Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE IX

L’ancien et le nouveau Testament n’ont l’un et l’autre qu’un même auteur, comme ils n’ont qu’un même objet, qu’un même but principal.

Toutes les choses créées tirent leur origine d’un même principe, c’est-à-dire d’un seul et même Dieu, qui est leur auteur, ainsi que notre Seigneur lui-même l’a déclaré à ses disciples, quand il a dit : « Tout scribe donc qui a la science du royaume des cieux, est semblable à un homme, père de famille, qui tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes. » Mais il n’a pas dit qu’il y avait un créateur des choses anciennes et un créateur des choses nouvelles, mais bien qu’il n’y en avait qu’un seul et qui était le même. Le Seigneur Dieu est comme un père de famille, qui règle et gouverne tout ce qui est de sa maison ; il a une loi juste pour tous, pour ceux qui ne sont pas affranchis, et pour ceux qui sont libres ; mais il soumet à un règlement particulier ceux qui ont mérité la liberté, il les traite comme ses enfants et les met en possession de leur héritage. Par ces mots de scribes et de docteurs du royaume des cieux, notre Seigneur désignait ses propres disciples ; il les désigne de la même manière dans un autre endroit, lorsqu’il dit aux Juifs : « C’est pourquoi, voilà que je vous enverrai des prophètes, et des sages et des docteurs, et vous tuerez plusieurs d’entr’eux, et vous les poursuivrez de ville en ville. » Quand il dit que le père de famille tire de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles, il veut évidemment désigner par-là l’ancien et le nouveau Testament : l’ancien Testament, celui selon la loi donnée à Moïse ; et le nouveau, qui est selon la loi de l’Évangile. C’est de lui que David a dit : « Chantez à Jéhovah un nouveau cantique. » Et Isaïe : « Chantez au Seigneur un hymne nouveau ; que ses louanges soient publiées d’un bout de la terre à l’autre ; que la mer et sa vaste étendue retentissent de sa gloire ; habitants des îles, célébrez, chantez le Seigneur. » Jérémie dit aussi : « Voilà que les jours viennent, dit le Seigneur, et j’établirai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Judas, non pas selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères. » L’ancien et le nouveau Testament ne reconnaissent donc l’un et l’autre qu’un seul et même auteur, c’est-à-dire le Verbe de Dieu, ou notre Seigneur Jésus-Christ, qui a fait entendre sa voix à Abraham et à Moïse, qui est venu plus tard sur la terre pour nous délivrer de l’esclavage du péché, et pour répandre plus abondamment les trésors de la grâce qui vient de lui. Car, « il est, nous dit-il lui-même, plus grand que le temple. » Et quant aux deux Testaments, il faut dire qu’ils sont de même nature, bien que le nouveau ait apporté un plus grand bienfait au monde ; ils ne diffèrent que du plus ou du moins, par le plus ou le moins de magnificence et de richesse, comme l’on dit de deux choses qui ont la même substance, la même nature : c’est ainsi que l’on dit de l’eau comparée à l’eau, de la lumière comparée à la lumière, de la grâce comparée à la grâce. Car la loi, qui a été donnée pour une ère de délivrance, est meilleure que celle qui a été donnée pour un temps de servitude ; voilà pourquoi la première a été étendue à toute la terre. Ainsi, notre Seigneur, qui est plus grand que le temple, apporte aux hommes plus que Salomon, plus que Jacob, car il leur apporte sa présence et les fruits de sa résurrection d’entre les morts ; et cependant il agit en annonçant toujours le même Dieu, le même Père annoncé dans l’ancien Testament, le même créateur qui a plusieurs manières de récompenser ceux qui en sont dignes, et qui donne de plus grands biens à ceux qui l’aiment davantage, comme il le disait lui-même à ses disciples : « Vous verrez de plus grandes choses. » Saint Paul dit aussi dans le même sens : « Non que j’aie déjà atteint jusques-là, ou que je sois déjà parfait, car ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait. Mais lorsque nous serons dans l’état parfait, tout ce qui est imparfait sera aboli. » Or, lorsque nous arriverons à cet état parfait, ce ne sera pas un autre Dieu que nous verrons, mais celui qui est maintenant l’objet de tous nos désirs (bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu) ; et ce n’est pas non plus un autre Christ, ou un autre fils de Dieu que nous verrons, mais bien celui qui est né de la vierge Marie, qui a souffert, celui enfin en qui nous croyons et qui est l’objet de notre amour. « On dira en ce jour, selon les paroles d’Isaïe, voilà le Dieu que nous adorons ; nous avons espéré en lui, et il nous a sauvés. » Saint Pierre dit aussi dans son épître : « Lui que vous aimez, quoique vous ne l’ayez point vu, et en qui vous croyez, quoique vous ne le voyiez point encore ; et c’est parce que vous croyez, que vous serez comblés d’une joie ineffable et glorieuse. » Et le Saint-Esprit que nous contemplerons, sera le même que celui qui est en nous et qui nous fait crier vers le ciel : « Mon Père ! mon Père ! » Toutefois il y aura cette différence, que nous verrons alors Dieu et les choses de Dieu face à face, tandis que nous ne les voyons ici-bas que dans un miroir et comme à travers des énigmes. Ainsi nous contemplons dès à présent, par l’intelligence, quelque chose de plus grand que le temple et que Salomon, je veux dire l’avènement du fils de Dieu. Notre foi reste la même en un seul Dieu, auteur et créateur de toutes choses, qui s’est révélé dès les premiers temps du monde ; et pour nous, le fils de Dieu est le même que celui que les prophètes ont annoncé.

