Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XXXIX

L’homme a reçu la faculté de discerner le bien et le mal, afin de pouvoir suivre dans une pleine liberté et de sa propre volonté les commandements de Dieu, et avoir ainsi les moyens de se rendre plus parfait, et d’éviter le châtiment destiné à ceux qui enfreignent ces commandements.

L’homme a été doué de la faculté de discerner le bien et le mal : le bien consiste à croire en Dieu, à lui obéir, à garder ses commandements ; c’est là ce qui donne la vie éternelle à l’homme ; et par contre, le mal est dans la désobéissance. Le discernement est comme l’œil de l’âme, au moyen duquel elle acquiert l’expérience du mal et du bien, apprend à juger ce qui est plus parfait, et exécute avec zèle et sans relâche les commandements de Dieu ; le discernement lui enseigne ainsi que ce qui lui fait perdre la vie éternelle est le mal qui provient de la désobéissance à la loi de Dieu, qu’il faut par conséquent l’éviter et rechercher avec ardeur ce qui donne la vie éternelle, le bien, c’est-à-dire l’obéissance aux ordres de Dieu. Et comment l’âme pourrait-elle connaître ce qui est bien, si elle ignorait ce qui lui est contraire, ou le mal ? car nous acquérons une connaissance bien plus sûre des choses que nous avons sous les yeux, que de celles que nous ne pouvons entrevoir que par déductions et par conjectures. De même que la langue acquiert par le goût le sentiment de ce qui est doux et de ce qui est amer, que l’œil distingue par l’effet de la vision ce qui est noir de ce qui est blanc, que l’oreille apprend par l’ouïe à distinguer les sons les uns des autres, ainsi l’âme, par l’expérience du mal et du bien, s’affermit dans la pratique de l’obéissance de Dieu. D’abord, la pénitence qu’elle est obligée de faire de son péché lui en fait sentir toute l’amertume ; puis la comparaison qu’elle fait du bien et du mal lui inspire pour celui-ci la plus grande horreur. Celui donc qui néglige d’acquérir cette connaissance du bien et du mal, court à sa perte et devient homicide envers lui-même.

Comment l’homme, qui n’a pas le pouvoir de se créer lui-même, pourrait-il s’égaler à Dieu ? comment cet être, qui n’existait pas naguère, pourrait-il devenir parfait tout à coup ? comment parviendra-t-il à l’immortalité, si, pendant sa vie mortelle, il n’a pas obéi à son Créateur ? Il faut que nous nous soumettions d’abord aux conditions de notre vie d’homme, avant de participer à la gloire de Dieu ; ce n’est pas nous qui faisons Dieu, mais c’est Dieu qui nous fait. Si donc nous sommes l’ouvrage de Dieu, abandonnons-nous à la main qui nous a formés, et qui nous peut perfectionner ; prêtons-nous à l’achèvement de son œuvre autant qu’il est en nous ; gardons-lui un cœur docile et fidèle ; ne défigurons point les traits qu’il nous a donnés ; ne nous laissons point endurcir, de peur que sa main nous trouve impropres à prendre une forme plus parfaite ; ne gâtons pas le premier travail de Dieu, afin de devenir plus parfaits ; c’est son art divin qui fait que le limon de la terre dont nos corps ont été formés n’est pas visible aux yeux. Sa main nous a donné jusqu’à présent notre première forme, bientôt il nous oindra en dedans et au dehors, il nous revêtira d’or et d’argent purs, et il nous donnera une beauté si parfaite, que les anges en seront jaloux. Mais si, résistant à sa main divine et endurcissant son cœur, l’homme devient ingrat envers Dieu, Dieu deviendra dur envers l’homme, et il laissera là son œuvre imparfaite ; il appartient à la nature bienveillante de Dieu d’agir sur ses créatures, et il est de la nature de la créature de ne pas contrarier l’action de Dieu sur elle. Si donc nous nous prêtons autant qu’il est en nous au travail de Dieu, par notre foi et notre soumission, il fera de nous des créatures pleines de perfection.

Mais si vous ne croyez pas à la puissance de Dieu et que vous vous soustrayez à sa main, c’est vous-même alors qui serez la cause de votre imperfection, et il ne faudra pas vous en prendre à Dieu. Il a envoyé ses serviteurs pour convier les gens aux noces, et ceux qui n’ont pas répondu à cet appel se sont eux-mêmes privés de participer au banquet. Ici ce n’est pas l’art de Dieu qui est en défaut, car il peut faire naître des pierres mêmes, des enfants d’Abraham ; mais celui qui ne se rend pas digne de cet art divin est lui-même la cause de son imperfection.

Ceux donc qui se sont volontairement aveuglés ne se privent éternellement de la lumière, que parce qu’ils ont persévéré dans leur premier aveuglement. Une fois qu’on a perdu la lumière, personne ne peut se la rendre à soi-même, et Dieu ne viendra point en aide à celui qui ne veut pas se prêter à sa bonté réparatrice. Ainsi, ceux qui volontairement se sont privés de la participation à la lumière, et qui ont violé la loi de liberté, ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur malheur, puisqu’ils jouissaient, en agissant, de leur propre liberté.

Dieu, dans sa prescience infinie, a préparé pour chacun un séjour en rapport avec son mérite : un séjour de gloire et de lumière est destiné pour ceux qui, dès cette vie, aiment et recherchent cette lumière incorruptible ; et quant à ceux qui méprisent cette lumière, qui se détournent d’elle, qui la fuient, et qui s’aveuglent en quelque sorte eux-mêmes, ils iront après cette vie dans des lieux pleins de ténèbres, et conformes à ce qu’ils auront recherché ; leur désobéissance trouvera son juste châtiment. Obéir à Dieu, c’est se préparer une éternité de repos : ceux qui ne veulent pas de ce repos, et qui ont méprisé la lumière, habiteront un séjour conforme à cette répugnance qu’ils auront montrée pour la lumière. Comme auprès de Dieu tout est trésor de richesses et de bonheur, ceux qui volontairement s’éloignent de Dieu s’excluent par cela eux-mêmes de tous biens et se livrent au juste jugement de Dieu. N’est-il pas juste que ceux qui ont fui le repos éternel, qui ont fui la lumière, rencontrent à la fois le séjour de la fatigue et des ténèbres ? Dans cette vie où nous sommes, ne dit-on pas que ceux qui fuient la lumière se dévouent aux ténèbres, en sorte que c’est eux-mêmes qui se privent de la lumière et qui recherchent les ténèbres ? Ce n’est donc pas à la lumière qu’il faudra s’en prendre de leur conduite, mais bien à eux-mêmes, ainsi que nous l’avons déjà dit ; car ils ont fui la lumière divine, qui est la source de tout bien, et ils ont recherché les ténèbres dans lesquelles ils seront plongés.

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