Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XL

Que c’est un seul et même Dieu qui punit les méchants et qui récompense les bons.

Nous n’en saurions douter, le Dieu qui prépare des biens éternels à ceux qui auront désiré de s’unir à lui, et qui auront persévéré dans l’accomplissement de ses commandements, est bien le même Dieu qui prépare aussi le feu éternel au démon, le prince de toutes les discordes, et aux anges qui l’ont suivi dans sa révolte : c’est dans ce feu que seront jetés ceux qui, lors du jugement, auront été trouvés à la gauche. C’est ce qui a fait dire au prophète : « Je fais la paix et je crée la guerre ; je suis le Seigneur ; moi seul ai tout fait ; » c’est-à-dire, qu’il fait la paix et qu’il contracte alliance avec ceux qui, après avoir péché, font pénitence et reviennent à lui ; mais il prépare le feu éternel et les ténèbres extérieures à ceux qui, loin de faire pénitence, fuient sa lumière, ce qui est le plus grand des maux pour ceux qui s’y exposent.

Certes, s’il y avait deux dieux, dont l’un se serait chargé de préparer le bonheur des justes, et l’autre, de préparer les supplices des méchants, il faudrait supposer qu’ils auraient chacun des créatures différentes qui dépendraient de chacun d’eux ; l’un envoyant les siennes dans le royaume de son Père, l’autre celles qui dépendraient de lui dans son feu éternel. Mais, tout au contraire, c’est le même Dieu qui nous annonce qu’au dernier jugement, il séparera tout le genre humain en deux parts, « comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs. » Aux uns il dira : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ; et aux autres il dira : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. » Ceci démontre donc bien clairement, que c’est le même Dieu qui fait, suivant l’expression du prophète, la paix et la guerre, qui donne à chacun le sort qu’il a mérité, et qui punit ou récompense. C’est cette vérité que le Seigneur nous enseigne lui-même dans la parabole du bon grain et de l’ivraie : « Comme on arrache l’ivraie et qu’on la jette au feu, il en sera ainsi à la fin du monde ; le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l’iniquité, et il les jetteront dans la fournaise du feu : là seront les pleurs et les grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. »

Il est lui-même ce père de famille qui a semé le bon grain dans son champ ; ce champ, c’est le monde. « Et pendant que les serviteurs dormaient, son ennemi vint, sema l’ivraie au milieu du blé, et s’en alla. » Or, cet ennemi qui sème l’ivraie, c’est l’ange de ténèbres, devenu jaloux de l’homme, puis ayant osé se révolter contre son Créateur. Dieu, dans sa justice, prive à jamais du salut celui qui a accueilli en secret et avec joie la mauvaise semence de l’ivraie, c’est-à-dire qui s’est complu dans le péché ; mais sa miséricorde pardonne à celui qui n’est coupable que par négligence et qui n’a péché qu’à regret ; il lui retire son inimitié, qu’il reporte toute entière sur le démon, cause première de tous les maux et qui avait voulu faire de cet homme un ennemi de Dieu ; il la reporte sur le serpent, et ainsi s’accomplit la malédiction qu’il a prononcée contre le serpent : « Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne : elle te brisera la tête et tu la blesseras au talon. » Voilà donc comment la colère de Dieu contre l’homme, à cause de sa désobéissance, se reporta sur le démon. Ce point a été traité dans le livre précédent.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant