Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XXII

Les Écritures proclament un seul et véritable Dieu, celui que le Christ, son fils, annonce dans son Évangile ; c’est lui seul que nous devons adorer, c’est lui seul, et non le démon, qui est l’auteur de tout bien.

Aussi notre Seigneur nous a lui-même enseigné et démontré qu’il n’y avait qu’un seul et vrai Dieu, celui que les Écritures proclament (car celui que les Écritures appellent Dieu, le Christ le nomme son père, le seul Dieu que ceux qui sont les disciples du Christ doivent servir) ; il a vaincu le démon, notre ennemi, en lui opposant les préceptes de la loi (or, nous savons que la loi nous commande de louer Dieu, et de ne servir que lui seul). Nous ne devons donc plus, après cela, courir à la recherche d’un Dieu, qui soit autre, ou qui soit au-delà, ou même au-dessus ; « parce que, comme dit l’apôtre, c’est le même Dieu qui justifie par la foi, les circoncis, et qui par la foi justifie les incirconcis. » Et, en effet, s’il y avait un Dieu parfait, qui fût supérieur au Dieu que nous connaissons, le Christ n’aurait pas pu triompher de satan en lui opposant la loi et les commandements du Dieu son père : car une erreur n’est pas capable de détruire une autre erreur, de même qu’une tache ne saurait effacer une autre tache. Si donc la loi était une loi entachée d’ignorance et de souillure, comment ses préceptes auraient-ils pu avoir la puissance de triompher de l’ignorance du démon, et de vaincre le fort ? Celui qui est fort ne saurait être vaincu, ni par un plus faible, ni par celui qui est d’une force égale à la sienne ; il ne peut être vaincu que par un plus fort que lui. Or, le plus fort de tous, c’est le verbe de Dieu, lui qui est proclamé dans la loi, par ces paroles : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Tu n’adoreras que lui, et tu le serviras seul. » Or, dans l’Évangile, c’est avec les mêmes préceptes que le Christ a détruit l’empire du démon ; c’est par la voix du Père qu’il triomphe du fort ; et il reconnaît que les enseignements qu’il nous donne sont tirés de la loi elle-même, quand il nous dit : « Il est écrit, tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. » C’est donc avec la propre loi du Père, et non point avec celle d’un autre, qu’il a vaincu son adversaire et enchaîné le fort.

Ainsi, délivrés de l’esclavage du péché, nous devons, comme le Christ nous l’enseigne, nous nourrir, quand nous avons faim, de cette nourriture qui vient de Dieu. Mais quoiqu’élevés à la perfection et comblés de toutes grâces, enrichis des œuvres de justice, et ornés de tous les dons de l’Esprit saint, nous devons bien prendre garde de nous énorgueillir et de tenter Dieu, mais au contraire, nous humilier en toutes choses et avoir toujours présent à l’esprit le précepte : tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ; et comme nous dit l’apôtre : « Ne nous élevant pas à des pensées trop hautes, mais consentant à ce qu’il y a de plus humble ; » ne pas nous laisser aller non plus à l’amour des richesses et de la gloire du monde, et à l’attachement des choses présentes. Nous devons toujours avoir présent à la pensée que c’est pour nous un devoir d’adorer Dieu et ne servir que lui seul ; qu’il ne faut pas prêter l’oreille aux suggestions de l’esprit malin, qui promet faussement de donner les choses qui ne sont pas à lui, en disant : Je te donnerai tout ce que tu vois devant toi, si tu consens à m’adorer. Le démon reconnaît donc, en tenant un pareil langage, que lorsqu’on consent à l’adorer lui-même et à se soumettre à sa volonté, on est dès lors déchu de l’héritage glorieux de Dieu. Et à quel bonheur pourra prétendre celui qui est ainsi déchu ? Que peut-il attendre, que peut-il espérer autre chose que la mort de son âme ? Car cette mort nous menace sans cesse dès que nous sommes séparés de Dieu. Le démon d’ailleurs ne nous donnera rien de tout ce qu’il nous a promis. Comment pourrait-il donner à celui qui est tombé dans le péché, ce qui n’est pas en sa disposition ? Et puis, s’il a quelque pouvoir sur l’homme, Dieu a tout pouvoir sur lui ; rien ne se fait sans la volonté du Père, et un passereau ne tombe pas à terre sans qu’il le veuille. Ainsi, lorsque le démon dit au Christ : toutes ces choses m’ont été données, et je les donne à qui je veux, il s’égare dans son orgueil. Les choses créées ne sauraient être en son pouvoir, puisque lui-même est une créature. Il ne peut donc pas disposer des royaumes de la terre qui sont, ainsi que tout ce qui est relatif à l’humanité, avec tout le reste de la création, gouvernés par la volonté de Dieu. Le Seigneur ne nous a-t-il pas dit lui-même : « Le démon a été menteur dès le commencement, et il n’a point persévéré dans la vérité ? » Si donc il est menteur, s’il ne se tient jamais dans la vérité, il ne disait donc autre chose qu’un mensonge, en disant : Toutes ces choses m’ont été données et je les donne à qui il me plaît.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant