Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XVIII

Tous les êtres créés sur lesquels le Père et le Verbe exercent leur empire, ont été tirés du néant par leur puissance et leur sagesse ; autrement, et si la création était le produit de quelque grande anomalie, ou de quelque révolte, le fils de Dieu, qui a reçu tout pouvoir du Père, n’aurait pas revêtu la chair de l’homme.

Lorsque le Verbe préparait l’accomplissement du grand événement de la rédemption du genre humain, il faisait servir à l’exécution de ce dessein les choses créées par la sagesse et la puissance du Père, et non pas celles qui avaient pu être souillées et oblitérées par l’ignorance et le péché ; car le Verbe possède par lui-même toutes choses ; les trésors de sa puissance lui suffisent pour produire sans cesse de nouveaux êtres et allumer en eux le flambeau de la vie ; il n’a puisé qu’en lui-même la puissance nécessaire pour accomplir notre rédemption. Mais si l’on suppose la créature provenue de quelque erreur ou de quelque souillure, plutôt que d’avoir eu le Verbe pour auteur, dans cette hypothèse, on ne peut admettre que la créature eût pu contenir en soi le Verbe. Nous avons prouvé l’incarnation du Verbe dans le sein de Marie et sa mort sur la croix : ce dernier fait n’est pas même contesté par les hérétiques ; comment donc l’erreur ou l’imperfection aurait-elle pu contenir ou supporter en soi celui qui contient toutes choses dans leur universalité, qui est la vérité et la perfection mêmes ? ou bien encore, comment concevoir qu’une créature, qui serait inconnue à Dieu ou qui serait hors de sa puissance, aurait pu porter son Verbe ? Soit qu’on suppose qu’elle eût été créée par des anges qui auraient connu Dieu, qui est au-dessus de toutes choses, ou qui ne l’auraient point connu, notre Seigneur n’a-t-il pas dit : « Je suis dans mon père et mon père est en moi ? » Comment une création faite par les anges aurait-elle pu contenir le Père et le Fils ? et comment une création qui serait au-delà du ciel eût-elle pu renfermer dans ses limites celui qui comprend l’universalité des choses créées ? Mais toutes ces suppositions sont en dehors du possible et ne sont pas susceptibles de démonstration ; il ne reste donc de vrai pour nous que la vérité que l’Église nous enseigne, c’est-à-dire que le Verbe ne peut se laisser contenir que par l’œuvre même sortie de ses mains et le fruit de sa toute-puissance et de sa sagesse (c’est-à-dire que Dieu le père y est contenu selon son invisibilité, et le Verbe, au contraire, selon sa visibilité).

Or, c’est le Père qui contient l’être et le Verbe, et c’est le Verbe qui est contenu dans le Père, et qui donne aux choses créées le souffle et la vie, selon la volonté du Père : aux unes il ne donne que la vie purement animale ; aux autres il donne la vie spirituelle, qui procède directement de Dieu, et forme des êtres à part et une génération nouvelle. Ainsi se manifeste Dieu le père, qui est au-dessus de tout, qui régit tout et qui est dans toutes choses. Il est au-dessus de tout, et il est le chef du Christ ; il gouverne comme Verbe, et, à ce titre, il est le chef de l’Église ; il est dans tout, par le Saint-Esprit qui est en nous, qui est comme une eau vive dont Dieu abreuve ceux qui croient en lui, qui l’aiment et qui le servent, selon ces paroles de l’apôtre : « Il n’y a qu’un Dieu, père de tous, qui est au-dessus de tous, qui gouverne toutes choses, et qui réside en nous tous. » C’est à ces vérités que Jean, disciple du Seigneur, rend témoignage dans son Évangile, quand il dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu ; toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. » Ensuite, au sujet de l’avènement du Verbe sur la terre, Jean ajoute : « Il était dans le monde, et le monde avait été fait par lui, et le monde ne l’a point connu. Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu ; mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le droit d’être faits enfants de Dieu, et à ceux qui croient en son nom. » Il dit encore au sujet de l’humanité du Verbe : « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous. » Il insiste sur ce point, en ajoutant : « Et nous avons vu sa gloire, sa gloire comme fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. » Ainsi l’évangéliste dit à tous ceux qui veulent l’entendre, c’est-à-dire à tous ceux qui ont des oreilles, qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui est au-dessus de tout, un seul verbe de Dieu qui gouverne tout, par qui toutes choses ont été faites. Ainsi ce monde, qui lui appartient, a été créé par lui et par la volonté du Père, et non point par les anges ; il n’a pas été le produit d’une révolte ou d’une erreur, non plus qu’il n’a été créé par cette puissance inconnue que certains hérétiques appellent la Mère, ou par quelque autre dieu étranger à notre Dieu.

Le véritable créateur du monde est donc le verbe de Dieu ; ce verbe de Dieu est notre Seigneur Jésus-Christ, qui est venu sur la terre au temps marqué par les prophéties, et qui a habité parmi les hommes ; qui, dans son invisibilité, contient toutes les choses créées, qui pénètre tout de sa présence, parce qu’il gouverne à titre de verbe de Dieu et régit toutes choses. Aussi c’est lui qui est venu sur la terre dans une forme visible, qui s’est fait chair, est mort sur l’arbre de la croix, comme pour résumer en lui toutes choses. Et cependant il n’a pas été reçu par les siens, comme Moïse l’avait prédit, quand il disait aux Israélites : « Votre salut sera sous vos yeux, et vous ne croirez pas à votre salut. » Ceux donc qui ne l’ont pas reçu n’ont pas eu part au salut ; mais à tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir des enfants de Dieu. Car il a reçu du Père la puissance sur toutes choses, en qualité de son Verbe, qui s’est fait véritablement homme, et qui, durant son humanité, a continué son action intellectuelle sur les choses invisibles ; quant aux choses visibles, c’est lui qui leur donne les lois de leur existence et de leur durée ; son empire sur les choses visibles et sur les choses humaines frappe nos yeux ; il est le juge suprême qui récompense et qui punit suivant qu’on le mérite, comme l’a annoncé le prophète David par ces paroles : « Il viendra, notre Dieu, il sortira de son silence. » Il annonce ensuite le jugement dernier en ces termes : « Un feu dévorant marchera devant lui, une effroyable tempête mugira autour de lui. Il appellera les cieux et la terre pour juger son peuple. »

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