Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XX

Que c’est un seul et même Dieu, assisté du Verbe et du Saint-Esprit, qui a créé l’univers ; que nous pouvons le connaître et le comprendre, dès cette vie, quoiqu’il soit pour nous invisible ; nous le connaissons et le comprenons par ses œuvres, et nous pouvons le voir des yeux de l’esprit d’après tous les enseignements du Verbe à ce sujet.

Sous le rapport de sa grandeur et de son infinité absolues, il nous est impossible de connaître Dieu et de mesurer son immensité ; mais sous le rapport de son amour pour nous (car c’est cet amour qui nous fait arriver jusqu’à lui par la grâce du Verbe) et éclairés par notre soumission même envers lui, nous pouvons avoir une idée de sa grandeur, de son éternité : nous savons qu’il est l’auteur de toute vie, de toute beauté, que c’est lui qui nous a créés, ainsi que le monde où nous vivons. L’Écriture dit : « Le Seigneur Dieu forma l’homme du limon de la terre ; il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme eut une âme vivante. » Nous ne sommes donc point, comme le prétendent les gnostiques, une création des anges (les anges ne pouvaient créer un être qui fût l’image de Dieu ; cette puissance n’appartenait qu’au verbe de Dieu) ; comment supposer que quelque être, en dehors de Dieu même, en eût été doué ? Est-ce que Dieu, qui avait créé les anges, pouvait avoir besoin des anges pour faire ce qu’il voulait faire ? N’avait-il pas avec lui le Verbe et l’Esprit saint avec lesquels il peut tout ? Le Verbe ou le Fils, l’Esprit ou la Sagesse, sont toujours avec lui ; c’est par eux et avec eux qu’il crée et qu’il agit en liberté ; c’est à eux qu’il parle dans l’Écriture, lorsqu’il dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » Il a trouvé en lui-même les éléments avec lesquels il a formé les créatures, le modèle sur lequel il les a faites, ainsi que le type de toutes les formes qui font l’ornement de l’univers.

C’est donc avec raison que l’Écriture a dit : « Le premier principe de la foi est de croire en un seul Dieu, créateur et auteur de toutes choses ; qui a tiré toutes choses du néant, qui peut tout et qui n’a besoin de personne. » Malachie dit aussi de même : « Est-ce qu’un seul père n’est pas à tous ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? » Et aussi l’apôtre saint Paul : « Il n’y a qu’un Dieu, père de tous, qui est au-dessus de tous, qui gouverne toutes choses et qui réside en nous tous. » Notre Seigneur lui-même a dit pareillement : « Toutes choses m’ont été données par mon Père ; » bien entendu par celui qui a fait toutes choses ; car, puisqu’il a tout donné à son Fils, il n’a sans doute donné que ce qui était à lui. Il n’en a rien excepté : c’est pour cela qu’il l’a constitué juge des vivants et des morts. « Il a la clé de David, qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n’ouvre ; » car il n’y avait aucun être, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni dans les enfers, qui eût le pouvoir d’ouvrir le livre de vie, et d’y lire, si ce n’est l’agneau du Dieu qui a versé son sang pour nous racheter. C’est donc le Père qui, après avoir créé l’univers par le Verbe et lui avoir donné le pur Esprit ou la Sagesse, a ensuite donné toute puissance au Verbe sur la terre, quand il s’est fait chair ; afin qu’il eût la souveraine puissance sur les choses de la terre, comme il l’avait sur les choses du ciel, lui qui s’étant fait homme, « n’a commis aucun péché, et dans la bouche duquel le mensonge n’a pas été trouvé ; » il devait avoir également la toute-puissance sur les régions inférieures, s’étant fait le premier-né des morts. C’est ainsi que tous les êtres qui lui sont soumis auront ressenti sa présence ; la lumière divine du Père, incorporée dans la chair du Christ, rayonne ensuite jusque sur nous ; c’est de cette manière que nous parvenons à l’incorruptibilité, préservés que nous sommes de la corruption par les rayons de la flamme divine.

