Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XXXIII

Nouvelles preuves à l’appui de la même proposition, tirées des promesses du Christ, quand il a dit qu’il boirait un jour avec ses disciples, dans le royaume du Père, du vin de la vigne ; quand il a parlé de récompense au centuple et de riches banquets, promesses dont la bénédiction de Jacob avait été la figure longtemps auparavant ; telle est d’ailleurs l’opinion de Papias et des anciens.

Lorsque le Christ se préparait à sa passion, par laquelle il devait rendre témoignage à Abraham et à tous ceux qui, avec lui, ont reçu la promesse de l’héritage ; et au moment où, après avoir rendu grâces à Dieu en tenant la coupe, il but du vin qu’elle contenait, et la passant à ses disciples, il leur dit ces paroles : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour plusieurs, afin que leurs péchés soient remis. Or, je vous dis que je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai tout nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » C’est donc à dire qu’il renouvellera la face de la terre, et qu’il donnera son accomplissement à la prédiction de la gloire des enfants de Dieu, et que la face de la terre sera renouvelée, selon la prophétie de David. La promesse qu’a faite le Christ à ses disciples de boire avec eux du vin nouveau de la vigne, annonce deux choses : la première, la possession de l’héritage de la terre ; la seconde, la résurrection des corps des élus. Ce sera donc la chair ressuscitée qui boira le vin nouveau de la vigne ; car on ne peut pas entendre comment cela pourrait avoir lieu, une fois que les élus auraient été élevés dans le royaume des cieux ; ensuite cela suppose des êtres revêtus d’un corps de chair ; car c’est le propre du corps et non de l’esprit de manger et de boire.

C’est encore pour cela que notre Seigneur a dit : « Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n’y conviez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui seront riches, de peur qu’ils ne vous invitent aussi à leur tour, et qu’ainsi ils ne vous rendent ce qu’ils avaient reçu de vous. Mais lorsque vous donnez un festin, appelez les pauvres, les infirmes, les boiteux et les aveugles, et vous serez heureux, parce qu’ils n’auront pas à vous le rendre ; et il vous sera rendu au jour de la résurrection des justes. » Il disait encore : « Quiconque aura quitté sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs à cause de mon nom, recevra le centuple et possèdera la vie éternelle. » Or, que peut signifier cette récompense au centuple, ces banquets promis à ceux qui sont pauvres, et ces repas qui seront rendus, si ce n’est que tout cela aura lieu lors du règne des justes sur la terre, c’est-à-dire au septième jour de Dieu, le jour de la sanctification, celui du repos du Créateur, après la création, qui sera le vrai jour du sabbat des justes, durant lequel ils ne seront soumis à aucun travail manuel, mais s’assiéront au banquet abondant que Dieu leur aura préparé ?

Cet événement est également prophétisé dans les paroles de la bénédiction qu’Isaac donna à Jacob : « Dès qu’Isaac sentit le parfum qu’exhalaient ses vêtements, il les bénit, disant : Voilà que l’odeur qu’exhalent les vêtements de mon fils est comme l’odeur d’un champ plein de fleurs, que le Seigneur a béni. » Et il ajoute : « Dieu te donne la rosée du ciel et de la terre, le blé et le vin en abondance ! et que les peuples te servent et que les tribus t’adorent ; que tu sois le seigneur de tes frères, et que les fils de ta mère s’abaissent devant toi ; que celui qui te maudira soit maudit ; et que celui qui te bénira soit rempli de la bénédiction du Seigneur. » Ce serait vouloir se jeter dans mille contradictions que de voir dans ces paroles que nous venons de citer autre chose que l’annonce du règne futur des justes sur la terre ; ce serait tomber dans toutes les erreurs des Juifs, touchant l’interprétation des Écritures. Et pour ce qui est de la bénédiction prophétique faite à Jacob, non-seulement il n’eut point, pendant sa vie sur la terre, l’empire des nations qui lui avait été annoncé, mais il fut obligé de rester durant vingt ans au service de son oncle Laban, ayant quitté son pays aussitôt après la bénédiction de son père ; et il fut si peu le seigneur de son frère, qu’au contraire, il lui rendit hommage, comme son subordonné, lors de son retour de la Mésopotamie, et lui fit de riches présents. Ensuite, comment aurait-il joui de cette abondance de blé et de vin, à lui promise par la bénédiction paternelle, lui qui fut réduit à se réfugier en Égypte à cause de la famine qui désolait son pays, et devint le sujet de Pharaon, qui régnait alors sur les Égyptiens ? Il résulte de tout ceci que les termes de la bénédiction donnée à Jacob ne peuvent avoir trait qu’au règne futur des justes sur la terre, après leur résurrection, lorsque notre corps, plein d’une jeunesse nouvelle, et délivré des liens de la mort, jouira de la rosée du ciel et de tous les dons de la terre. Les anciens prêtres qui ont vu Jean, le disciple bien aimé, et qui l’ont entendu, nous ont rapporté comment il leur avait redit les paroles du Seigneur à ce sujet : « Un temps viendra où chaque vigne aura dix mille branches, chaque branche dix mille rejetons, chaque rejeton produira dix mille grappes, chaque grappe dix mille graines, et chaque graine étant exprimée, donnera vingt-cinq mesures de vin. Et lorsqu’un saint cueillera un raisin, un autre raisin dira : Je suis encore plus beau que celui que vous avez cueilli, prenez-moi et que je vous sois une occasion de bénir le Seigneur. » Il en sera de même du froment : chaque grain de blé produira dix mille épis, chaque épis, dix mille grains, et chaque grain, dix livres de farine pure ; tous les autres fruits, grains et plantes, produiront dans la même proportion : tous les animaux seront pacifiques, ne se nourriront que d’herbages, et ne se déchireront pas les uns les autres, et ils seront entièrement soumis à l’homme.

Telles sont les choses que raconte Papias, vieillard vénérable qui avait entendu le discours de saint Jean, et qui était contemporain de saint Polycarpe ; il les a consignées dans le quatrième livre de ses œuvres, car il a écrit cinq livres.

Et Papias disait encore : « Ces choses sont croyables pour ceux qui croient. Juda le traître n’y croyait pas et il questionnait le Seigneur, en disant : Comment Dieu ferait produire toutes ces choses à la terre ; et le Seigneur répondit : Ceux qui viendront alors le verront. » Le prophète Isaïe n’a-t-il pas prédit ce règne futur, lorsqu’il dit : « Sous son règne, le loup habitera avec l’agneau ; le léopard reposera auprès du chevreau ; la génisse, le lion, la brebis, se jouiront ensemble, et un petit enfant suffira pour les conduire. L’ours et le taureau prendront la même nourriture ; leurs petits dormiront ensemble ; le lion et le bœuf iront aux mêmes pâturages. L’enfant à la mamelle se jouera avec l’aspic ; l’enfant nouvellement sevré portera la main dans la caverne du basilic ; ces animaux ne nuiront plus et ne tueront plus. » Dans un autre endroit, il revient sur cette prophétie : « Le loup et l’agneau se joueront ensemble ; le lion et le taureau iront aux mêmes pâturages ; la poussière sera l’aliment du serpent : aucun de ces animaux, dit le Seigneur, ne nuira ni ne donnera la mort sur toute ma montagne sainte. » Je sais qu’on me dira que cette prophétie est relative à la conversion des gentils, qui doit se faire de diverses manières, et à leur réunion avec les justes, après leur conversion. Je suis de cet avis, en ce qui concerne la conversion des gentils ; mais cela n’empêche pas que la prophétie, surtout lorsqu’elle parle de tous les animaux qui seront devenus pacifiques et qui ne nuiront plus, ne s’applique aussi au règne futur des justes sur la terre : car le Seigneur est riche dans ses œuvres. Et il faut que lorsque le péché aura été effacé de la terre, les animaux reviennent à se nourrir d’herbages, comme ils le faisaient dans les premiers temps de la création, et quand ils étaient encore soumis à Adam. Ce n’est pas le lieu de démontrer que le lion se nourrissait alors de la paille du blé, ce qui prouverait combien les fruits de la terre étaient gros et magnifiques. Car, si la paille du blé présentait alors une nourriture suffisante au lion, quelle beauté ne devait pas avoir le blé dont elle avait été détachée !

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