Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE PREMIER

Le Christ seul pouvait nous racheter et nous enseigner les choses divines ; mais pour opérer notre rédemption réelle, il a dû revêtir la chair dans le sein de la vierge par l’opération de l’Esprit saint. Réfutation des idées chimériques de Valentin et d’Ébion sur ce sujet.

Nous ne pouvions, en effet, arriver à la connaissance des choses de Dieu que par le Verbe, qui nous les a enseignées en se faisant homme. Quel autre aurait pu nous faire connaître les mystères du Père, si ce n’était son propre Verbe ; car, comme dit l’apôtre, « qui a connu les desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? » Et nous ne pouvions apprendre ces choses qu’en voyant nous-mêmes celui qui nous les enseignait, et en écoutant sa voix. C’est ainsi que nous pouvions devenir les imitateurs de ses actions et mettre en pratique ses leçons, et entrer par ce moyen en communication spirituelle avec lui, recevant le don de perfection de celui qui est la perfection même et la substance des substances. Celui qui est le seul parfait, le seul bon, qui possède seul le don de l’incorruptibilité nous a faits à son image, pour nous marquer du sceau de la prédestination par laquelle nous appartenons à sa prescience même avant d’être ; nous sommes ainsi devenus le premier anneau de la chaîne de perfection spirituelle, avec le secours du Christ, qui est lui-même la source de toute perfection, et qui nous donne sa sagesse au temps marqué, car le Verbe, unissant sa puissance divine à son humanité, nous a rachetés par son sang, en se livrant lui-même pour payer notre rançon et nous tirer de l’état de captivité où nous étions. Nous étions sous l’empire injuste du malin esprit ; mais comme, d’après notre nature, nous étions sous la dépendance du Tout-Puissant, il a fallu qu’il nous répudiât d’abord pour nous racheter ensuite, et pour faire de nous ses serviteurs. Le Verbe de Dieu est puissant en toutes choses, sa justice ne lui fait jamais défaut ; et c’est elle qui l’a armé de courroux contre l’esprit rebelle, et l’a porté à racheter de lui la créature qui lui appartenait ; mais, à la différence de la domination violente que l’esprit rebelle exerçait sur nous, après s’être emparé de nous par la ruse, il nous a rachetés sans violence ; il n’a employé que la persuasion, comme il convient à un Dieu, et nous a imposé son joug avec douceur ; car il ne voulait pas briser ce qui était resté de bon en nous, et il voulait conserver la créature telle qu’elle était sortie autrefois de la main de Dieu.

Ainsi, voilà toute la vérité : notre Seigneur nous a rachetés par son sang, en donnant sa vie pour notre vie et son corps pour nos corps ; il a établi, par l’effusion de l’esprit du Père, une communion entre Dieu et l’homme ; il a fait monter l’homme vers Dieu par l’esprit, et il a abaissé Dieu jusqu’à l’homme par son incarnation ; enfin, en se communiquant à nous par son avènement sur la terre, il nous a donné en vérité et en réalité le don d’être immortels et incorruptibles. Ainsi, en présence de ces vérités, s’évanouissent toutes les vaines doctrines des hérétiques.

C’est donc une chimère de soutenir que le Christ n’est pas venu en réalité sur la terre ; car tous les actes qu’il a faits, loin d’avoir été de simples apparences, ont eu, au contraire, un caractère de réalité substantielle. Si, n’étant pas homme, il avait les apparences d’un homme, dirait-on cependant qu’il n’a pas été vu comme il est dans la réalité, c’est-à-dire comme l’esprit de Dieu, puisque l’esprit est invisible ? dès lors il n’y avait donc en lui aucune réalité, car ce qu’il paraissait être n’était en aucune manière ce qu’il était. Cependant nous avons prouvé par l’Écriture, qu’Abraham et les autres prophètes, qui ont prédit sa venue, l’avaient vu tel qu’il devait être quand il viendrait sur la terre, par une vision prophétique. Si donc celui que nous croyons être venu parmi les hommes n’avait été qu’une simple apparence et non point un Dieu réel, ce serait une pure illusion de la part de ceux qui ont cru le voir, et il faudrait que nous espérassions son avènement pour un autre temps où il se montrera en réalité, et tel que l’ont vu les prophètes. Or, nous avons démontré que dire qu’il n’a été vu qu’en apparence, et dire qu’il n’a rien pris de la chair de Marie, c’est dire une seule et même chose ; car, s’il en était autrement, il n’aurait eu ni le sang ni la chair dont il s’est servi pour opérer notre rédemption, qui ne pouvait avoir lieu que parce qu’il reproduisait en lui la forme primitive donnée à Adam, lors de sa création. Ainsi toutes les difficultés que les valentiniens veulent élever à ce sujet, dans l’espérance de nous faire renoncer à notre salut et d’en déshériter l’image de Dieu, est tout à fait sans fondement.

Nous en dirons de même des ébionites, qui ne veulent pas faire entrer dans leur esprit, par la foi, l’union de Dieu et de l’homme dans le mystère de l’incarnation, mais qui ne veulent y voir que l’ancien ferment de la génération purement humaine. Pourquoi ne veulent-ils pas comprendre que la vertu du Très-Haut descendit sur Marie par l’opération du Saint-Esprit ? C’est pourquoi ce qui fut engendré fut saint, et le fils du Très-Haut, dans le mystère de son incarnation, apparut comme une procréation nouvelle ; car de même que, par les conséquences de la génération ordinaire, nous héritons de la mort, de même, par cette génération nouvelle, nous devenons héritiers de la vie. Ils repoussent donc l’idée d’une génération céleste, n’admettant que l’acte de la génération ordinaire, et excluant toute opération divine ; ils persévèrent ainsi dans la damnation d’Adam, qui a été vaincu par le péché et chassé du paradis terrestre ; ils ne comprennent pas non plus que de même que, dès l’origine de la création de l’homme, le souffle de Dieu, en se communiquant à son œuvre, a animé l’homme et en a fait un animal raisonnable, ainsi le verbe du Père et l’esprit de Dieu, en s’incorporant à la forme humaine, telle qu’elle fut créée dans la personne d’Adam, a donné à l’homme une nouvelle vie et une nouvelle perfection, qui est un reflet de la perfection de Dieu ; et comme nous avons reçu la mort dans l’homme matériel, ainsi nous recevrons la vie dans l’homme spirituel. Vous n’avez pas oublié sans doute que, lors de la création de l’homme, Dieu parlant à ses mains, c’est-à-dire au Verbe et à l’Esprit, leur dit : « Faisons l’homme à notre « image et à notre ressemblance ; » de même, dans le mystère de l’incarnation, rien ne s’est fait, ni par la volonté de la chair, ni par la volonté de l’homme ; mais c’est le Père qui, avec la coopération de ses mains, a formé l’homme vivant et parfait, afin qu’Adam redevînt semblable à l’image et à la ressemblance de Dieu.

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