Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XXIX

Réfutation de l’argument des marcionites, qui s’efforçaient de faire considérer Dieu comme l’auteur du mal, parce qu’on lit dans l’Écriture qu’il frappa d’aveuglement Pharaon et ses ministres.

Ceux dont nous avons exposé les objections dans le chapitre qui précède, croient nous embarrasser en nous citant l’exemple de Pharaon, dont Dieu, disent-ils, endurcit le cœur, ainsi que celui de ses ministres. Mais ceux qui font une pareille objection n’ont pas lu l’Évangile ; car ils y auraient vu que les disciples, ayant demandé au Seigneur, pourquoi il parlait à la multitude en paraboles, Jésus répondit : « Parce qu’il vous est donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais pour eux, il ne leur a pas été donné. C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce que en voyant, il ne voient rien ; et en écoutant, ils n’entendent ni ne comprennent point. Et la parole du prophète Isaïe s’accomplit en eux : Vous écouterez attentivement et n’entendrez pas, et en regardant vous ne verrez pas ; car le cœur de ce peuple s’est appesanti, et ses oreilles se sont endurcies, et ses yeux se sont fermés. Mais heureux vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. » C’est donc le seul et le même Dieu, qui frappe d’aveuglement ceux qui ne se contentent pas de ne pas croire en lui, mais encore qui nient sa puissance ; de même que le soleil, qui est un de ses ouvrages, aveugle ceux auxquels quelque infirmité de l’organe de la vue ne permet pas de contempler sa clarté. Mais Dieu augmente les lumières intellectuelles de ceux qui croient en lui et qui suivent sa loi. C’est dans ce sens que l’apôtre, dans sa deuxième épître aux Corinthiens, dit : « Et pour ces infidèles, dont le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits, afin qu’ils ne soient point éclairés par la lumière de l’Évangile de la gloire de Jésus-Christ, qui est l’image de Dieu. » Il dit encore dans l’épître aux Romains : « Et comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance de Dieu, Dieu aussi les a livrés à un sens dépravé, en sorte qu’ils ont fait des actions indignes de l’homme. » Dans la deuxième épître aux Thessaloniciens, il s’explique clairement à ce sujet, quand, en parlant de l’Antéchrist, il dit : « C’est pourquoi Dieu leur enverra cet impie qui, par de puissantes impostures, leur persuadera le mensonge, afin que tous ceux qui n’ont point cru à la vérité et qui ont consenti à l’iniquité soient condamnés. »

Or donc, si Dieu qui connaît tout, et qui sait que ces hommes pervers ne voudront pas croire, s’il les abandonne à leur propre infidélité et aux ténèbres qu’ils ont eux-mêmes préférées, et s’il détourne d’eux ses regards, qu’y a-t-il là de contradictoire ? et pourquoi trouver mal que Dieu ait abandonné Pharaon et ses serviteurs à leur propre infidélité et à leur propre incrédulité ? C’est pourquoi l’esprit de Dieu qui parla à Moïse auprès du buisson ardent lui dit : « Mais je sais que le roi d’Égypte ne permettra pas que vous sortiez, si ce n’est par la force. » Voilà aussi pourquoi notre Seigneur s’exprimait en paraboles en présence de ceux dont il connaissait l’incrédulité sans retour, en les maintenant dans leur aveuglement, afin qu’ils vissent sans voir. C’est ainsi qu’il agit à l’égard de Pharaon, dont il endurcissait le cœur, de peur qu’il ne reconnût le doigt de Dieu dans ce qui avait lieu pour le salut d’Israël ; car il attribua à l’effet de quelque opération magique la sortie des Hébreux de l’Égypte, ainsi que leur passage à travers la mer Rouge.

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