Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XV.

Dieu s’était contenté d’abord de donner aux hommes les préceptes de la loi naturelle, ou le Décalogue pour règle de conduite ; mais les Hébreux s’étant ensuite livrés à toute sorte d’excès, il fallut, pour réprimer leurs débordements, leur imposer le joug de la loi mosaïque, et plus tard encore, pour amollir la dureté de leurs cœurs, les soumettre à d’autres lois particulières.

Les Hébreux avaient donc pour leur conduite une loi, une discipline, et de plus, les prophéties qui leur annonçaient les choses futures ; mais cette loi n’était autre, dans le principe, que les préceptes du Décalogue, qui sont communs à tous les hommes, et hors de l’observation desquels il n’y a point de salut ; et Dieu n’avait pas exigé d’abord autre chose de son peuple. C’est ce que Moïse dit dans le Deutéronome : « Ce sont là les paroles que le Seigneur a dites à votre assemblée sur la montagne, du milieu du feu et de la nuée et des ténèbres, avec une grande voix, n’ajoutant rien de plus ; et il les écrivit sur deux tables de pierre qu’il me donna. » Telle était la règle que devaient suivre ceux qui voulaient rester fidèles au culte de Dieu.

Mais lorsque les Israélites se furent livrés au culte coupable du veau d’or, qu’ils commencèrent à regretter l’Égypte, préférant l’esclavage à la liberté, il fallut leur imposer une loi plus dure et en rapport avec la dégradation de leurs âmes, sans que pour cela ils cessassent d’être le peuple choisi de Dieu ; c’est ce qu’explique Ézéchiel, quand il dit : « Parce qu’ils n’avaient pas observé mes commandements, qu’ils avaient rejeté mes préceptes, c’est pourquoi je leur ai donné des préceptes qui n’étaient pas bons, et des ordonnances où ils ne trouveront point la vie. » Saint Luc rapporte dans les Actes des Apôtres le passage suivant sur Moïse, attribué à saint Étienne, le premier que les apôtres revêtirent du diaconat, et le premier martyre qui perdit la vie pour la cause du Christ : « C’est celui qui a été parmi le peuple au désert avec l’ange, qui lui parlait en la montagne de Sina ; il a reçu les paroles de vie pour nous les donner. Nos pères n’ont pas voulu lui obéir ; mais ils le repoussèrent, tournant leur cœur vers l’Égypte, disant à Aaron : fais-nous des dieux qui marchent devant nous, car nous ne savons ce qui est arrivé à ce Moïse, qui nous a tirés hors du pays d’Égypte. Et en ces jours-là ils firent un veau et offrirent un sacrifice à l’idole, et ils se réjouissaient des œuvres de leurs mains. Et Dieu se détourna, et les laissa servir la milice du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : maison d’Israël, m’avez-vous offert des sacrifices et présenté des victimes durant quarante ans au désert. Vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’astre de votre Dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer. » Ce qui fait voir que cette seconde loi qui leur fût imposée à cause de leur conduite criminelle, le fut par l’auteur de la première, c’est-à-dire du Décalogue. C’est pourquoi Dieu dit à Moïse dans l’Exode : « Et j’enverrai un ange devant toi ; car je n’y monterai pas avec vous, de peur que je ne vous extermine dans le chemin, parce que vous êtes un peuple ayant la tête dure. »

Il y a plus, et nous voyons encore dans les Écritures que Moïse leur donna en outre certaines ordonnances nécessitées par cette dureté de cœur et ce penchant à l’insubordination, après qu’ils lui eurent dit : « Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de donner à sa femme un acte de répudiation et de la renvoyer ? » À quoi Moïse leur répondit : « À cause de la dureté de votre cœur, Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes ; mais au commencement il n’en était pas ainsi. » Moïse s’excuse de ce qu’il fait sur la dureté et l’insubordination des Israélites ; car il confesse que, dans le principe, Dieu qui a créé l’homme et la femme en avait ordonné autrement. Aussi, furent-ils satisfaits de cette loi de répudiation que leur donna Moïse et qui convenait à leurs mœurs endurcies. Mais qu’avons nous besoin de chercher dans l’ancien Testament la preuve de ce que nous soutenons ici ; nous trouverons dans le nouveau les mêmes principes et la même distinction, proclamée par les apôtres. Nous lisons dans saint Paul : « Quant aux autres, ce n’est pas le Seigneur, mais c’est moi qui leur dis ; » et encore ailleurs : « Au reste, ce que je vous dis, c’est par condescendance et non pas commandement. » Et encore plus loin : « Quant aux vierges, je n’ai point reçu de commandement du Seigneur ; mais voici le conseil que je donne, comme ayant reçu du Seigneur la grâce d’être son fidèle ministre. » Il dit encore dans le même chapitre : « Ne vous refusez point l’un à l’autre, de peur que votre incontinence ne donne lieu à Satan de vous tenter. » Or, puisque nous voyons que les apôtres, sous la loi du nouveau Testament, ont cru pouvoir, dans certains cas, faire à la faiblesse humaine quelques concessions, plutôt que d’exposer quelques âmes à s’éloigner entièrement de Dieu, nous ne devons point nous étonner que de pareilles choses aient pu se passer sous l’ancienne loi, et que Dieu ait pu ordonner, dans certains cas, quelques dérogations au Décalogue, lorsque cela était nécessaire pour empêcher quelques-uns de se livrer à l’idolâtrie et à s’éloigner de Dieu, et pour les ramener à son obéissance et à son amour. Que si, à raison du grand nombre des Israélites qui, malgré la loi, ont suivi la voie de la désobéissance et de l’erreur, on accusait la loi d’imperfection et de faiblesse, nous leur répondrions, par les paroles du Christ, qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus ; qu’un grand nombre se couvrent de la peau des brebis pour s’introduire dans la bergerie et y exercer leurs ravages ; qu’en cela Dieu, dans l’exercice de sa puissance en ce qui concerne l’homme, s’est montré conséquent avec lui-même, en voulant que ceux qui n’obéissent pas à sa loi soient jugés d’après leur désobéissance même, et que ceux qui ont eu foi et qui lui ont été fidèles en reçoivent la récompense par le don de la vie éternelle.

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