Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE VIII

Les grâces de l’Esprit saint que nous recevons nous disposent à l’incorruptibilité, font de nous des hommes spirituel et nous éloignent des choses naturelles. – Ce qui faut entendre par les animaux purs et les animaux impurs dont il est parlé dans l’Écriture.

Ainsi, l’esprit de Dieu est déjà en nous dès cette vie ; il nous amène par degrés à la perfection, nous dispose pour l’immortalité, et nous accoutume peu à peu à concevoir et à soutenir l’idée de Dieu. C’est ce que l’apôtre appelle le gage divin (c’est-à-dire une arrhe, une partie par anticipation de la gloire que Dieu nous a promise), dans l’Épître aux Éphésiens, lorsqu’il est dit : « C’est aussi en lui (en Jésus-Christ) que vous avez été appelés, vous qui avez entendu la parole de la vérité, l’Évangile de votre salut, et qui ayant cru, avez été marqués du sceau de l’Esprit saint qui vous fut promis, et qui est le gage et les arrhes de votre héritage ». Ainsi, ce gage, parce qu’il est en nous, fait de nous des hommes spirituels, en sorte que ce qu’il y a de mortel en nous est subjugué par ce qu’il y a déjà d’immortel. Et comme dit saint Paul : « Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous. » Quand il parle ainsi, il ne veut point dire que cela s’opère, parce que nous nous dégageons de la chair, mais parce que nous entrons en rapport avec l’esprit de Dieu ; car ceux à qui saint Paul écrivait étaient des hommes en chair ; mais l’esprit de Dieu était encore cet esprit par lequel nous crions : Mon père, mon père ! Si donc aujourd’hui, lorsque nous n’avons pas encore le gage de l’immortalité, nous crions, mon père, mon père ! que sera-ce donc de nous, quand nous seront ressuscités et que nous le verrons lui-même face à face ; lorsque tous nos membres concourront à faire entendre l’hymne du bonheur, pour glorifier celui qui les aura retirés du royaume des morts pour leur donner l’immortalité ? Car si le gage de l’immortalité, qui est en nous par l’esprit, nous fait dire, mon père, mon père ! que n’opérera pas en nous la grâce toute entière de l’Esprit saint dont Dieu nous remplira, et qui nous fera semblables à lui, et nous rendra parfaits par la volonté du Père ? Elle fera que l’homme sera à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Ceux donc qui ont le gage de l’Esprit saint, qui ne s’adonnent pas au dérèglement de la chair, mais qui se soumettent eux-mêmes à l’esprit, et se conduisent avec sagesse en toutes choses, ce sont ceux-là que l’apôtre appelle des hommes spirituels, parce que l’esprit de Dieu habite en eux. Ainsi, pour être un homme spirituel, il ne suffirait pas d’être un esprit incorporel ; il faut pour cela être composé à la fois de l’esprit et de la chair. Mais, quant à ceux qui ne veulent pas écouter les inspirations de l’esprit, qui s’abandonnent aux voluptés de la chair et vivent dans le désordre, et se livrent sans freins à leurs passions, l’apôtre les appelle avec raison des hommes charnels ; car ils ne connaissent plus que les choses de la chair, ont rompu toute communion avec l’esprit de Dieu, et vivent à la manière des chiens et des porcs.

Les prophètes assimilèrent cette espèce d’hommes, et par les mêmes raisons que l’apôtre Paul, aux animaux qui sont privés de raison, parce qu’il mènent une conduite contraire à la raison. « Il sont devenus, dit Jérémie, comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales ; chacun d’eux a poursuivi la femme de son prochain. » Et David dit aussi : « L’homme, dans sa grandeur, s’est fait semblable aux animaux. » L’homme, en effet, ne se ravale-t-il pas jusqu’au rang des. animaux, quand il cherche à vivre privé de raison comme eux ? Nous avons donc raison de donner à de pareils hommes les noms de troupeaux et de chevaux privés de toute raison.

Tout cela a été annoncé d’une manière figurative par l’Écriture elle-même, lorsqu’elle fait la description de l’homme, par les qualités qui le séparent des autres animaux. Il est dit que les animaux qui ont l’ongle double et qui ruminent, sont des animaux purs ; et ceux qui mangent de ces deux signes, ou qui n’en ont qu’un, sont appelés impurs. Ceci est la figure des hommes purs et impurs : or, quels sont les purs ? Ceux qui vivent avec une ferme croyance dans le Père et le Fils ; or, les animaux à double ongle, qui ont le pied plus sûr et la marche plus assurée, sont par cela même la figure des hommes purs, fermes dans leur foi ; et, en leur qualité de ruminants, ils figurent la description des hommes purs à méditer sans cesse la parole de Dieu, pour s’avancer dans la perfection. Quand aux animaux impurs, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas l’ongle double, et ne ruminent pas, ils sont la figure de ceux qui n’ont pas la croyance en Dieu, et qui ne méditent pas sa parole sacrée ; telle est l’hérésie des ethniciens. Les animaux qui ruminent, mais qui n’ont pas l’ongle double, sont encore impurs ; ceux-là sont l’image des Juifs, qui ont sans cesse à la bouche les paroles des Écritures, mais qui n’ont pas une ferme croyance dans le Père et dans le Fils ; aussi cette nation est-elle sujette à la luxure. Remarquons, en effet, que les animaux qui ont l’ongle simple tombent facilement en marchant ; mais ceux qui ont l’ongle double ont la marche beaucoup plus ferme, par l’effet du mouvement alternatif des deux ongles, qui sont séparés entre eux, et qui se servent mutuellement d’appui, et suivent les sinuosités de la voie. Cependant ceux qui ne sont pas ruminants, bien qu’ils aient l’ongle double, sont encore rangés parmi les impurs ; ceux-ci sot la figure des hérétiques et de tous ceux qui ne méditent pas la parole de Dieu, et ne font pas des œuvres de justice ; c’est d’eux que notre Seigneur a dit : « Mais pourquoi m’appelez-vous Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je dis ? » Ces hommes-là disent bien qu’ils croient au Père et au Fils, mais ils ne méditent pas la parole divine avec les disposition convenables, et ils ne font pas souvent des œuvres de justice ; au contraire, comme nous l’avons déjà dit, ils vivent à la manière des animaux, s’abandonnant à la débauche, à la gourmandise et à la paresse. Mais leur incrédulité et leur impureté sont cause que l’Esprit saint ne vient point les visiter, et que le Verne, qui pourrait les rendre à la vie spirituelle, s’éloigne d’eux, et les abandonne à leurs dérèglements ; ainsi l’apôtre les appelle-t-il, et avec juste raison, des hommes charnels et animaux. Ils sont comparés à des chevaux dans les prophéties ; dans le monde on les regarde comme des troupeaux privés de raison ; mais la loi divine les déclare immondes.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant