Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XIII

L’exemple des morts ressuscités par le Christ nous fournit une preuve sans réplique de la possibilité de la résurrection de nos corps ; et quant à nos âmes, ce qui prouve qu’elles sont capables de la vie éternelle, c’est que dès cette vie même elles peuvent recevoir l’esprit de Dieu.

 Nous prierons maintenant nos adversaires et ceux qui renient leur propre salut, de nous dire avec quel corps ont été ressuscités, et la fille du prince de la synagogue, et le fils de la veuve que l’on portait déjà en terre, et Lazare qui était depuis plus de quatre jours dans le tombeau ? Ils nous répondront, sans aucun doute, que c’était avec le même corps qu’ils avaient au moment de leur mort ; car si on ne les avait pas vus avec leurs mêmes corps, il faudrait nier qu’ils eussent été ressuscités. « Jésus, dit l’Évangile, s’approcha et toucha le cercueil. Or, ceux qui le portaient s’arrêtèrent, et il dit : Jeune homme, je te le dis, lève-toi. Et celui qui était mort s’assit, et commença à parler ; et Jésus le rendit à sa mère. » Et quant à Lazare, voici ce qu’on lit dans l’Évangile : « Jésus ayant dit ces choses, cria à haute voix : Lazare, viens dehors ; et soudain le mort sortit, ayant les mains et les pieds liés. » Ces mains et ces pieds liés étaient le symbole des liens dans lesquels le retient le péché. Alors, Jésus dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Ainsi, ceux que le Christ rappela à la vie furent ressuscités avec les mêmes membres dans lesquels ils avaient souffert, et ceux qui furent guéris le furent avec les mêmes membres qu’ils avaient auparavant malades, afin de nous apprendre que l’éternité ne sera pour nous qu’une suite de l’état où nous aurons été pendant cette vie ; car il n’y a que Dieu qui puisse donner la guérison et la vie, et nous fournir ainsi un gage certain de la résurrection future. C’est ainsi qu’à la fin des temps, et au son de la dernière trompette, qui sera comme l’interprète des ordres de Dieu, tous les morts ressusciteront : « L’heure viendra, où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix ; et ceux qui auront bien fait en sortiront pour la résurrection de vie ; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection de condamnation. »

Ils sont vraiment à plaindre, les hommes que leur vanité et leur orgueil empêche de voir des vérités aussi claires, aussi évidentes ; qui fuient la lumière, et qui, semblables à l’Œdipe de la tragédie, se crèvent eux-mêmes les yeux. Tels encore ces lutteurs que l’on voit dans la palestre, qui, tenant fortement de leurs deux mains un membre de leur adversaire, s’en vont tomber sur l’arène en le tenant toujours, croyant ainsi remporter la victoire, parce qu’ils n’ont pas lâché prise ; mais ils tombent sous leur adversaire, et ils font rire à leurs dépens. Il en est ainsi des hérétiques, parce que le sang et la chair ne peuvent posséder le royaume de Dieu. Ils font des variantes de ce texte, et ne veulent pas voir le sens de la pensée de l’apôtre, ni scruter la vertu de ses paroles. Ils meurent ainsi en répétant les mots de ce passage machinalement et sans y penser, et au milieu de leurs efforts pour altérer et pour étouffer la parole divine.

Ils prétendent à tort que ce même passage ne doit s’entendre que de la chair elle-même, et non point des œuvres charnelles, s’efforçant ainsi de mettre l’apôtre en contradiction avec lui-même. Et, en effet, il s’explique aussitôt au sujet de la chair, quand il dit : « Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité. Et après que ce corps mortel aura été revêtu d’immortalité, cette parole de l’Écriture sera accomplie : La mort a été absorbée par sa victoire. Ô mort ! où est ta victoire ? Ô mort ! où est ton aiguillon ? » Or, cette parole sera réellement accomplie, lorsque notre corps, mortel maintenant, et sur lequel la mort exerce un empire réel, puisqu’elle le menace sans cesse, aura été élevé jusqu’à la vie céleste, et sera devenu incorruptible et immortel. C’est alors que la mort sera réellement vaincue, lorsque le corps, qui est aujourd’hui soumis à son empire, échappera enfin à sa domination. C’est là ce qui fait dire à saint Paul : « Mais nous, nous vivons déjà dans le ciel ; c’est de là aussi que nous attendons le Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ, qui changera le corps de notre abaissement, en le rendant semblable à son corps glorieux, par cette vertu efficace qui peut lui assujettir toutes choses. » Quel est donc ce corps d’abaissement, que Dieu transformera en le rendant semblable au corps glorieux de Jésus-Christ ? Il est évident que c’est notre corps que nous avons dans cette vie, et qui a été dégradé par le péché.

Notre corps sera transfiguré, puisque de mortel et de corruptible, il deviendra immortel et incorruptible ; mais ce changement ne s’opérera pas par l’effet de sa propre nature, mais par l’action toute-puissante de Dieu, qui peut donner l’immortalité à ce qui était sujet à la mort, et l’incorruptibilité à ce qui était sujet à la corruption. Aussi nous lisons dans la deuxième épître de saint Paul aux Corinthiens, ces paroles : « En sorte que ce qu’il y a de mortel soit absorbé par la vie. Or, c’est Dieu qui nous a formés pour cela et qui nous a donné pour gage son esprit. » Il est évident que tout ce que dit saint Paul dans ce passage est relatif au corps ; car ni l’âme ni l’esprit ne sont sujets à la mort. Ce qui était mortel en nous sera donc absorbé par la vie, lorsque notre corps passera de la mort à la vie incorruptible, dont il jouira éternellement, pour chanter les louanges de Dieu qui lui aura ainsi donné le bienfait de l’immortalité.

C’est afin de nous inviter à nous rendre dignes de cette perfection que saint Paul nous dit : « Glorifiez Dieu et portez-le dans votre corps ; » car lui seul peut donner l’incorruptibilité.

Mais pour bien démontrer que tout ce qu’il vient de dire s’applique à notre corps de chair, et non point à quelque autre corps, pour ne laisser subsister à ce sujet aucun doute, aucune ambiguïté, il ajoute : « Portons toujours dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se fasse voir aussi dans nos corps. Car, nous qui vivons, nous sommes à toute heure livrés à la mort pour Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre chair mortelle. » Mais, comme l’esprit s’empare de la chair pour la vivifier, il dit aussi dans cette même épître : « Vous faites voir que vous êtes la lettre de Jésus-Christ, écrite par notre ministère, non avec l’encre, mais avec l’esprit du Dieu vivant ; non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, qui sont vos cœurs. » Si donc, dès ici-bas, nos cœurs de chair sont capables de recevoir l’Esprit saint ; qu’y aurait-il d’extraordinaire que nos corps reçussent, par la vertu de cet Esprit, une vie nouvelle dans la résurrection ? C’est de cette résurrection que parle saint Paul, dans l’épître aux Philippiens, quand il dit : « Afin qu’en devenant semblable à Jésus-Christ dans sa mort, je parvienne à la bienheureuse résurrection d’entre les morts. » Mais dans quelle autre chair peut-on entendre que la vie sera de nouveau manifestée, si ce n’est dans cette substance même, qui se livre à la souffrance pour confesser son Dieu ? c’est ce que proclame hautement saint Paul, quand il dit : « Que me sert, à parler selon l’homme, d’avoir combattu à Éphèse contre des bêtes farouches, si les morts ne ressuscitent point ? Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est donc pas ressuscité ; et si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est inutile et votre foi est vaine. Nous serons même convaincus d’être de faux témoins à l’égard de Dieu, comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, en disant qu’il a ressuscité Jésus-Christ, qu’il n’a pas ressuscité si les morts ne ressuscitent pas. Car si les morts ne ressuscitent pas, Jésus-Christ n’est pas non plus ressuscité. Et si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, car vous êtes encore dans vos péchés. Ceux qui sont morts en Jésus-Christ sont donc morts sans espérance. Si l’espérance que nous avons en Jésus-Christ n’est pas pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes. Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui sont dans le sommeil de la mort. Car c’est par un homme que la mort est venue, c’est aussi par un homme que vient la résurrection. »

Ainsi, d’après toutes ces preuves tirées des écrits de saint Paul, il faut de deux choses l’une : ou supposer, en ce qui est relatif à l’explication du sens de ce passage, la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, que l’apôtre s’est mis en opposition complète avec lui-même ; ou bien il faudra tourmenter en toutes manières les expressions dont il s’est servi, pour en changer, pour en torturer le sens, et leur faire dire ce qu’elles ne disent point. Nous leur demanderons, par exemple, comment ils s’y prendront pour venir à bout d’obscurcir le sens du passage suivant de saint Paul : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité. » Nous en dirons autant de celui-ci : « Afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre chair mortelle. » Nous dirons la même chose de tous les autres endroits où saint Paul annonce clairement et sans ambiguïté la résurrection et l’immortalité de notre corps ; ainsi ceux qui, à dessein, ne veulent pas comprendre le sens naturel de ces passages, en sont réduits à leur donner une interprétation fausse et détournée.

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