Nous avons rassemblé précédemment une foule de preuves qui établissent que le Verbe, c’est-à-dire le fils de Dieu, n’a jamais cessé de coexister avec Dieu : il en a été de même de la Sagesse, c’est-à-dire de l’Esprit saint ; c’est lui-même qui dit à cet égard, par la bouche de Salomon : « Dieu a fondé la terre par sa Sagesse, il a créé les cieux par son intelligence. Par sa Sagesse il a creusé les abîmes ; les eaux sortent des mers, et les cieux répandent leur rosée. » Et dans un autre endroit : « Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies ; avant ses œuvres j’étais. Dès l’éternité j’ai été sacrée, dès le commencement, avant que la terre fût. Les abîmes n’étaient pas, et j’étais engendrée ; les sources étaient encore sans eaux, les montagnes n’étaient pas encore affermies, j’étais engendrée avant les collines. » Et ailleurs : « Lorsqu’il étendait les cieux, j’étais là ; lorsqu’il entourait l’abîme d’une digue, lorsqu’il suspendait les nuées, lorsqu’il fermait les sources de l’abîme, lorsqu’il posait les fondements de la terre, alors, j’étais auprès de lui ; nourrie par lui, j’étais tous les jours ses délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans l’univers ; et mes délices sont d’habiter avec les enfants des hommes. »

Il n’y a donc qu’un seul Dieu qui, aidé du Verbe et de la Sagesse, a tout fait, tout coordonné : voilà le vrai Demiurgos qui a destiné ce monde à être le séjour du genre humain, qui, sous le rapport de sa grandeur et de son immensité, ne peut être compris par ses créatures (car aucun de ceux qui sont morts et de ceux qui vivent maintenant n’a pu mesurer la profondeur de son être), mais qui, sous le rapport de son amour pour nous, peut être compris par nous, à l’aide de la grâce du Verbe, par lequel il a créé toutes choses. Or, celui qui est son Verbe, c’est notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’est fait homme lorsque les temps ont été accomplis, afin de coordonner la fin au commencement, c’est-à-dire d’unir l’homme à Dieu. C’est pourquoi les prophètes, qui avaient de ce même Verbe l’inspiration prophétique, ont annoncé son arrivée dans le monde selon la chair, laquelle devait être le signal de l’alliance et de l’union entre Dieu et le genre humain, selon qu’il était arrêté dans les décrets de Dieu. Ils ont donc prédit, dès les temps les plus anciens, qu’un Dieu serait vu sur la terre, qu’il converserait avec les hommes et demeurerait avec eux, qu’il viendrait pour sauver sa créature, en se montrant à elle, et pour délivrer le genre humain de la captivité où le tenaient ses ennemis, c’est-à-dire de l’esprit du mal. En nous faisant marcher dans la voie de la justice et de la vérité, durant notre vie mortelle, il nous rendrait dignes, par notre attachement à l’esprit de Dieu, de prendre part à la gloire de son Père.

Voilà ce que les prophètes annonçaient, en termes prophétiques ; mais ils n’annonçaient point, comme quelques-uns le prétendent, que ce Dieu, dont ils avaient la vision, était un Dieu différent du Père, qui serait resté invisible pour eux. Pour tenir un pareil langage, il ne faut pas savoir même ce que c’est qu’une prophétie. Qu’est-ce qu’une prophétie, si ce n’est la prédiction de l’avenir, c’est-à-dire la désignation faite à l’avance des choses futures ? Les prophètes annonçaient donc à l’avance que Dieu serait, un jour à venir, vu par les hommes de la même manière et dans le même sens que notre Seigneur a dit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Mais cela ne s’entend pas dans le sens de la gloire infinie de Dieu et de sa grandeur ineffable ; parce que Dieu ne peut être vu de cette manière par l’homme, suivant cet avertissement de l’Écriture, où il est dit : « L’homme ne peut voir Dieu sans mourir. » Cependant, en raison de son amour pour nous et de son humanité, et parce que tout lui est possible, Dieu accordera à ceux qui l’aiment le bonheur de le voir ; et c’est dans ce sens que parlaient les prophètes. Jésus-Christ d’ailleurs n’a-t-il pas dit que « ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ? » L’homme n’a point par lui-même la faculté de voir Dieu ; mais Dieu a le pouvoir de se montrer à ceux qu’il veut, quand il le veut et comme il le veut, car sa puissance n’a point de bornes. Les prophètes l’ont vu en esprit ; il a été vu par les hommes dans la personne du Fils, sur la terre ; il sera vu dans le royaume des cieux dans la personne du Père. L’Esprit a d’abord préparé l’homme à voir le Fils, le Fils le prépare à voir le Père ; et le Père donne à l’homme l’immortalité qui consiste à voir Dieu éternellement.

Lorsque nous voyons la lumière, la lumière nous enveloppe et nous percevons sa clarté ; il en est ainsi de ceux qui voient Dieu, ils sont plongés dans l’essence de Dieu, et ils perçoivent sa gloire. Cette gloire les vivifie, et ils sont abreuvés sans cesse d’une nouvelle vie. C’est de cette manière qu’il faut entendre que Dieu est impercevable, incompréhensible et invisible ; et que cependant il se rend visible, compréhensible et perceptible pour ceux qui ont mérité de le voir et d’être vivifiés par cette vue même. Car sa bonté est infinie autant que sa grandeur ; c’est cette bonté qui vivifie ceux qui jouissent du bonheur de le voir. La faculté de vivre ne se conçoit pas sans la vie : dans le ciel, l’élément de la vie n’est autre chose que la participation de Dieu ; or, participer à Dieu, c’est voir Dieu et jouir de l’effet de sa bonté.

Les hommes donc verront Dieu, et, élevés jusqu’à lui, ils puiseront le don de l’immortalité dans cette vue. Cette vérité, les prophètes l’ont annoncée dans un langage figuré, quand ils ont dit que Dieu se manifestera à ceux qui sont remplis de son esprit, et qui attendent son avènement avec une foi inébranlable. C’est dans ce sens que Moïse s’exprime dans le Deutéronome, quand il dit : « Et aujourd’hui nous avons connu que Dieu a parlé à un homme, et l’homme est demeuré vivant. » Quelques hommes alors jouissaient de la vue de l’esprit prophétique, et de l’opération de sa grâce qui se répand sur toutes choses ; d’autres avaient la vision de la venue future du Christ sur la terre ; ils voyaient comment le Fils, dès le commencement, exécute la volonté du Père qui est présent en tous lieux ; d’autres avaient la vision des gloires du Père, telles qu’elles se doivent manifester dans les différents temps, telles qu’elles ont été vues et ouïes dans le passé, telles que d’autres hommes doivent les ouïr et les voir dans l’avenir. C’est ainsi que Dieu se manifestait de diverses manières ; cette vue s’opère par la vertu du Saint-Esprit, par le don du Fils, et par la volonté du Père, et a pour but le salut et le bonheur de l’homme, comme l’exprime le prophète Osée : « C’est moi, dit-il, qui ai parlé aux prophètes ; moi j’ai multiplié leurs visions ; ils m’ont manifesté à vous par leurs oracles. » L’apôtre saint Paul parle dans le même sens, quand il dit : « Or, il y a diversité de dons spirituels, mais il n’y a qu’un même esprit ; il y a diversité de ministères, mais il n’y a qu’un même Seigneur ; il y a aussi diversité d’opérations, mais il n’y a qu’un même Dieu qui opère tout en tous. Et les dons du Saint-Esprit, qui se manifestent au dehors, sont donnés à chacun pour l’utilité de l’Église. » Celui qui opère tout en tous ne peut être que Dieu même. Quant à son essence et à sa grandeur, il est resté invisible et ineffable pour toutes ses créatures ; mais elles peuvent le connaître : elles savent, en effet, par les enseignements du Verbe, qu’il n’y a qu’un seul et même Dieu, qui contient toutes choses et qui donne la vie à tous les êtres, ainsi qu’il est écrit dans l’Évangile : « Nul ne vit jamais Dieu, si ce n’est le Fils unique qui est au sein du Père et qui l’a dit ainsi. »