Les prophètes annoncèrent le nouveau Testament au monde, ainsi que celui qui devait l’établir, selon la volonté du Père, afin que les croyants fussent ainsi fortifiés dans leur foi et dans leur espérance, et que le salut du genre humain fût de cette manière assuré et opéré par ces deux Testaments qui s’enchaînent l’un à l’autre. Il n’y a qu’un seul salut, comme il n’y a qu’un seul Dieu ; mais il faut que l’homme, pour arriver jusqu’à Dieu, passe par un grand nombre d’épreuves, et exécute un grand nombre de commandements. Un roi de la terre, qui n’est cependant qu’un homme, peut bien accorder, s’il lui plaît, des faveurs plus grandes à quelques-uns de ses sujets plutôt qu’aux autres ; et nous ne voudrions pas accorder à Dieu la même faculté, et il ne pourrait faire arriver à une plus grande perfection ceux qui suivent son culte avec plus de constance et d’ardeur que les autres ! Mais les gnostiques l’entendent autrement ; leur progrès à eux est de ne se tenir à aucune conviction, d’inventer un autre Dieu que celui annoncé dès les temps anciens par les prophètes, d’inventer ensuite un troisième Dieu, autre que le second, qu’ils avaient mis au deuxième degré. Toutefois leur progrès ne s’arrêtera pas là ; ils passeront à un quatrième, de celui-là à un autre, et puis à un autre encore ; et à force de passer de l’un à l’autre, ils finiront par n’en avoir aucun. Une fois sorti de la connaissance du vrai Dieu, on a beau revenir sur ses pas et se mettre en quête, on ne peut plus retrouver Dieu ; on nage alors dans un océan de ténèbres, dont on ne peut sortir, à moins qu’on ne rentre dans la vérité par la porte du repentir, et que l’on ne confesse enfin un seul et unique Dieu le père, révélé par la loi et les prophètes, auquel le Christ a porté témoignage, comme il l’exprime en parlant à ceux qui accusaient ses disciples de n’être pas fidèles aux traditions : « Pourquoi donc vous-mêmes transgressez-vous le commandement de Dieu, à cause de votre tradition ? Car Dieu a dit : Honore ton père et ta mère ; et celui qui maudira son père ou sa mère, qu’il meure de mort. » Et il ajoute encore : « Et vous avez rendu vain le commandement de Dieu à cause de votre tradition. » Il est évident que par ces paroles le Christ rend témoignage à Dieu le père, qui avait dicté le commandement de l’ancienne loi donnée à Moïse : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient longs sur la terre. » C’est ainsi que le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, confirme le précepte de l’ancienne loi, en même le temps qu’il annonce le seul vrai Dieu, qui est son père.

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