Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE II

Lorsque le Christ, dans son infinie bonté, a daigné nous visiter, lorsqu’il est venu nous rendre capables de parvenir au salut, en versant son sang véritable pour nous et en offrant son vrai corps dans l’Eucharistie, il l’a fait par amour pour sa propre créature.

Il en est qui, dans leurs idées chimériques, voudraient prétendre que Dieu est venu sur la terre pour sauver des êtres qui ne lui appartenaient pas, comme un Dieu jaloux du bien d’autrui ; et pourquoi faire ? pour faire connaître à Dieu une humanité nouvelle qu’il n’aurait ni créée ni formée, parce que, dès le commencement, étant mécontent de son œuvre, il aurait renoncé à créer des hommes. D’après ce système, l’avènement du Christ aurait eu lieu sans motif, puisqu’il serait venu pour des créatures qui lui auraient été étrangères ; et d’ailleurs, comment nous aurait-il rachetés par son sang, s’il n’avait pas réellement revêtu notre humanité, pour rendre à l’homme sa ressemblance et sa conformité avec Dieu, qui lui avaient été données lors de sa formation, et que le péché lui avait fait perdre. En agissant ainsi, loin de s’emparer par ruse de la propriété d’autrui, il rentrait, au contraire, avec justice, en possession de ce qui lui appartenait ; quant au péché, il en effaçait la souillure par son sang ; quant à nous, qui recevions le bienfait de la rédemption, il faisait acte d’une bonté infinie. Car nous ne lui avions rien donné auparavant ; il n’avait pas besoin de nous et il ne nous demandait rien. Mais nous, nous avions besoin d’entrer en communication avec lui pour être sauvés ; c’est pour cela qu’il est descendu des cieux, qu’il est venu sur la terre pour nous rassembler et nous recueillir dans le sein de son Père.

Elle est donc chimérique de tous points l’opinion de ceux qui dédaignent ainsi de reconnaître tous les desseins de Dieu sur nous, qui refusent le salut à l’homme, et nient la régénération de la chair, disant que la chair n’est pas capable de devenir incorruptible. Or, si cette régénération de la chair ne pouvait pas avoir lieu /alors il serait faux que notre Seigneur nous eût rachetés de son sang ; il ne serait pas vrai que le vin fût changé en son sang dans l’Eucharistie, et que le pain qui nous y est donné fût son corps. Car, le sang suppose les veines et les chairs, et tout ce qui fait partie de la conformation de l’homme, que le verbe de Dieu a bien voulu prendre pour notre salut. Il nous a donc réellement rachetés par son sang, selon ces paroles de l’apôtre, « par le sang duquel nous avons été rachetés, et nous avons reçu le pardon de nos péchés. » Et c’est parce que nous sommes ses membres, qu’il nous nourrit au moyen des choses créées par lui ; c’est pour nous qu’il fait luire son soleil et tomber la pluie quand il veut ; il fait servir à notre usage ce calice, qui est un objet créé, et qui contient son sang, que nous buvons, et qui fortifie notre sang ; et ce pain, créature aussi, qui contient son corps, que vous mangeons, et qui nourrit notre corps.

Il faut donc reconnaître que le vin et le pain de l’Eucharistie deviennent, par le pouvoir de la parole de Dieu, le corps et le sang de Jésus-Christ, et servent ensuite à nourrir et à entretenir la vie dans notre corps ; mais alors, comment peut-on ne pas reconnaître que la chair, ou que notre corps ne puisse également recevoir de Dieu le don de la vie éternelle, dès que ce corps se nourrit du corps et du sang du Christ, et devient un de ses membres, et comme le dit l’apôtre saint Paul dans l’épître aux Éphésiens : « Parce que nous sommes les membres de « son corps, formés de sa chair et de ses os ? » Or, ces paroles ne peuvent s’appliquer à quelque chose de purement incorporel et d’invisible, (car un esprit n’a ni chair ni os) ; mais elles s’appliquent évidemment à une chose conformée comme l’homme, et qui contient de la chair, des nerfs et des os, pour qui le vin qui est dans le calice, et qui est le sang du Christ, et le pain qui est son corps, deviennent une nourriture. De même que le ceps de la vigne, caché d’abord dans le sein de la terre, pousse et fructifie quand le temps est venu ; de même encore que le grain de blé, confié à la terre, se décompose, reparaît ensuite et se multiplie au centuple, par la vertu de l’esprit de Dieu qui contient tout ; que ces choses servent ensuite aux besoins de l’homme, lorsqu’il les reçoit dans l’Eucharistie, devenues le corps et le sang de Jésus-Christ, sous la forme du pain et du vin ; ainsi, nos corps, après avoir été nourris de cette divine nourriture, après avoir été déposés dans la terre, et s’y être dissous, ressusciteront, quand le temps sera venu, par l’effet de la puissante parole du Verbe, et pour la gloire de Dieu. Car Dieu donne gratuitement l’immortalité à ce qui est mortel, et l’incorruptibilité à ce qui est corruptible, parce que sa puissance éclate d’autant plus qu’il met la perfection dans ce qui était plus imparfait ; ce qui doit nous avertir de ne pas tirer vanité d’un tel bienfait, puisque nous ne pouvons rien par nous-mêmes ; car notre orgueil se tournerait en ingratitude. Ces bienfaits de Dieu doivent donc nous apprendre que cette immortalité, qu’il veut bien nous conférer, et le bonheur que nous aurons à le contempler dans toute sa gloire, sont un pur effet de sa miséricorde infinie envers nous ; et nous devons nous rendre de plus en plus justice sur notre faiblesse, et apprécier combien la puissance et la bonté de Dieu sont infinies. Pénétrés de ces sentiments, nous comprendrons parfaitement les rapports qui existent entre Dieu et l’homme. Et qui sait peut-être si, comme nous l’avons déjà dit, les desseins de Dieu, en nous annonçant cette révolution que nous devons subir, n’a pas été d’exciter notre zèle à le servir en toutes choses, et d’accroître notre application à la connaître et à nous connaître nous-mêmes.

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