C’est donc le Fils qui, dès le commencement, fait connaître la gloire du Père, car il est dans le sein du Père dès le commencement ; c’est lui qui donne les visions prophétiques, qui distribue les grâces et les dons célestes ; c’est ainsi qu’il glorifie le Père aux yeux du genre humain, et selon que cela est utile, dans les différents temps, au salut de l’homme. Car, là où est le pouvoir de créer, là aussi est sa continuité ; là où est sa continuité, là est l’opportunité ; et là où est l’opportunité, là aussi est l’utilité : c’est pourquoi le Verbe a été établi le dispensateur des grâces du Père, selon les besoins du genre humain, pour lequel il a opéré de si grandes choses, montrant ainsi Dieu à l’homme et l’homme à Dieu.

L’Esprit saint en prédisant l’avenir par la bouche des prophètes, pour préparer le genre humain à recevoir la loi de Dieu, annonçait ainsi à l’homme qu’il serait admis un jour à jouir de la vue de Dieu ; mais il fallait également que ceux qui annonçaient l’avenir jouissent, par l’esprit, de la vue de ce Dieu que l’homme devait voir un jour. C’était le seul moyen de donner une autorité suffisante à leurs prophéties et d’annoncer au monde, d’une manière efficace, et Dieu le père, et Dieu le fils, et pour que toutes les choses de Dieu fussent révélées à tous ceux d’entre les hommes, qui marchaient dans les voies de la justice, et qu’ils apprissent dès-lors à contempler, par la méditation, la gloire divine, à la participation de laquelle seront admis dans l’avenir tous ceux qui aiment Dieu. Car les prophètes prophétisèrent non-seulement par leurs discours, mais encore par leurs visions, par leurs communications avec les autres hommes et par tous les actes de leur vie, suivant les inspirations que leur fournissait l’Esprit saint. Sous ce rapport ils virent donc Dieu tout invisible qu’il soit, comme l’attestent ces paroles d’Isaïe : « Et j’ai vu de mes yeux le Seigneur, le roi des armées ; » ce qui signifie bien que l’homme pourra voir Dieu et entendre sa voix. C’est ainsi que les prophètes ont vu en esprit le fils de Dieu, conversant avec les hommes, qu’ils ont parlé de lui comme s’il était venu, quoiqu’il ne vînt point encore, qu’ils l’ont montré passible, bien qu’il fût encore impassible, et qu’ils l’ont fait voir descendant dans le séjour de la mort, bien qu’il fût encore dans les cieux. Quant aux autres circonstances de sa vie, ils les prophétisaient, les unes par des visions, les autres en les annonçant par leurs simples discours, d’autres encore par un récit circonstancié ; et ils voyaient d’avance les choses que les hommes devaient voir au sujet du Christ. Pour ce qui est de ses paroles, ils les citaient à l’avance ; et quant aux actions qu’il devait faire, ils faisaient eux-mêmes des actions semblables, annonçant ainsi prophétiquement tout l’ensemble de la vie du Christ. Aussi Moïse représentait-il Dieu armé de foudres vengeresses contre les transgresseurs de sa loi, et les menaçait-il de sa colère ; mais pour ceux qui étaient animés de la crainte de Dieu, il leur disait : « Le Roi des rois, le Seigneur, est un Dieu miséricordieux et clément, patient, riche en miséricorde et très-véritable ; qui conserve sa miséricorde jusqu’à mille générations ; qui efface l’iniquité, le crime et le péché. »

C’était le Verbe de Dieu qui apparaissait à Moïse et qui lui parlait : « Et le Seigneur parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. » Cependant Moïse exprima le désir de voir dans sa grandeur celui qui lui parfait, et telle fut la réponse qui lui fut faite : « Voici un lieu près de moi ; tu te tiendras là sur ce rocher. Lorsque ma gloire passera, je te placerai dans un creux de rocher, et je te couvrirai de ma main, jusqu’à ce que ma gloire soit passée. Ensuite je retirerai ma main et tu me verras par derrière ; mais il ne te sera point donné de voir ma face ; car aucun homme ne peut voir ma face sans mourir. » Ce qui signifie deux choses ; d’abord, que l’homme n’est pas capable de supporter la vue de Dieu ; ensuite, que l’homme, quand les temps seront venus, pourra voir Dieu du creux du rocher, c’est-à-dire Dieu revêtu de son humanité. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ce passage de l’Évangile, où il est dit que le Seigneur s’entretint avec Moïse et Élie, lors de sa transfiguration, annonçant ainsi que la promesse faite aux patriarches était accomplie.

Ce n’est donc point la face de Dieu que voyaient les prophètes, mais les desseins de Dieu et les circonstances extraordinaires par lesquelles il ramenait l’homme à la foi ; c’est ce qui est exprimé lorsque le Seigneur dit au prophète Élie : « Sors, et tiens toi debout sur la montagne devant le Seigneur. Et voilà que le Seigneur passa, et un vent violent et impétueux renversant les montagnes et brisant les rochers devant le Seigneur, et le Seigneur n’était point dans le vent ; et après le vent, un tremblement de terre, et le Seigneur n’était point dans ce tremblement ; et après le tremblement un feu, et le Seigneur n’était point dans ce feu ; et après le feu, on entendit le souffle d’un petit vent. » Nous voyons par ces passages de l’Écriture combien était terrible la colère de Dieu, allumée par les iniquités du peuple d’Israël, qui transgressait sa loi, qui mettait à mort ses prophètes ; mais nous voyons aussi que cette colère de Dieu s’apaise comme par degrés, et que tout fait déjà pressentir la future venue du Seigneur sur la terre, pour faire cesser la loi donnée par Moïse, et commencer le règne plus calme et plus doux de celui dont il avait été dit qu’il ne briserait pas même une paille, et qu’il n’éteindrait pas le feu d’un morceau de lin qui brûle. Son avènement était annoncé comme devant ouvrir un règne de paix et de clémence. En effet, après le vent impétueux qui brise les montagnes, qui fait trembler la terre, qui allume le feu de la foudre, devaient venir, à la suite de l’apparition du Christ, des temps plus pacifiques, plus convenables au progrès et au perfectionnement de l’humanité par l’esprit de Dieu. Mais nous trouvons encore dans Ézéchiel la preuve de ce que nous disions relativement à la manière dont les prophètes avaient eu la vue de Dieu, sans voir réellement Dieu lui-même. En effet, Ézéchiel raconte la vision extraordinaire qu’il a eue ; il parle des chérubins, des roues et de leur marche mystérieuse, et de la ressemblance d’un trône qui était par-dessus, et sur ce trône une ressemblance comme l’aspect d’un homme, et cet éclat d’un métal resplendissant qui brillait depuis ses reins jusqu’à sa tête, et depuis ses reins et au-dessous, comme l’apparence d’un feu étincelant tout autour ; mais après le récit de tout le détail de sa vision, pour qu’on ne pense pas qu’il a voulu dire qu’il ait vu Dieu, il ajoute : « Telle fut la vision de l’image de la gloire du Seigneur. »

Il est donc certain que ni Moïse, ni Élie, ni Ézéchiel n’ont point vu Dieu, bien qu’ils aient été admis à voir beaucoup de choses du ciel. Ce qu’ils voyaient n’était que des images de la gloire de Dieu et des symboles prophétiques des choses futures ; car Dieu le père est invisible pour la créature, comme le Christ l’a dit : personne n’a jamais vu Dieu. Mais il est donné à son Verbe de laisser voir la gloire du Père et ses mystères, lorsqu’il le juge utile pour le salut des hommes ; car, comme il le dit lui-même : « Le fils unique de Dieu, qui est dans le sein de son Père, manifeste sa gloire. » Le Verbe, en effet, qui participe à l’infinité de la puissance divine, est chargé d’interpréter Dieu à l’univers. Toutefois le Fils, qui peut faire voir la gloire du Père, ne le fait pas sous une seule figure, ni sous un seul aspect, mais il peut la montrer sous une infinité de formes différentes, suivant qu’il le juge utile à son dessein, comme on en trouve la preuve dans les prophéties de Daniel. Il raconte le miracle fait en faveur d’Ananias, d’Azarias, de Misaël, que Dieu sauva des atteintes du feu de la fournaise ardente, où ils avaient été jetés ; ce qui fit dire au roi Nabuchodonosor, frappé de ce prodige : « Je vois le quatrième dont la figure est celle d’un enfant de Dieu. » Ailleurs, c’est une pierre qui s’est détachée de la montagne sans la main de l’homme, et qui s’en va renverser les empires de la terre, devenus comme une poussière que le vent d’été emporte ; ensuite cette pierre devient une grande montagne et remplit à elle seule toute la terre. Plus loin, cette vision de Dieu se présente sous la figure du fils de Dieu, venant sur les nuées du ciel, et s’avançant jusqu’à l’Ancien des jours, qui lui donne la puissance universelle, et la gloire, et l’empire ; et sa puissance est une puissance éternelle, et son règne ne périra point. Il y a plus encore : Jean, le disciple du Seigneur, voyant de la vue prophétique, dans son Apocalypse, le dernier avènement du Seigneur, dans toute sa majesté et dans toute sa gloire, ajoute : « Et je me tournai pour voir quelle était la voix qui me parlait. Et en même temps je vis sept chandeliers d’or ; et au milieu des sept chandeliers d’or, quelqu’un qui ressemblait au Fils de l’homme, vêtu d’une longue robe, et ceint vers les mamelles d’une ceinture d’or. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche et comme de la neige ; et ses yeux paraissaient comme une flamme de feu. Ses pieds étaient semblables à l’airain fin, quand il est dans la fournaise ardente ; et sa voix était comme la voix des grandes eaux. Il avait sept étoiles en sa main droite ; de sa bouche sortait une épée à deux tranchants ; et son visage était éclatant comme le soleil dans sa splendeur. » Ainsi, il y a dans cette vision quelque chose qui indique une image de la gloire du Père, c’est la tête ; quelque chose qui marque la dignité pontificale, c’est la tunique (aussi ce fut la même forme que Moïse donna à la robe de ses grands prêtres) ; enfin, quelque chose qui indique la fin du monde, ce sont les pieds d’un airain semblable à celui qui est dans la fournaise. L’airain, en effet, marque la constance des justes et leur persévérance dans la foi, et le feu de la fournaise indique l’incendie universel de la fin du monde. Or, Jean ne put supporter la vue de cette vision ; c’est pourquoi il dit : « Je tombai comme mort à ses pieds, » afin que cette parole de l’Écriture s’accomplît, nul ne peut voir Dieu sans mourir. Mais le Verbe rassura aussitôt son disciple bien-aimé, celui qui avait reposé sur son sein lors de la cène, lorsqu’il lui demanda quel était celui qui le livrerait, et il lui dit : « Ne crains pas, je suis le premier et le dernier, et celui qui vit : j’ai été mort, mais maintenant je vis dans les siècles des siècles, et j’ai les clés de la mort et de l’enfer. » Il raconte ensuite une seconde vision, où il vit encore son même Seigneur : « Et voilà qu’au milieu du trône et des quatre animaux, et au milieu des vieillards, je vis un agneau debout comme immolé, ayant sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre. » Plus loin, il parle encore de l’agneau : « Et voilà un cheval blanc : celui qui était dessus s’appelait le fidèle et le véritable, qui juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme de feu ; il avait plusieurs diadèmes sur sa tête, et un nom écrit que nul ne connaît que lui. Et il était vêtu d’une robe teinte de sang, et il s’appelle le verbe de Dieu. Et les armées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues d’un lin blanc et pur. Et il sortait de sa bouche un glaive à deux tranchants pour en frapper les nations, car il les gouverne avec un sceptre de fer ; et lui-même foule le pressoir du vin de la fureur et de la colère du Dieu tout-puissant. Et il porte écrit sur son vêtement et sur sa cuisse : le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. » Ainsi, nous voyons que le Verbe avait toujours, en apparaissant aux hommes, quelques signes prophétiques des choses futures ; que les volontés du Père, à l’égard des hommes, se révélaient dans sa présence et qu’il enseignait les choses de Dieu.

Mais ce n’était pas seulement par des visions qui frappent les yeux, par des discours qui frappent les oreilles, que le Verbe faisait annoncer et figurer les choses futures par les prophètes, c’était encore par des actes matériels. Ainsi nous voyons dans l’Écriture que ce fut d’après un avertissement du Seigneur que le prophète Osée prit une femme de la terre des prostitutions, parce que cette terre se prostitue aux idoles, et se sépare du Seigneur, c’est-à-dire les hommes qui l’habitent. Cette action du prophète était une figure de ce que Dieu devait faire par la suite à l’égard de l’Église, qu’il sanctifierait en s’alliant à elle, de même qu’Osée sanctifiait, par son alliance avec elle, la femme souillée qu’il épousait ; « car, dit saint Paul, la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle. » Et de plus, le prophète adopta les enfants de cette femme, nés de ses désordres ; ce qui signifiait le peuple de Dieu, qui n’était plus son peuple par ses désordres, et qui ne méritait plus sa miséricorde ; de là ces paroles de l’apôtre : « Selon ce qui est dit dans Osée : j’appellerai mon peuple ceux qui n’étaient point mon peuple ; ma bien-aimée, celle que je n’avais point aimée ; et ma miséricorde, celle à qui je n’avais pas fait miséricorde. Et il arrivera que, dans le lieu même où je leur avais dit autrefois, vous n’êtes point mon peuple, ils seront appelés enfants du Dieu vivant. » L’apôtre explique ainsi que ce qu’Osée avait fait était la figure de ce que le Christ devait faire à l’égard de l’Église. Nous voyons de même que Moïse prit une Éthiopienne dont il fit une Israélite par son alliance avec elle ; car l’olivier sauvage, en s’alliant par la greffe à l’olivier fertile, devient aussi bon et aussi beau que lui. Ceci signifiait qu’un jour le Christ serait mis à mort par le peuple même dont il faisait partie selon la chair, et qu’il serait sauvé par l’Égypte de la fureur d’Hérode ; l’Égypte signifiant les gentils dont Dieu s’est servi pour établir son Église (l’Égypte, en effet, ainsi que l’Éthiopie, faisaient partie de ce qu’on appelait alors les gentils). Ainsi l’alliance de Moïse avec l’Éthiopienne est la figure de l’alliance du Verbe avec les gentils, au moyen desquels il a formé et fondé son Église. Ceux donc qui la renieront, qui la mépriseront, qui s’élèveront contre elle, tomberont dans la corruption ; ils deviendront lépreux et seront rejetés de la cité des justes.

Nous voyons encore dans l’Écriture un autre exemple de ce que nous venons de dire, lorsque Rahab la courtisanne, qui s’accusait elle-même d’être pécheresse et de la race des gentils, reçut chez elle et cacha les trois hommes, qui avaient été envoyés pour observer le pays et les habitants de Jéricho. Ces trois hommes sont la figure du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que l’Église reçoit dans son sein, et qui la sauvent. Aussi, lorsque tout le pays de Jéricho eut été ravagé, au son des sept trompettes, la courtisanne Rahab fut-elle sauvée avec toute sa maison, qui fut reconnue au signal convenu de la corde rouge dont les trois espions s’étaient servis pour sortir de chez elle par la fenêtre. C’est à ceci que notre Seigneur faisait allusion dans ses discours, lorsqu’il parlait à ceux qui ne voulaient pas croire à la vérité de sa venue sur la terre, et qui niaient l’explication symbolique du cordon rouge, symbole qui avait servi à la délivrance du peuple en Égypte, et qui était rappelé dans la cérémonie de la pâque : « Je vous dis en vérité que les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu. »

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