cette grande vérité est d’ailleurs confessée par ceux d’entre les ethniciens qui ont conservé quelque pureté de mœurs et qui ne se sont pas dégradés en adorant des idoles ; ils avouent, quoique à demi-mot, que l’auteur de cet univers est le Père céleste qui prévoit tout, et que c’est lui qui gouverne le monde.

Mais ils perdent tout à coup le fruit de cet aveu en voulant ôter à Dieu le droit de juger, de punir et de récompenser ; cette fonction, selon eux, étant indigne de Dieu ; puis, pour se tirer de la contradiction où ils se jettent, ils imaginent deux dieux, dont l’un juge et l’autre sauve les hommes, ne voyant pas dans leur ignorance que par là même ils les dépouillent l’un et l’autre de toute intelligence et de toute justice. Car, si celui qui juge n’a pas la bonté, comment récompensera-t-il les bons et punira-t-il les méchants avec justice ? Et s’il a seulement la bonté et qu’il ne sache pas discerner les bons et les méchants, il ne sera plus ni bon ni juste ; sa bonté ne sera que faiblesse, car il ne pourrait sauver tous ceux qui mériteraient de l’être.

Il résulte de là que Marcion, en établissant deux dieux, dont l’un représente la bonté, et l’autre la justice, abolit par cela même la divinité et en exclut l’idée. Si le Dieu qui juge n’est pas bon en même temps, dès lors, il n’est pas Dieu ; car la bonté est un attribut essentiel de la Divinité ; et réciproquement, si celui des deux qui possède la bonté ne sait pas être juste, il ne sera plus Dieu, parce qu’il n’y a pas de Dieu sans justice. Quand on dit que l’auteur de toutes choses est aussi l’auteur de toute sagesse, comment cela pourrait-il être, si on ne lui attribuait pas en même temps la justice ? S’il est sage, c’est qu’il apprécie et discerne ; s’il apprécie et discerne, c’est qu’il juge ; s’il juge, il rend donc à chacun la justice qui lui est due. La justice suppose un jugement ; et le jugement rendu avec justice devient sagesse. De là il suit que le Dieu tout-puissant doit surpasser infiniment en sagesse et les anges et les hommes et toutes les créatures, puisqu’il est à la fois le Seigneur, le juge, le juste, et le dominateur suprême. Il est bon, il est miséricordieux, il est patient et il sauve ceux qui méritent d’être sauvés. Quand il est juste, ce n’est aux dépens ni de sa bonté ni de sa sagesse ; il récompense et punit toujours justement. Il est à la fois bon et juste.

Or, celui qui distribue pour tous les rayons de son soleil et les gouttes de sa rosée, jugera sévèrement ceux qui, après avoir été comblés de ses dons, n’ont pas mené une vie qui réponde à ses bontés à leur égard ; qui, vivant dans le luxe et la débauche, ont encore blasphémé contre Dieu, qui les comblait de biens.

Un païen célèbre, Platon, s’est montré bien plus religieux que les hérétiques de nos jours ; il a proclamé un seul Dieu comme l’auteur de toute justice, de toute bonté, de toute puissance : « Dieu, selon un axiome aussi ancien que le monde, est le commencement, la fin et le milieu de tout ce qui existe, donnant à chaque chose sa perfection relative ; sa justice vengeresse ne manque jamais de frapper ceux qui enfreignent ses lois divines. » Et dans un autre endroit, il signale la bonté de cet architecte suprême, en disant que Dieu par cela qu’il est la bonté même, ne peut connaître aucune jalousie. La bonté de Dieu se manifeste dans la création même du monde, qui n’a été qu’un développement de sa bonté. Toute cette doctrine est bien différente de celle des gnostiques qui attribuent la création au malentendu de quelque Dieu, tantôt à la conséquence d’une grande faute, tantôt aux pleurs et aux lamentations de la Mère, tantôt à Dieu le père, tantôt à quelque autre Dieu.

Elle a de quoi se désoler, leur mère Achamoth, en voyant à son service des inventeurs et des docteurs de cette force. Il faut avouer cependant qu’ils se montrent dans leurs œuvres tout-à-fait dignes de cette mère, qui est la mère de l’erreur et de l’hérésie ; leur œuvre, en effet, est semblable à un fruit avorté, sans forme et sans beauté ; ils sont toujours au rebours du vrai ; ils marchent dans le vide et les ténèbres, car leur science est ténébreuse et vide ; leur dieu Horus ne peut pas même les recevoir dans son Plérum ; ce n’est pas pour de pareils esprits qu’il tient son paradis en réserve. Le Dieu dont ils s’inspirent ne fait qu’augmenter encore l’épaisseur des ténèbres qui voilent leurs pensées, et ne leur fait produire que des œuvres mortes. Et quand nous parlons ainsi, nous sommes loin de les calomnier, nous ne faisons que répéter ce qu’ils prêchent, ce qu’ils affirment, ce dont ils se vantent, ce qu’ils disent être les inspirations de la Mère qui aurait été engendrée sans père ; et femme serait provenue d’une femme ; c’est ainsi qu’à l’erreur la plus grossière ils joignent les plus dégoûtantes monstruosités.

Mais nous les supplions de ne pas rester plus longtemps dans cet abîme d’erreurs qu’ils ont creusé eux-mêmes, mais d’abandonner sans retour cette Mère, de quitter leur Bythus, et de laisser le vide et les ténèbres ; de renaître à la foi, de rentrer dans le sein de l’Église, de renaître en Jésus-Christ, et de reconnaître enfin avec nous le Dieu véritable et unique et maître de toutes choses ; nous leur faisons cette prière, nous inquiétant plus sérieusement de leur salut qu’ils ne s’en inquiètent eux-mêmes. La charité qui nous anime est sincère et ne peut que leur être profitable, s’ils ne la repoussent pas ; elle agit comme le médecin courageux qui coupe les chairs inutiles et devenues un empêchement à la guérison de la plaie. Ma critique dissipe leur vanité et abat leur enflure ; aussi, ne nous laissons-nous rebuter par aucun obstacle pour les ramener à la vérité. C’est pour cela que nous nous proposons, dans le livre suivant, d’appuyer nos raisonnements sur l’autorité des paroles du Christ ; puissions-nous, par ce moyen, les arracher à leurs erreurs et les faire renoncer à tous les blasphèmes qu’ils vomissent contre l’auteur de toutes choses, le seul Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ ! Ainsi soit-il.

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