Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE III

Dieu manifestera sa puissance et sa gloire par la résurrection de nos corps, dont il fera des corps immortels après les avoir formés et pétris du limon de la terre, et en accordant dans le ciel une éternité de vie à ces corps qui n’avaient eu sur la terre qu’une existence et une durée passagères.

L’apôtre saint Paul nous enseigne que l’homme a été abandonné à toute sa faiblesse, pour le prémunir contre les égarements dans lesquels l’orgueil pourrait l’entraîner ; c’est ce qu’il dit dans la deuxième épître aux Corinthiens : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, un aiguillon a été donné à ma chair, comme un ange de satan, pour me donner des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi. Il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse. Je me glorifierai donc volontiers de mes faiblesses, afin que la force de Jésus-Christ réside en moi. »

Eh quoi ! dira-t-on, le Seigneur aurait voulu que son apôtre reçût ainsi des soufflets, et il aurait approuvé un si grand abaissement ! Oui, dit le Verbe ; car la force se perfectionne dans la faiblesse, parce que celui qui apprend, dans le sentiment de sa faiblesse, à connaître la puissance de Dieu, en devient meilleur. En effet, si la réflexion et l’expérience n’avaient appris à l’homme qu’il est faible et mortel, et que Dieu est tout-puissant et immortel, comment aurait-il jamais pu le savoir ? (Il est bon d’apprendre par la souffrance la mesure de sa faiblesse ; il est meilleur encore de bien connaître sa propre nature. Mais quand l’homme s’élève contre Dieu, quand il s’enfle d’une vaine gloire, il devient ingrat envers son créateur, et il attire par cette conduite une foule de maux sur la terre). L’homme doit donc aimer Dieu, comme l’auteur de toute vérité et comme son créateur. La puissance de Dieu et la faiblesse de l’homme sont aussi certaines l’une que l’autre ; mais la connaissance que l’homme en a, le mène à la connaissance de Dieu, et augmente son amour pour lui. Or, cet accroissement de l’amour divin, en même temps qu’il tourne à la gloire de Dieu, est un moyen de perfection pour ceux qui en sont remplis.

C’est donc nier la puissance de Dieu, c’est fermer les yeux à la vérité, que d’accuser la faiblesse de la chair, et de ne pas vouloir admirer cette force et cette vertu qui est capable de la ressusciter d’entre les morts. Mais si Dieu n’était pas capable de donner la vie à ce qui est mort, de rendre incorruptible ce qui est corruptible, il ne serait pas tout-puissant. Loin de là, il nous donne, dans l’acte même de notre création, une preuve de sa puissance infinie ; car c’est avec du limon de la terre qu’il a formé l’homme. Et d’ailleurs, n’est-il pas plus incroyable et plus extraordinaire de tirer du néant tout ce qui constitue le corps de l’homme, des os, des nerfs, des veines et tout le reste ; d’en faire ensuite un animal raisonnable ; cela ne paraît-il pas plus difficile que de rendre à la vie une seconde fois le corps, après son dépôt et sa dissolution dans le sein de la terré, bien que ce soit pour entrer dans une vie nouvelle, et pour subir une transformation, dont il n’aurait pas eu besoin sans le péché ? Car celui qui a tiré l’homme du néant, au temps où il l’a voulu, pourra bien sans doute, par la même puissance de sa volonté, rendre à l’homme cette même vie qu’il lui avait d’abord donnée. Pourquoi la chair de l’homme, après avoir été modelée lors de la première création par l’artiste-Dieu, ne pourrait-elle pas encore reprendre les mêmes formes sous sa main puissante ? Chaque membre, en effet, n’est-il pas ordonné avec un art infini, l’œil pour voir, l’oreille pour entendre, la main pour toucher et pour agir, les nerfs répandus sur toute la surface du corps pour maintenir chaque membre à sa place, les veines et les artères pour la circulation du sang et des esprits animaux, les viscères pour remplir chacun une fonction particulière, le sang pour servir aux rapports entre l’âme et le corps ! Quoi donc ! est-il besoin de décrire avec quel art merveilleux tout est disposé dans la conformation du corps de l’homme, pour prouver qu’un pareil ouvrage atteste la sagesse et la science infinie d’un Dieu ? Or, ce qui est le produit de la sagesse et de l’art divin est aussi et en même temps le produit de sa puissance.

Notre corps est donc sans cesse sous l’influence de la sagesse et de la puissance de Dieu ; car sa force, qui nous donne la vie, s’exerce sur astre faiblesse, c’est-à-dire sur notre chair. Or, ceux qui prétendent que ta chair n’est pas capable de recevoir de Dieu une seconde vie, peuvent-ils, maintenant qu’ils sont vivants, et tandis qu’ils sont en possession de toutes les facultés de la vie, peuvent-ils, dis-je, soutenir qu’ils ne sont pas en vie, mais au contraire qu’ils sont morts ? Mais s’ils ne sont pas vivants, comment se fait-il qu’ils se meuvent, qu’ils parlent, et qu’ils se livrent à tous les actes qui ne sont propre » qu’aux vivants ? Et s’ils sont vivants en ce moment et si tout leur corps participe à la vie, comment pourraient-on dire que la chair n’est pas capable de recevoir de Dieu la vie ? J’aimerais autant voir un homme qui tient à sa main une éponge imbibée d’eau, ou un fagot allumé, venir nous dire que l’éponge n’est pas susceptible d’être mouillée par l’eau, ni le fagot d’être brûlé par le feu. Nos adversaires sont donc en pleine contradiction avec eux-mêmes, puisque d’un côté ils confessent qu’ils jouissent de la vie, qu’ils la sentent circuler dans leurs membres ; et que de l’autre, ils nous disent que leurs membres ne sont pas susceptibles de recevoir l’action de la vie. Si donc l’action de cette vie temporelle et bien moins énergique sans doute que la vie immortelle, a cependant assez de puissance pour vivifier nos membres mortels, comment peut-on supposer que cette vie, quand elle aura reçu le don de l’immortalité, ne pourrait pas vivifier notre chair, qui aura déjà été exercée et comme accoutumée à porter la vie ? Tout ceci démontre que la chair, par cela même qu’elle vit, participe réellement à la vie. Elle vit autant que Dieu veut qu’elle vive. Or, il est de toute évidence que Dieu est assez puissant pour lui donner la vie. Nous vivons, parce qu’il nous donne cette même vie. Puis donc que Dieu a la puissance de donner la vie à son ouvrage, et que d’ailleurs la chair est capable de recevoir la vie, qui empêcherait cette même chair d’être capable de recevoir de Dieu le don de l’incorruptibilité et d’une vie sans fin ?

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant