Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XII

Il est démontré que l’ancienne et la nouvelle loi n’ont qu’un seul et même auteur ; ce que le Christ a lui-même prouvé par le respect qu’il professait pour les traditions et les usages anciens qu’il a confirmés et consacrés par ses paroles, et en se désignant lui-même comme étant le dernier accomplissement de la loi de Moïse.

Ce qu’on appelait la tradition des anciens et que les pharisiens feignaient d’observer, était réellement contraire à la loi de Moïse. C’est à ce sujet qu’Isaïe a dit : « Ton or est devenu du plomb, et ton vin est mêlé d’eau ; » exprimant ainsi que les anciens finiraient par altérer la tradition première, en substituant une fausse loi à la loi véritable, comme notre Seigneur lui-même s’en est hautement plaint, quand il a dit aux pharisiens : « Pourquoi donc vous-mêmes transgressez-vous les commandements de Dieu à cause de votre tradition ? » Or, ils ne s’étaient pas contentés d’altérer dans des intentions coupables l’ancienne loi, mais ils avaient de plus fini par substituer à la loi une loi de leur façon, qui est encore désignée aujourd’hui sous le nom de loi pharisienne. Cette loi supprime beaucoup de choses de l’ancienne, en ajoute d’autres, donne à certaines choses une interprétation tout-à-fait arbitraire ; et encore ne se servent-ils de leur nouvelle loi que selon le caprice de leur bon plaisir. C’était donc pour prendre le parti de cette prétendue tradition qu’ils ont refusé de croire à la loi véritable qui leur annonçait l’arrivée du Messie ; et ils faisaient un reproche au Christ de ce qu’il opérait des guérisons le jour du sabbat, chose que la loi ne défendait réellement pas. D’ailleurs les Pharisiens eux-mêmes ne faisaient-ils pas des remèdes pour les malades le jour du sabbat ? mais ils avaient soin de ne pas se blâmer eux-mêmes en s’accusant de violer la tradition. Ils n’avaient donc pas le véritable esprit de la loi, qui consiste dans l’amour de Dieu.

Cet amour de Dieu, en l’étendant au prochain, comme l’a enseigné notre Seigneur, est le premier et le plus important des préceptes ; il renferme en lui, ainsi qu’il l’a dit, la loi et les prophètes. Le fils de Dieu n’a point aboli ce précepte en lui en substituant un autre, mais il l’a confirmé et renouvelé en recommandant à ses disciples d’aimer Dieu de tout leur cœur et le prochain comme soi-même. Et s’il n’avait pas reconnu Dieu le père pour son père, au lieu de recommander ce premier précepte de l’ancienne loi, il en aurait mis un autre à la place. Saint Paul ne dit-il pas dans le même sens : « L’amour est la plénitude de la loi. » Rien ne peut égaler la foi, l’espérance et l’amour ; mais l’amour est encore au-dessus de la foi et de l’espérance. Il n’y a pas de véritable culte envers Dieu sans l’amour, par lequel la créature donne en quelque sorte quelque chose à Dieu ; ni l’intelligence des mystères, ni la foi, ni le don de prophétie ne sont rien sans l’amour. C’est l’amour qui rend l’homme parfait ; celui qui aime Dieu sera parfait dans le présent et dans l’avenir. Il est de la nature de l’amour de Dieu d’aller en augmentant sans cesse ; il s’accroît de plus en plus, à mesure que nous contemplons Dieu.

Le grand précepte qui domine tous les autres dans l’ancienne et la nouvelle loi, c’est d’abord d’aimer Dieu de tout notre cœur, et ensuite d’aimer le prochain comme nous-mêmes ! cette concordance prouve que l’un et l’autre Testament ont le même auteur. Or, puisque les règles de la perfection sont les mêmes dans l’une et l’autre loi, elles aboutissent donc au même Dieu de qui elles émanent. Chacune d’elles cependant a des prescriptions qui lui sont particulières ; mais tout ce qui est capital et essentiel au salut est énoncé et prescrit de la même manière dans les deux Testaments.

Quel doute pourrait-il rester encore à cet égard, lorsque nous entendons notre Seigneur, pour prouver que les deux Testaments ont le même Dieu pour auteur, parler ainsi à la foule et à ses disciples qui l’écoutaient : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse : retenez donc tout ce qu’ils vous diront, et faites-le ; mais ne faites pas ce qu’ils font ; car ils disent et ne font pas. Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et ils les placent sur les épaules des hommes ; mais ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt. » Il était donc bien loin de condamner la loi donnée par l’organe de Moïse, puisqu’il en recommandait encore l’exécution aux véritables croyants ; mais il reprochait aux pharisiens de prêcher la loi sans avoir l’amour de Dieu dans le cœur : c’est pour cela qu’ils étaient injustes également envers Dieu et envers les hommes. Isaïe les a dépeints en ces termes : « Ce peuple m’honore du bout des lèvres, mais son cœur est loin de moi ; parce qu’il s’est fait un culte avec la loi et la science des hommes. » En parlant de la loi qui vient de la science des hommes, ce n’est certainement pas de la loi de Moïse qu’il veut parler, mais des fausses traditions inventées par les docteurs, pour lesquelles ils mettaient en oubli l’ancienne loi, et qui ont été cause qu’ils ont méconnu le Messie. C’est d’eux aussi que saint Paul veut parler, quand il dit : « Parce que, ne connaissant point la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir la leur propre, ils ne se sont point humiliés sous la justice de Dieu ; car Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront. » Et comment le Christ serait-il la fin de la loi s’il n’en était encore le commencement ? car celui qui peut donner la fin à une chose est aussi celui qui lui donne son commencement. C’est lui qui a dit à Moïse : « J’ai vu l’affliction de mon peuple en Égypte, et je suis descendu pour le délivrer. » Car nous voyons dès le commencement le Verbe de Dieu descendre du ciel et y monter pour le salut de ceux qu’il aime.

Bien plus, le Christ lui-même déclare que la loi ancienne faisait une obligation de reconnaître le Christ et de lui obéir, par cette réponse qu’il fit à cet homme qui lui demandait ce qu’il devait faire pour obtenir la vie éternelle, en lui disant : « Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les commandements. » Le jeune homme lui dit : Lesquels ? Jésus répondit aussitôt : « Vous ne tuerez point, vous ne commettrez point d’adultère, vous ne déroberez point, vous ne rendrez point de faux témoignage ; honorez votre père et votre mère, et aimez votre prochain comme vous-même. » Il proposait ainsi à ceux qui voulaient le suivre l’accomplissement des préceptes de la loi, comme autant de degrés pour entrer dans la vie ; ce qu’il disait ainsi à l’un, il le disait à tous. Le jeune homme lui dit encore : « Seigneur, j’ai gardé tous ces commandements. » Il peut se faire qu’il ne les eut pas gardé bien exactement ; car, sans cela, le Christ ne lui aurait pas dit : Gardez les commandements. Mais le Seigneur, connaissant son amour pour les richesses, lui dit : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvres ; puis venez et suivez-moi ; » promettant ainsi la gloire de l’apostolat à ceux qui le suivraient. Répétons donc encore que, dans tous ces enseignements du Christ, il est toujours question d’un seul Dieu le père, annoncé dès le commencement par les Écritures, ensuite de son fils unique ; mais qu’il n’a jamais parlé, ni de la Mère, ni de l’Entymèse d’Æon qui a été dans la passion et dans la mort, ni de la plénitude des trente autres Æons, plénitude où il n’y a que du vide ; ni des autres fables inventées par les autres hérétiques. Mais il enseignait de garder les préceptes que Dieu avait donnés, dès le commencement, dans l’ancien Testament, à racheter leurs péchés en faisant de bonnes œuvres, et à suivre le Christ. Dans l’entretien qu’il eut avec Zachée, il a bien encore enseigné que l’aumône faite aux pauvres efface les anciennes souillures, lorsque Zachée lui répond : « Seigneur, je donne la moitié de mes biens aux pauvres ; et si j’ai fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, je lui rendrai quatre fois autant. »

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