Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XXX

Tout certain que soit pour nous le nombre du nom de l’antéchrist, cependant nous ne devons rien affirmer légèrement à ce sujet, parce que ce même nombre peut s’appliquer à beaucoup d’autres noms. Pourquoi la révélation du Saint-Esprit à ce sujet n’est pas entière. – Règne et destruction de l’antéchrist.

Ainsi est fixé le nombre du nom de l’antéchrist ; et, soit que l’on consulte à ce sujet les plus anciens écrits et les plus estimés, soit que l’on s’attache au témoignage de ceux qui ont vu saint Jean et qui ont entendu ses enseignements de sa propre bouche, on trouve que le nombre du nom de la bête, par la supputation des lettres grecques dont il est composé, forme le nombre six cents soixante-six ; (et ce nombre six, fidèlement conservé et multiplié, représente dans son produit le nombre total des apostasies qui auront eu lieu depuis le commencement du monde jusqu’à la fin). Je ne comprends pas comment il a pu arriver à quelques écrivains de se tromper dans ce calcul ; ce qui leur est arrivé, parce qu’ils ont omis le nombre intermédiaire du nom, et ils n’ont ainsi trouvé que cinquante, ayant un cinq au lieu de six. J’imagine que cette erreur doit être rejetée sur les copistes, d’autant mieux qu’en grec les nombres sont représentés par les lettres de l’alphabet, et que de la lettre grecque LX qui exprime soixante, ils auront fait un iota ; parmi ceux qui sont venus ensuite, les uns ont suivi cette copie sans examen, et d’autres, par simplicité et faute d’intelligence, ont reproduit la même faute ; il en est quelques-uns qui, dans leur ignorance, ont avoué témérairement que le nombre du nom de la bête était un nombre faux. Quant à ceux qui ont agi par pure ignorance et sans malice, nous croyons que Dieu leur pardonnera facilement. Mais pour tous ceux qui, par un sentiment de vaine gloire, ont soutenu que le nombre du nom était faux, et lui ont substitué un nombre qu’ils ont eux-mêmes imaginé, nous ne les croyons pas excusables aux yeux de Dieu ; car ils se seront tendus un piège, et à eux-mêmes et à tous ceux qui adopteront leurs opinions à ce sujet. Et d’abord, on fait toujours mal en s’éloignant de la vérité, et en mettant ce qui n’est pas vrai à la place de ce qui est vrai ; ensuite, il est défendu sous des peines sévères d’ajouter ou de retrancher quoique ce soit des Écritures ; défense que ceux dont nous venons de parler ont dû nécessairement enfreindre. Mais il y a bien encore un autre écueil à craindre pour ces personnes, et pour celles qui se rangeraient à leur avis ; car, si le nombre du nom de la bête vient à se trouver différent de celui qu’ils ont imaginé, quand l’antéchrist arrivera, ils ne pourront plus le reconnaître, ni faire ce qu’il faut pour éviter de tomber dans ses embûches.

Nous devons donc avertir ici ces imprudents, et leur apprendre à reconnaître le véritable nombre du nom de la bête, afin de les empêcher de se faire compter parmi les faux prophètes. Il faut d’abord s’en tenir fermement au nombre annoncé par l’Écriture, et qui est de six cent soixante-six ; ensuite, à la division de tous les gouvernements de la terre en dix royaumes. C’est lorsque ces dix royaumes sont établis et qu’ils commencent à s’affermir et prospérer, que l’antéchrist paraît à l’improviste et veut s’attribuer l’empire universel. Au bruit de son nom, qui contient le nombre que nous avons dit, les dix rois sont saisis d’épouvante, car sa présence sera l’abomination de la désolation, selon ces paroles de l’apôtre : « dans le temps qu’ils diront, nous sommes en paix et en sécurité, ils seront tout à coup surpris par un malheur imprévu, sans qu’ils puissent échapper. » Jérémie a prédit non-seulement son avènement imprévu, mais il a de plus expliqué de quelle tribu il sortira, quand il a dit : « Le bruit des chevaux a été entendu de Dan ; toute la terre a été émue des hennissements de leurs coursiers ; ils viendront en foule et ils dévoreront la terre et son abondance, les villes et tous leurs habitants. » Voilà pourquoi il n’est pas fait mention dans l’Apocalypse de la tribu de Dan parmi celles qui seront marquées du sceau du salut.

Il est donc plus sûr et plus sage de s’en tenir à la lettre des prophéties, que d’imaginer et de rechercher d’autres noms ; d’autant plus qu’il se rencontre beaucoup de noms qui comportent le même nombre que celui de l’antéchrist ; ce serait donc toujours reculer la même difficulté sans la résoudre ; car, s’il y a beaucoup de noms qui comportent le même nombre, lequel sera celui que portera l’antéchrist, quand il viendra ?

Ce qui nous fait parler ainsi, ce n’est pas l’embarras où pourraient nous jeter les autres noms, qui portent tous également le nombre du nom de la bête, mais uniquement la crainte de Dieu et l’amour de la vérité. Nous pourrions citer, par exemple, le mot etanthas, qui comporte le même nombre ; mais nous n’affirmons rien à cet égard. Le mot dateinos comporte aussi le nombre de six cent soixante-six ; et il y aurait plus de vraisemblance à adopter celui-ci, parce qu’il désigne l’empire romain, qui est le plus nouveau des grands empires ; mais nous ne nous flattons pas d’avoir deviné juste. Nous nous attacherions plutôt au mot teitan, qui a dans sa première syllabe les deux voyelles e et i ; il a bien le nombre voulu, il est composé de six lettres, chacune de ses syllabes en a trois ; il est ancien, il n’est pas vulgaire. Nous ne voyons pas d’ailleurs qu’il soit porté par aucun des rois qui règnent maintenant, ni par aucun des faux dieux qui sont adorés, soit chez les Grecs, soit parmi les gentils. C’est un nom divin, suivant l’opinion d’un grand nombre ; c’est peut-être à cause de cela que les Romains donnent au soleil le nom de Titan ; et ce mot, en effet, emporte avec lui l’idée d’une certaine ostentation de fureur et de vengeance, comme si celui qui la ressent prétendait demander raison des mauvais traitements qu’il aurait reçus ; il a d’ailleurs quelque chose d’antique, de royal, et qui marque la puissance. Toutefois, malgré les raisons qui pourraient nous faire pencher pour le choix de ce nom, cependant il n’est pas probable, d’après une foule d’autorités, que l’antéchrist se fasse appeler Titan, lorsqu’il apparaîtra.

Quant à nous, nous croyons qu’il est plus prudent de ne rien affirmer à cet égard, convaincus que nous sommes d’ailleurs que, s’il était nécessaire que son nom fût dès aujourd’hui connu, il aurait été proclamé par celui-là même qui avait vu l’Apocalypse, et qui a décrit le temps où il vivrait ; l’époque où il vivait ne remonte pas fort loin ; car il s’en faut de peu qu’il ne fût de notre siècle, puisqu’il vivait vers la fin du règne de Domitien.

Ainsi saint Jean nous a révélé le nombre du nom de la bête, afin que, le sachant, nous nous tenions sur nos gardes au sujet de sa venue ; mais il n’a pas dit son nom, parce que ce nom n’est pas digne d’être proclamé par l’Esprit saint. D’ailleurs, si le nom de la bête eût été proclamé, peut-être cela eût-il pu prolonger le temps de sa durée ; car, dit l’Écriture, « la bête que tu as vue était, et n’est plus ; elle s’élèvera de l’abîme et sera précipitée dans la perdition, et elle sera comme si elle n’eût jamais existé. » Voilà donc pourquoi son nom n’a pas été dit ; car ce qui s’en va au néant ne porte pas de nom. Après donc que l’antéchrist aura désolé le monde pendant son règne de trois ans et demi, et qu’il aura placé son trône dans le temple de Jérusalem, alors viendra le Christ du haut des cieux, porté sur les nuées et environné de la gloire du Père ; il précipitera dans l’étang de feu l’antéchrist avec tous ceux qui auront suivi sa bannière ; il ouvrira alors l’ère du règne éternel, du jour du repos, du septième jour, qui est celui de la sanctification, accomplissant ainsi la promesse de l’héritage faite à Abraham. C’est dans cet héritage que « plusieurs viendront, selon la parole de notre Seigneur, d’orient et d’occident, et s’assiéront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux. »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant